Publié dans le numéro 59 de la LettreM.
Pour les Saoudiens, qui luttent encore pour attirer les investisseurs alors que l’image de leur pays et de ses dirigeants s’est nettement détériorée ces deux dernières années, l’édition 2019 de la Future Investment Initiative est un succès. Le retour en force des géants américains, avec les encouragements de l’administration Trump, et la présence importante des Russes et des Indiens notamment, font oublier les déconvenues de l’édition de 2018 très directement impactée par l’affaire Khashoggi, comme pour annoncer que c’est désormais Business as usual avec l’Arabie saoudite. Les Français ont-ils manqué ce rendez-vous saoudien ?
Large présence américaine et internationale
La présence d’une délégation américaine conduite par le secrétaire au Trésor Steven Mnuchin (speaker le 30 octobre 2019 pour parler Global Capital Markets), et comprenant notamment le secrétaire à l’Energie Rick Perry (speaker le 30 octobre 2019 pour parler Energy Innovation) et le Conseiller présidentiel Jared Kushner, illustre la volonté de l’administration américaine et du Président Donald Trump (qui s’est entretenu par téléphone le 29 octobre 2019 avec le Prince héritier saoudien Mohammad Ben Salman Ben Abdulaziz) d’assumer cette normalisation avec Riyad où vient de se rendre pour la première fois le nouveau Secrétaire à la Défense Mark Esper (21 octobre 2019). Les compagnies américaines sont présentes en masse, y compris les banques et institutions financières, même si toutes n’envoient pas leur CEO mais son second et même si certaines choisissent de rester dans l’ombre parfois.
La présence russe à la FII, qui se tient cette année au Carlton-Ritz à Riyad, est encore plus étoffée que celle, déjà impressionnante, de l’année dernière, et concrétise l’engagement pris lors de la visite du Président Vladimir Poutine dans le royaume le 14 octobre 2019. La star de la délégation russe est sans conteste le Président du Russia Direct Investment Fund, Kirill Dmitriev, dont le fonds souverain vient de choisir Riyad pour ouvrir ses premiers bureaux à l’étranger, et qui intervenait comme speaker pour parler de l’économie globale sous un angle moyen-oriental et asiatique.
Les Britanniques font leur retour également, malgré les hésitations des derniers mois, guerre du Yémen oblige, alors que le Premier ministre indien Narendra Modi (une douzaine d’accords bilatéraux signés à l’occasion de la visite du PM indien à Riyad) et le Président brésilien Jair Bolsonaro (en tournée dans le Golfe où il s’est rendu également aux Emirats Arabes Unis et au Qatar) jouaient aux stars à titre d’invités d’honneur cette année. D’autres chefs d’Etat étaient également présents à l’évènement dont le Roi Abdullah II de Jordanie, et les Présidents du Kenya, du Niger, du Nigeria, du Burkina Faso et du Sierra Leone.
Le nombre de participants a plus que doublé entre la première édition de 2017 et celle de 2019, atteignant cette fois plus de 6000. Les investisseurs représentant 30 pays viennent d’Amérique du Nord (39%), d’Europe (20%), d’Asie (19%) et du Moyen-Orient (15%).
Présence française décevante
Le retour en force des Français était attendu cette année. L’affaire Khashoggi, loin d’être totalement surmontée, et la guerre au Yémen, toujours dénoncée pour ses exactions, n’empêchent plus aujourd’hui une coopération entière et assumée entre Paris et Riyad. La géopolitique fait son effet et réhabilite par elle-même le régime saoudien, alors que la compétition internationale est attisée par les opportunités d’affaires proposées par le royaume. Cette compétition internationale, russe et asiatique, ne cesse de croître, alors que les Américains et les Européens reprennent le chemin de Riyad. La France ne pouvait manquer ce rendez-vous.
On pouvait donc s’attendre à ce que la présence française soit revue sérieusement à la hausse cette année. On s’attendait surtout à une importante délégation officielle. En 2018, le Ministre de l’Economie Bruno Le Maire s’était désisté à la dernière minute, adressant un message ferme au Prince héritier Mohammad Ben Salman Ben Abdulaziz embourbé dans l’affaire Khashoggi. C’était l’occasion de compenser cette absence justifiée en son temps. Certains, dans les milieux d’affaires français et parmi les organisateurs saoudiens, visaient même le Premier ministre. Ils ont finalement eu droit à un ancien Premier ministre, reconverti dans le conseil : François Fillon qui a sauvé la face en quelque sorte, en étant speaker avec une brochette d’autres anciens PM (David Cameron du Royaume Uni, Matteo Renzi d’Italie, Kevin Rudd d’Australie) pour parler de l’Economie diplomatique et du G20.
Certes, des entreprises françaises qui étaient humblement représentées l’année dernière, ont jugé opportun d’afficher un plus grand intérêt pour l’Arabie saoudite et ses marchés (même si aucune enseigne française ne figure parmi les 49 partenaires globaux de l’évènement et qui sont répartis en trois catégories : Strategic Partners, Knowledge Partners et Technology Partners). Parmi les dirigeants du secteur privé français présents à la FII 2019 : Patrice Caine (Thalès, CEO), Eduardo Puerta (Airbus), Bruno Bensasson (EDF Renewables, CEO), Sébastien Bazin (AccorHotels, CEO), Frédéric Oudéa (Société Générale, CEO), Alain Papiasse (BNP), Julien Pouget (Total, SVP), Chris Dercon (RMN-Grand Palais, Président). Les Saoudiens les attendaient, surtout qu’ils espéraient que les Français ne manqueront pas ce rendez-vous maintenant qu’ils cherchent à compenser leurs faibles performances sur ce marché et sur celui de la zone grâce aux immenses opportunités civiles et militaires que leur offrent Vision 2030 d’une part, et la nouvelle donne militaire et stratégique d’autre part. Les attendaient-ils vraiment ? Ou attendaient-ils surtout de voir une délégation officielle française de haut rang, pour donner le poids politique indispensable à la présence économique française ?
En 2018, le patron de Total Patrick Pouyanné faisait partie des rares dirigeants d’entreprises occidentaux à avoir maintenu sa participation au « Davos du désert » largement boycotté par ses pairs, un geste très certainement apprécié par MBS. Cette fois, il a choisi de ne pas s’y rendre faute d’avoir obtenu un rendez-vous qu’il pensait acquis avec le Ministre de l’Energie Abdulaziz Ben Salman Ben Abdulaziz.
Une plateforme promotionnelle pour MBS
L’organisation de la Future Investment Initiative (FII) est pilotée par le fonds souverain saoudien Public Investment Fund (PIF) qui vient de s’offrir, via Sanabel, 49% de Richard Attias & Associates. Pour les dirigeants saoudiens, et pour le Prince héritier Mohammad Ben Salman Ben Abdulaziz surtout, c’est une plateforme annuelle de communication économique visant à promouvoir sa Vision 2030 et sa stature de bâtisseur. Pour MBS, dont le pays se prépare à présider le G20, et qui doit faire oublier ses mésaventures internes et régionales, la FII est un thermomètre de l’évolution possible de ses relations économiques avec ses partenaires internationaux. La France, qui a su prendre une décision équilibrée et nuancée, lors de l’éclatement de l’affaire Khashoggi, a su également respecter ses engagements envers son partenaire saoudien en matière de sécurité lors des dernières attaques militaires contre ses intérêts stratégiques. Elle se devait de revoir son positionnement commercial et économique sur le marché saoudien pour s’y maintenir et y élargir sa part face à une compétition toujours plus dure.
Un levier de la politique extérieure
La nomination, le 24 octobre 2019, d’un nouveau Ministre des Affaires étrangères, Fayçal Ben Farhan Al Saoud, prince royal proche du prince héritier MBS et pro-occidental proche des Américains, signalerait le début d’une possible réorientation de la politique étrangère saoudienne vers l’Occident et vers Washington. Le prince Fayçal, qui a également des liens solides avec les milieux industriels américains de la défense, est secondé par le ministre d’Etat aux Affaires étrangères Adel al-Jubeïr, autre voix pro-américaine qui a dû être marginalisée à la suite de l’affaire Khashoggi pour ouvrir la voie à une plus grande diversification au niveau des relations internationales du royaume et une ouverture plus solide en direction de Moscou et de Pékin. L’évolution des relations saoudo-russes et saoudo-chinoises (échanges de visites, multiplication des accords de coopération, etc.) a rassuré les dirigeants saoudiens sur leur capacité à mettre en place une politique étrangère équilibrée et à sortir d’un tête-à-tête qui pourrait s’avérer risqué avec une seule puissance internationale. Ils l’ont fait, et savent que cela leur est désormais accessible. Perdre leur partenariat stratégique avec les Etats-Unis et les acteurs occidentaux influents sur la zone n’est pas pour eux une option. Ils semblent vouloir aujourd’hui adresser un message fort en ce sens aux Américains, aux Britanniques, aux Français, aux Allemands.
FII 2020 : une présence française mieux pensée
Les Français répondent présent donc. Ils ne pouvaient manquer ce meeting économique international à Riyad, après avoir opté pour un minimum de présence en 2018. Quant à la France, et après avoir répondu à l’appel lancé par les Saoudiens sous la menace militaire, elle n’a pas jugé bon d’être représentée cette année par une délégation officielle que l’on pensait incontournable pour un tel évènement stratégique pour un partenaire telle l’Arabie saoudite. Echange de messages entre Paris et Riyad ?
A l’ordre du jour du Conseil des ministres saoudien, réuni le 29 octobre 2019 sous la présidence du Roi Salman Ben Abdulaziz, le projet d’accord pour la création d’un Conseil de partenariat stratégique entre l’Arabie saoudite et la France. Cela annonce, normalement, une embellie dans les relations franco-saoudiennes.
Quoiqu’il en soit, pour la France, pour ses industriels (au premier jour, Dassault Systems remportait un contrat de $200m avec Aramco, alors que $15md de projets étaient annoncés…) et pour ses professionnels du tourisme, la FII, vecteur d’influence et de communication du régime saoudien en plus d’être un forum d’investissement, devrait redevenir un rendez-vous annuel avec les Saoudiens. En 2019, les Français auraient pu mieux faire en termes de représentation officielle et de présence. Ils devraient revoir leur présence et leur implication dans FII 2020.