Publié dans le numéro 23 de la LettreM.
ODAS, héritière de la SOFRESA, n’aura pas survécu au clan Sultan. C’était écrit, aurait dit le successeur du prince Sultan Ben Abdulaziz à la Défense, son neveu le Prince héritier Mohammad Ben Salman Ben Abdulaziz. Les Français semblaient pourtant y tenir, non par manque d’alternative, ni par peur du changement, mais par conviction semble-t-il. Plus maintenant : la fin d’ODAS, dont le capital est réparti entre l’Etat (34%) et les grands industriels de l’armement, est actée, et, désormais, les (nouveaux) programmes d’armement franco-saoudiens seront conclus et gérés par des accords intergouvernementaux.
Huit présidents depuis Jean-Claude Sompairac (1979-1993) à Daniel Argenson (nommé en 2017 alors que Paris y croyait encore malgré les signaux envoyés par Riyad), des contrats majeurs au profit des industriels français (Sawari), des soupçons de financement occulte de partis politiques et de rétrocommissions, et, pratiquement, un seul et unique interlocuteur saoudien : le clan Sultan. L’ancien Prince héritier Sultan, qui fut Ministre de la Défense depuis 1963 jusqu’à sa mort en 2011, secondé par son fils le prince Khaled Ben Sultan Ben Abdulaziz (KBS était adjoint du Ministre de la Défense de 2001 à 2011 avant de devenir vice-Ministre de la Défense en 2011 et jusqu’en 2013). Depuis 2011, avec la récupération (progressive) du portefeuille de la Défense par le clan Salman (Salman lui-même entre 2011 et 2015 et son fils l’actuel Prince héritier MBS depuis 2015), la SOFRESA, rebaptisée ODAS, perdait sa raison d’être.
Si ODAS pouvait encore servir à piloter des programmes, cette structure, perçue comme la chasse gardée du clan Sultan désormais rival du clan Salman, n’était plus acceptée par MBS. Les ambitions de celui qui s’apprêtait à saisir (tous) les pouvoirs dans l’ombre de son père le guidaient vers l’élimination systématique des risques potentiels au sein du système qu’il se construisait lui-même. ODAS, qu’il pouvait percevoir comme une des caisses noires d’un système dont il a juré la liquidation, devait naturellement disparaître.
ODAS n’était pas la cause de l’absence de contrats majeurs entre la France et l’Arabie saoudite. D’ailleurs, les industriels français cumulaient en 2016 des livraisons d’armes au royaume pour près de €2md, alors qu’ils y décrochaient cette même année des contrats pour près de €18md. Mais cette structure, réaménagée dans la forme, manquait toujours de réadapter sa stratégie et sa vision pour accompagner les changements profonds observés en Arabie saoudite. ODAS ne servait plus à décrocher des contrats majeurs. Elle se contentait de contribuer, au cas par cas, à des programmes franco-saoudiens existants. ODAS devient une structure de coordination de certains programmes (c’est le cas par exemple du programme DONAS, confié par le Roi Abdullah Ben Abdulaziz à la France pour équiper l’Armée libanaise pour $3md, et qui a finalement profité aux Forces armées saoudiennes), tolérée par les Saoudiens sans conviction. Elle a perdu, et depuis longtemps, son rôle de négociateur de contrats et d’apporteur de nouveaux business.
A l’arrivée du Prince héritier saoudien à Paris, pour sa visite officielle les 09-10 Avril, l’avenir d’ODAS était définitivement scellé : le Ministère des Armées a informé sa direction qu’elle devra se contenter à partir de maintenant de l’exécution des contrats en cours jusqu’à leur finalisation. Dans les faits, ODAS disparaît du paysage franco-saoudien, comme négociateur et interlocuteur « politique » du Ministère saoudien de la Défense et des industriels français de l’armement, et se retrouve comme simple exécutant « technique », provisoire d’ailleurs. La France renonce à présenter une « nouvelle stratégie » au Prince héritier saoudien qui l’aurait très certainement refusée, et se rend, enfin, à l’évidence : ODAS est devenue, dans le contexte actuel, une structure superflue. Elle est une structure exécutive d’appoint. Au mieux. Le prince est satisfait.
Le Président Emmanuel Macron savait qu’il fallait faire table rase de telles structures franco-saoudiennes, dont son interlocuteur saoudien ne veut plus d’ailleurs. Il fallait renouveler les outils de travail dans ce pays. Dans le domaine de l’armement, il fallait « sortir ODAS du jeu pour relancer la coopération » franco-saoudienne. Dans une note du 3 Septembre 2017, MESP affirmait que :
En fait, pour la partie saoudienne, ODAS n’a plus lieu d’être. D’ailleurs, pour MBS personnellement, ODAS n’existe plus depuis longtemps déjà.
Dans cette même note, MESP estimait que :
ODAS fait partie de ces plateformes qu’il faut soit réformer en profondeur, en partenariat direct avec l’équipe de MBS, soit abandonner au profit d’un nouveau mode d’action négocié par les deux parties.
Mais, à Paris, tout le monde ne l’entendait pas ainsi : la Ministre des Armées Florence Parly annonçait à MBS, au courant de septembre 2017, une « nouvelle stratégie » pour ODAS, établie certainement sans concertations directes avec Riyad… En 2014 aussi, MESP s’était intéressée à ODAS dont on s’interrogeait déjà si cette structure était encore « utile » ou si elle était maintenant « superflue ». Dans cette note, qui précédait une demande directe de MBS faite à la France pour abandonner ODAS, MESP affirmait que depuis la fin des réseaux « France-Sultan », ODAS était « en mal de missions claires » et peinait des années après avoir remplacé la SOFRESA, « à trouver sa vitesse de croisière ».
Sur son site, ODAS présente sa double mission au service du secteur de la défense et de la sécurité : la commercialisation et le contrôle. Sa zone géographique est aujourd’hui le monde, avec une expertise revendiquée pour le Moyen-Orient, après avoir longtemps servi les intérêts des industriels et de l’Etat français sur le marché saoudien depuis sa création (SOFRESA). La SOFRESA, qui n’aurait pas servi que des intérêts industriels et gouvernementaux lorsqu’elle avait l’exclusivité des montages financiers avec le clan Sultan, ne pouvait survivre à la disparition de sa raison d’être originelle. Depuis l’effritement des réseaux “franco-Sultan”, la disparition de la SOFRESA donna lieu à cette nouvelle structure, ODAS, en mal, depuis, de missions claires.
La nouvelle stratégie de coopération convenue par Paris et Riyad, et confirmée à l’occasion de la visite de MBS, ramène aux « palais » les contrats d’armement « à forte teneur politique ». Plus besoin de structures dont on pouvait interroger la transparence, et plus besoin, peut-être aussi, d’intermédiaires dont on pouvait craindre l’opacité. Pour MBS, qui accorde à nouveau la priorité dans ses programmes de défense et d’armement aux Etats-Unis, la coopération militaire avec la France devrait nécessairement comporter une double dimension : une dimension politique et une autre technologique. Deux dimensions qu’il entend contrôler lui-même directement : la France est une puissance européenne active et bien présente sur les dossiers du Moyen-Orient qui comptent pour sa stratégie d’influence régionale, et c’est également un partenaire potentiel valorisant pour sa Vision 2030 qui accorde une place centrale aux transferts de savoir-faire et de technologies (y compris dans le domaine de la défense via SAMI).
La disparition d’ODAS semblait nécessaire donc pour permettre l’installation d’une confiance plus affirmée entre le diwan royal et l’Elysée, et pour réduire les intermédiaires sur ses dossiers stratégiques entre le (futur) Roi d’Arabie saoudite et le Président français. Une « nouvelle vision du partenariat stratégique franco-saoudien » (communiqué de l’Elysée publié avant l’arrivée de MBS à Paris le 08 avril), appliquée au domaine de l’armement. A suivre.