On s’attend, à Paris, à la conclusion prochaine d’un nouveau contrat d’armement français d’envergure dans le Golfe, avec l’Arabie saoudite cette fois, après la vente de deux satellites à Abu Dhabi. Le Journal du Dimanche (Paris, 25/08), parle d’un contrat pour DCNS, supérieur à €1md, au profit de la Marine saoudienne, ce contrat qu’on annonce depuis près d’un an et dont on espérait la finalisation lors de la visite du Président François Hollande en Arabie saoudite.
DCNS misait sur cette visite présidentielle et sur l’intensification des contacts entre l’Elysée et les responsables saoudiens pour finaliser son contrat avec la RSN. D’aucuns misaient aussi sur la nomination du très francophile ex-commandant de la RSN le prince Fahd Ben Abdullah Ben Mohammad Al Saoud au poste très stratégique de vice-Ministre de la Défense pour obtenir une concrétisation rapide des projets franco-saoudiens et de ceux concernant les forces navales en particulier. Si la visite de F. Hollande, dans sa dimension politique et stratégique, a préparé le terrain au déblocage de certains projets français, dont celui de la DCNS, et si les contacts intensifs engagés par l’Elysée avec les dirigeants saoudiens ouvrent la voie, à leur tour, à de nouvelles perspectives bilatérales (qui ne se limitent pas à la Défense, mais qui couvrent aussi les Ministères de l’Intérieur et de la Garde Nationale), la présence de Fahd Ben Abdullah à la Défense aurait finalement desservi les dossiers français. C’est en tout cas l’impression qu’on peut avoir en suivant les échos du palais à Riyad… La francophilie, qualifiée “d’encombrante” par MESP, du vice-Ministre sortant, aurait joué, en effet, contre les intérêts des industriels français de la défense… [Voir notre analyse: Arabie saoudite – France: DCNS et la francophilie “encombrante” du nouveau vice-Ministre de la Défense].
MESP a choisi de tendre l’oreille à Mujtahidd, le blogueur saoudien anonyme qui revendique plus d’un million de followers sur son compte Twitter (@mujtahidd), pour tenter de mieux comprendre ce qui se dit, au palais, sur l’éviction rapide de Fahd Ben Abdullah de la Défense, et sur une éventuelle dimension franco-saoudienne à ce remaniement express…
En cherchant à expliquer l’éviction du prince Fahd Ben Abdullah de la Défense, quatre mois après sa nomination au poste de vice-Ministre de la Défense en remplacement du prince Khaled Ben Sultan Ben Abdulaziz, Mujtahidd a estimé que deux erreurs fatales ont permis au prince Mohammad Ben Salman Ben Abdulaziz de se débarrasser de cet outsider et de le remplacer par un Sudaïri, le prince Salman Ben Sultan Ben Abdulaziz [Voir notre analyse: FLASH: Salman Ben Sultan nommé vice-Ministre de la Défense: Bandar récupère l’Armée].
Tout d’abord, Fahd Ben Abdullah Ben Mohammad Al Saoud, prince de sang mais non descendant du Roi fondateur Abdulaziz, s’est permis d’exclure des contrats et du business de la Défense, en usant de prérogatives administratives et hiérarchiques, des fils et petits-fils d’Abdulaziz, profitant aussi de la faiblesse intellectuelle du Prince héritier, vice-Premier ministre et Ministre de la Défense Salman Ben Abdulaziz. Le propre clan de Salman, notamment son fils Mohammad Ben Salman, devait batailler pour ne pas se retrouver en marge du business généré par les programmes du Ministère de la Dėfense. Fahd, qui s’était retrouvé, faute de mieux, au cœur de la stratégie de pouvoir du prince Mitaab Ben Abdullah Ben Abdulaziz, fils du Roi Abdullah et Ministre de la Garde Nationale, telle qu’imaginée par le très influent dircab Khaled al-Tueïjri lors de l’éviction du prince Khaled Ben Sultan, se croyait tout permis grâce à cette situation, jusqu’à court-circuiter et marginaliser les princes les plus ambitieux parmi les petits-fils du Roi Abdulaziz.
Ensuite, cette situation lui permettait, pensait-il, et c’est là sa deuxième erreur fatale selon Mujtahidd, de favoriser sa francophilie au détriment de l’allié principal des Al Saoud, les Etats-Unis. Ainsi, Mohammad Ben Salman Ben Abdulaziz, qui choisit de se débarrasser du problème qu’était devenu pour lui et ses ambitions affairistes le vice-Ministre de la Défense, au lieu de s’épuiser à vouloir le contourner à chaque contrat, attendait cette deuxième erreur pour solliciter son père le prince Salman, directement concerné par la Défense.
Selon Mujtahidd, Fahd, cherchant à favoriser ses amitiés françaises au Ministère de la Défense, au détriment d’intérêts américains, comme au bon vieux temps de la Marine, est allé jusqu’à chercher à déstabiliser un programme américain pour la réorganisation de la Défense saoudienne. Fahd l’aurait clairement dit à des responsables américains, y compris au Secrétaire à la Défense, qui l’ont rapporté à l’entourage du Roi Abdullah. Pour Mohammad Ben Salman, Fahd, qui tente de le tenir à l’écart des affaires de la Défense, et qui cherche à favoriser des réseaux français afin d’en profiter financièrement lui-même, devait quitter le Ministère au plus vite. Le fils préféré du Prince héritier sollicita son père afin que l’affaire soit portée devant le Roi en personne, malgré les réticences initiales de Khaled al-Tueijri et du Ministre de la Garde Nationale le prince Mitaab Ben Abdullah. La candidature du prince Salman Ben Sultan Ben Abdulaziz, SG adjoint du Conseil de la sécurité nationale (CSN) et demi-frère du SG du CSN et chef des RG le prince Bandar Ben Sultan Ben Abdulaziz, a fini par rassurer le tandem Mitaab-Tueïjri, car le jeune prince Salman ne peut leur faire de l’ombre ni entraver leurs projets. Le prince Salman Ben Sultan, demi-frère de l’ex-vice Ministre de la Défense le prince Khaled Ben Sultan Ben Abdulaziz, est sous la tutelle de son autre demi-frère le prince Bandar dont il peut servir les desseins politiques, il est vrai. Mais, pour Mitaab et Khaled al-Tueïjri, son profil et sa faible personnalité l’empêchent de tenter une quelconque action politique dans le contexte actuel, d’autant que Bandar aurait lui-même fourni des garanties sur la place à laquelle se tiendra son jeune protégé. Une nomination que certains souhaitent “neutre” dans le jeu du pouvoir interne, comme l’explique l’unanimité faite autour de Salman Ben Sultan entre les princes Mitaab Ben Abdullah et Mohammad Ben Salman, alors que d’autres peuvent y voir une possible récupération de la Défense par le prince Bandar Ben Sultan. Une chose paraît sure: la francophilie de Fahd Ben Abdullah ne l’aurait pas servi dans sa nomination, tout comme l’excès de confiance que lui procurait le soutien du tandem Mitaab-Tueïjri qui l’a finalement lâché.
A l’évidence, la défense des intérêts des cercles les plus fermés des clans au pouvoir actuellement, et celle de l’allié américain, ne sont pas négociables, à ce poste-là. Pour autant, cela ne ferme pas le Ministère de la Défense devant les industriels français. Mais cela permet au premier cercle du pouvoir à Riyad de recentrer ses priorités en fonction de ses propres intérêts, exclusivement… Le lobby français à Riyad reste une illusion. Une illusion que les industriels français et les autorités doivent oublier, tout en privilégiant, au coup par coup, des programmes qui reflètent, par leur nature et/ou leur timing, des intérêts stratégiques partagés [Voir notre analyse: Arabie saoudite – France: Bandar Ben Sultan sollicite Paris sur la Syrie].