Par Fadi Assaf.
Sa Sainteté le Pape Benoit XVI est attendu au Liban en septembre prochain. Il rappellera aux Chrétiens libanais et orientaux leur devoir, tel que réaffirmé dans le Synode sur le Liban, de préserver leur ancrage dans leurs terres et leurs sociétés d’origine. Le Vatican est inquiet, et ne pourra plus cacher son inquiétude indéfiniment derrière un langage diplomatique, prudent et précautionneux. Les évolutions politiques et sociales dans le monde arabo-musulman sont inquiétantes, en effet, pour les libertés de manière générale, et pour celles des minorités religieuses en particulier.
Les Chrétiens de Syrie, comme les autres minorités religieuses et confessionnelles dans ce pays, se sentent désormais visés dans leur présence millénaire, et cette crainte, légitime devant l’exacerbation de la violence et la radicalisation de la société, est ressentie désormais auprès des Chrétiens du Liban. En effet, le tsunami révolutionnaire, arrivé en Syrie, affecte de manière directe le Liban où les Chrétiens, devenus minoritaires d’un point de vue démographique, s’inquiètent de subir le sort de leurs coreligionnaires d’Irak et maintenant ceux de Syrie. Au Liban, la montée en puissance d’un islam sunnite réactionnaire et radical, face à un islam chiite révolutionnaire et tout aussi radical, place les Chrétiens au centre d’une guerre de religion que le temps et les siècles n’arrivent toujours pas à apaiser, et qui est relancée avec violence au gré d’une géopolitique instable et capricieuse.
Se superposent aujourd’hui sur la scène libanaise une série d’antagonismes d’ordre géopolitique initialement, qui se traduisent par une recrudescence des tensions confessionnelles, entre les deux composantes majoritaires de l’islam. Si le régime alaouite de Damas, allié de l’Iran perse et chiite, et soutenu encore par Moscou et Pékin, n’hésitera pas à chercher à exporter sa crise vers le Liban, il est clair aussi que les opposants au régime laïc du clan Assad, qui dévient sûrement vers un radicalisme sunnite obscurantiste, prennent ouvertement le risque d’ouvrir un front anti-syrien à partir du nord du pays, encouragés par leurs soutiens et sponsors régionaux (monarchies arabes du Golfe, Turquie, Frères Musulmans/Wahhabites/Salafistes) ou internationaux (Etats-Unis, Europe, al-Qaëda). L’Armée libanaise, commandée, selon les acrobaties constitutionnelles, par le général chrétien maronite Jean Kahwaji, tente, avec une couverture politique aléatoire, de préserver la stabilité dans les points chauds du pays, à Tripoli et dans les zones de cohabitation entre Sunnites et Chiites et entre pro et anti-Assad.
L’Institution militaire fait, certes, l’unanimité parmi les Libanais, même si d’aucuns expriment certaines réserves à son égard, voire des critiques ouvertes comme celles qui émanent des milieux sunnites les plus radicaux. Elle reste, en tout cas, le pilier de l’unité nationale, et la pierre angulaire de l’Etat central. L’Armée, qui demeure la seule véritable institution nationale de par la diversité de ses effectifs et son respect des équilibres confessionnels, claniques et régionaux, est condamnée à l’action pour préserver l’unité nationale et éviter un glissement dangereux et irrévocable du Liban vers le conflit syrien. Elle a besoin, impérativement, d’une couverture politique locale la plus franche possible et la plus nationale, comme elle a besoin d’un soutien extérieur pour maintenir sa capacité d’action. Alors qu’il est paralysé à divers égards, le Conseil des ministres a envoyé un message fort en direction de l’Armée, et les forces armées et de sécurité de manière plus générale, lorsqu’il a trouvé le compromis nécessaire pour débloquer les budgets de fonctionnement vitaux pour les Ministères de la Défense et de l’Intérieur. Les partenaires extérieurs de l’Armée libanaise, surtout les Etats-Unis et dans une moindre mesure le Royaume-Uni, et en attendant une réaffirmation de l’engagement de la France, semblent conscients de l’urgence de préserver la capacité d’action des forces armées libanaises, et élargissent leurs aides opérationnelles aux Forces Spéciales surtout.
Certains veulent y voir une précaution de la part de la communauté internationale, et indépendamment des évolutions actuelles en Syrie et des possibilités de règlement plus ou moins rapides de la crise, pour préserver la stabilité du Liban, afin de sauvegarder un minimum de cohésion nationale et de sécurité indispensables pour freiner l’émigration chrétienne. La FINUL, déployée au sud du Liban, pour faire respecter la résolution 1701, offre elle aussi, d’une certaine manière, quelques garanties, morales surtout, à la présence chrétienne. Les ennemis de cette diversité, ceux qui ont sévi en Irak et ailleurs, seraient-ils tentés de déstabiliser ce schéma pour, justement, ébranler la confiance des minorités chrétiennes dans leur avenir au Liban et au Levant ?
Le Pape viendra en septembre au Liban, et offrira des garanties supplémentaires aux Chrétiens d’Orient. Encore faut-il que le Vatican parvienne à transmettre son point de vue aux superpuissances. Pourquoi ne pas pousser l’utopisme jusqu’à espérer une convergence de vues entre Américains et Russes, avec les encouragements du Vatican, et dont sortiraient, au cours des prochains mois, des arrangements régionaux aujourd’hui inespérés ?