Par Fadi Assaf. Rédigé le 28 Avril 2012.
Après le retrait américain d’Irak, et devant la progression évidente de l’influence iranienne dans ce pays sous diverses formes, l’Arabie saoudite semble avoir choisi de sortir de sa réserve et d’ouvrir la bataille de Bagdad. Le vice-président irakien Tareq al-Hachimi, accusé de terrorisme par le PM Nouri al-Maliki, a été reçu comme un chef d’Etat lors de sa visite « officielle » au Qatar, alors qu’il est recherché par la justice de son pays et qu’il se trouve sous la protection des autorités kurdes à Erbil. Au même moment, le vice-président de Saddam Hussein, Izzat el-Douri, recherché depuis 2003 par les Américains et les autorités de son pays, faisait une réapparition médiatique remarquée, pour fustiger l’Iran, alors qu’il serait sous la protection des services de renseignement saoudiens dans un pays arabe allié qui pourrait être la Jordanie ou les EAU. Parallèlement, les voitures piégées continuent de viser les quartiers chiites de Bagdad et d’ailleurs, même si le terrorisme fondamentaliste sunnite, qui bénéficie d’une aide matérielle saoudienne et arabe du Golfe sous des formes diverses et variées, s’intéresse désormais à un autre front « anti-iranien » : la Syrie.
En Syrie, comme en Irak, la convergence de vues entre Saoudiens et Américains ne semble pas parfaite, loin de là. Cela explique parfois la tentation des dirigeants saoudiens de faire cavalier seul sur ces deux terrains. Cela explique les tentatives faites par Riyad, et avec elle le Qatar, de « revenir » en Irak par les voies possibles et accessibles, même si ce repositionnement voulu par Riyad sur la scène irakienne peut se faire sans une coordination systématique avec les Américains… Cela explique aussi en partie la détermination de Riyad et de Doha d’accentuer la pression sur la Syrie, même si les Américains hésitent à forcer la voie et ne suivent pas forcément la voie tracée par les Saoudiens et les Qataris… La saisie annoncée le 27/04 d’un navire transportant des armes libyennes vers le port de Tripoli au nord du Liban, par l’Armée libanaise et l’unité navale de la FINUL, avec à son bord un arsenal récupéré en Libye et destiné aux rebelles de Syrie via la porte libanaise, confirme cette volonté saoudienne et qatarie de vouloir imposer un fait accompli sur la scène syrienne, face à leurs alliés américains…
En effet, les dirigeants saoudiens, et avec eux les dirigeants qataris plus jeunes et plus dynamiques et qui pensent prendre la relève de la direction saoudienne vieillissante sur les dossiers bilatéraux, s’impliquent de plus en plus dans le dossier irakien et dans le dossier syrien. Parmi les considérations qui motivent leurs actions, l’Iran et la lutte contre l’influence iranienne dans le monde arabo-sunnite. Il s’agit de contrer cette influence qui s’étendait en Irak après le renversement de Saddam Hussein et sous l’occupation américaine, et de tenter de déstabiliser l’alliance syro-iranienne au Levant, alliance dont la pierre angulaire reste aujourd’hui l’entente entre le régime alaouite de Damas et le Hezbollah libanais chiite pro-iranien, même si le mouvement palestinien radical Hamas commence à s’en éloigner. Les Saoudiens et les Qataris, qui pensent pouvoir compter sur une alliance internationale la plus large possible comme dans le cas de la Libye, expriment une solidarité de principe avec les EAU face à l’Iran, appelant à une mobilisation du CCG contre la visite que vient d’effectuer le président Mahmoud Ahmadinejad sur un des îlots émiratis « occupés » par l’Iran dans le Golfe. Entre-temps, les populations chiites de Bahreïn, qui ont toujours revendiqué, dans leur majorité, leur arabité, et qui ont constamment cherché à préserver le caractère pacifique de leur contestation contre le régime sunnite minoritaire, sont tentées de plus en plus de se jeter dans les bras de l’Iran et d’opter pour une radicalisation de leurs actions… Parallèlement aux évolutions à Bahreïn, en Irak, en Syrie et au Liban, la province orientale d’Arabie saoudite, où sont installées les populations chiites saoudiennes, commence à bouger à nouveau, avec une incompréhension toujours aussi grande des deux côtés, une incompréhension qui pourrait finir par attiser et radicaliser les actions de revendication locales et à mettre en avant leur dimension confessionnelle et même régionale (pour la première fois, le chef du Hezbollah Hassan Nasrallah évoque aujourd’hui la problématique d’al-Qatif)…
Sans s’attarder sur le cas du Yémen, qui reste une source de préoccupations majeure pour les dirigeants saoudiens, même après l’installation du président Hadi, il est de plus en plus évident que l’environnement de l’Arabie saoudite se détériore, et que la direction saoudienne, vieillissante et affaiblie par des querelles de succession, semble tentée par exporter ses problèmes vers d’autres théâtres porteurs. L’Irak et la Syrie redeviennent une priorité pour les Saoudiens qui doivent douter de la solidarité de l’engagement du principal allié américain. Il semble que les Saoudiens ne s’attendent plus à un engagement jusqu’au-boutiste de Washington à leurs côtés contre l’Iran et contre son influence en Irak, dans la Péninsule arabique, et au Levant. Les Saoudiens pensent devoir imposer un nouveau fait accompli, comme ils l’avaient fait à Bahreïn, ou d’entraîner les Américains à imposer des solutions politiques à leur avantage, comme ils l’avaient fait au Yémen, et estiment indispensable pour eux, afin d’éloigner les pressions sur leur propre régime, d’ouvrir la bataille de Bagdad, bataille qui a pour corollaire la bataille de Damas… C’est en tout cas la stratégie actuelle du régime saoudien, en Irak et en Syrie, et face à l’Iran dont on redoute toujours à Riyad un éventuel rapprochement ou toute possibilité d’entente avec Washington…
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