Liban: Encerclé de toutes parts, le Hezbollah planifie sa survie politique


Les accrochages armés à la frontière syro-libanaise impliquent les forces armées du nouveau pouvoir syrien d’une part, et des contrebandiers libanais issus surtout de clans chiites pro-Hezbollah (les clans Zaaiter, Jaafar, Nassereddin, al-Masri, Alaoui, Husseini). L’Armée libanaise et les Forces armées syriennes coordonnent sur le terrain, en prenant en compte les considérations sécuritaires certes, mais aussi les considérations politiques locales. Aucun des deux camps ne souhaite que ce conflit ne s’éternise et qu’il ne se traduise en une guerre ouverte entre le Liban et la Syrie ou en une fitna confessionnelle. Les risques de dérapage demeurent importants, au vu des enjeux.

Pour le camp syrien, il est impératif de libérer les villages et bourgs occupés par des sympathisants de l’ancien régime et par des groupes liés au Hezbollah, et d’organiser le retour des habitants. Pour les autorités syriennes et libanaises, qui re-déploient leurs troupes sur l’ensemble de la zone, l’enjeu principal reste le démantèlement des voies de communications empruntées par les trafiquants de drogue notamment.

Mais tôt ou tard, et même après le déploiement de l’Armée libanaise le long de la frontière avec la Syrie, la délimitation de la frontière terrestre et de la frontière maritime entre les deux pays se posera avec acuité, tout comme le désarmement des clans (en application de la résolution 1559 du CSNU). Pour le moment, on va au plus urgent : lutter contre le trafic et le crime organisé, accentuer la pression sur le Hezbollah et ses soutiens locaux, et déployer l’Armée dans des zones qui lui étaient pratiquement interdites autrefois.

Ailleurs au Liban, le Hezbollah est sous forte pression et continue de perdre du terrain, même s’il refuse encore de le reconnaitre et qu’il tentera toujours de remonter la pente. Concrètement, le parti chiite pro-iranien est plus fragilisé que jamais, militairement, financièrement, politiquement. Pour autant, il reste, pour ce qu’il représente au sein de sa communauté, un acteur central dans le jeu libanais.

Plusieurs occasions proches permettront de mesurer, progressivement, l’évolution de son état général, et donc son influence : après l’élection à la Présidence du chef de l’Armée le général Joseph Aoun (qui a montré l’incapacité de « l’axe de la résistance » à porter son candidat à la tête de l’Etat) et la désignation de Nawaf Salam pour former un gouvernement (non contrôlé par le Hezbollah), plusieurs rendez-vous seront à surveiller, à commencer par le contenu de la déclaration ministérielle (annoncée comme « souverainiste » essentiellement) et le vote de confiance du gouvernement, les pressions militaires israéliennes qui ne retombent pas (au sud et à travers le pays, y compris à la frontière avec la Syrie), la mobilisation de la rue sunnite à  l’occasion de la commémoration de l’assassinat de Rafic Hariri le 14/02, le retrait israélien (18/02), les funérailles de Hassan Nasrallah (annoncées comme un plébiscite par le parti qui testera ainsi sa légitimité confessionnelle et nationale), l’issue du conflit à la frontière syrienne avec le HTS, l’implémentation des résolutions internationales 1701 et 1559, la reconstruction, les élections municipales, et, enfin,  les élections législatives (mai 2026).

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Tensions à la frontière syro-libanaise : L’Armée libanaise, dont le directeur du bureau de la coopération et de la coordination le général Michel Boutros s’est réuni le 23/01 avec le CEM syrien le général Ali Naasan pour discuter du mécanisme de contrôle de la frontière commune selon une annonce faite par le ministère syrien de la défense, renforce ses positions sur le sol libanais et évite encore aujourd’hui d’être entraînée dans ce nouveau conflit : par crainte d’un élargissement de ce conflit frontalier, le Président libanais Joseph Aoun a appelé le Président syrien Ahmad al-Chareh (Joseph Aoun, alors chef de l’Armée, s’était opposé militairement à Abou Mohammad al-Joulani, alias Ahmad al-Chareh, lorsque ce dernier commandait le groupe terroriste Jabhat al-Nosra…) pour le féliciter (tardivement) pour son élection et surtout, pour discuter avec lui de la nécessité de coordonner ensemble le contrôle de la situation à la frontière syro-libanaise et d’éviter de cibler les civils.

Ce conflit risque de prendre une tournure syro-libanaise : même si le Hezbollah n’est pas (encore) officiellement impliqué dans ces incidents (par manque de moyens et de volonté dans le contexte actuel), les Forces armées syriennes (en fait, les forces de HTS) sont mobilisées contre le parti chiite pro-iranien et pro-Assad et qui a été directement impliqué dans l’occupation de régions sunnites en Syrie, le transfert des populations locales, et les massacres aussi.  C’est donc dans un esprit revanchard que les forces syriennes s’en prennent aux trafiquants qu’ils considèrent comme des relais du Hezbollah et des (ex) partenaires des réseaux de l’ancien régime.

Ce conflit risque aussi de prendre une tournure confessionnelle puisqu’il met face à face des combattants djihadistes sunnites et des miliciens chiites pro-Hezbollah. Le Hezbollah, qui occupait des zones frontalières des deux côtés, au Liban et en Syrie, et qui est en partie responsable du déplacement de milliers de Syriens sunnites de la région pousse aux premières lignes de ce nouveau conflit ses sympathisants issus donc de clans chiites et qui gèrent de juteuses activités de trafics entre les deux pays.

Pour le Hezbollah et ses partenaires locaux, la perte d’interlocuteurs en Syrie sur les routes du trafic (les officiers de l’Armée de Bachar al-Assad et leurs relais locaux), au moment où l’organisation pro-iranienne et ses bases chiites sont aux prises avec une crise financière sans précédent, la fermeture de ce business est économiquement et socialement difficile à tolérer.

Sur ces mêmes voies de trafics, le Hezbollah et ses trafiquants faisaient transiter leurs armes et matériels militaires dans un sens ou dans l’autre, selon les besoins. Les bombardements israéliens ont ciblé les sites de stockages, les tunnels, les sites d’assemblage, les convois, réduisant sensiblement cette activité stratégique pour la milice libanaise. L’Armée israélienne poursuit d’ailleurs ses attaques sur la zone, comme ce fut le cas dans la nuit du 06 au 07/02 par exemple, soit une douzaine de jours avant la nouvelle date fixée pour l’accord de trêve entre le Liban et Israël.

Pour le Président Joseph Aoun et son gouvernement, et pour l’Armée libanaise, la prudence est de mise sur ce dossier : il s’agit d’agir pour éviter une extension du conflit, et il s’agit aussi de ne pas permettre que ce conflit ne se transforme en un conflit entre Beyrouth et Damas (alors que les relations entre les deux pays sont dans une situation délicate) ou en un conflit entre Sunnites et Chiites (une fitna s’étendrait vite à l’intérieur du Liban et de la Syrie et peut-être au-delà aussi). C’est pour cela que l’Armée a engagé le contact avec l’Etat-major syrien pour une meilleure coordination sur le terrain, qu’elle s’est déployée dans des régions frontalières, qu’elle reste prudente à répondre aux tirs en provenance du côté syrien (réactions ponctuelles et proportionnelles), et qu’elle tente de protéger les civils pris au piège de ces incidents. C’est pour cela aussi que le Président Joseph Aoun en a parlé directement au Président Ahmad al-Chareh et qu’il entend confier la mission d’ouvrir le dossier des frontières (délimitation, confirmation, surveillance et contrôle) au nouveau gouvernement.

Le principal élément positif de ces incidents reste une détermination de plus en plus visible côté syrien et côté libanais à couper les voies du trafic de Captagon et d’armes surtout entre les deux pays, une activité qui nuit aux sociétés syrienne et libanaise et aux relations entre la Syrie et le Liban d’une part, et leurs partenaires arabes du Golfe notamment et aussi les pays européens d’autre part.

Pressions soutenues contre le Hezbollah : La pression continue de monter contre le Hezbollah et ses alliés libanais : militairement avec la poursuite des attaques ciblés, des bombardements et des sabotages de sites, au sud et au nord du Litani, le retour, à la carte, des drones israéliens dans le ciel libanais jusqu’à Beyrouth ; économiquement et socialement avec l’effondrement qui se poursuit du système financier du Hezbollah (la « banque » du « Qard al-Hassan », la surveillance accrue de l’approvisionnement en cash en provenance de l’Iran et de l’Irak notamment, le manque de moyens y compris via les structures de l’Etat pour reconstruire les zones dévastées, le contrôle qui s’installe aux ports et à l’aéroport en plus de la destruction systématique des voies de trafics avec la Syrie ; politiquement, avec les changements en cours au niveau de la recomposition du pouvoir et les lignes rouges que l’on tente d’imposer au Hezbollah et à ses alliés.

Malgré ces pressions, qui succèdent à une défaite militaire sur le terrain et à l’élimination d’une partie importante de son leadership et de ses moyens opérationnels, le Hezbollah refuse toujours de s’avouer vaincu : il tente d’imposer encore et toujours son diktat aux autres composantes libanaises, comme dans le cas de la constitution du gouvernement du Premier ministre désigné Nawaf Salam, multiplie les intimidations à l’encontre de ses opposants (organisation de convois armés lors des funérailles de ses combattants, organisation de convois de sympathisants à motocycles dans des régions paisibles de la capitale et d’ailleurs, intensification des attaques via les réseaux sociaux et les médias contrôlés par le Hezbollah). Surtout, le Hezbollah et avec lui le mouvement Amal, s’accrochent aux avantages qu’ils ont réussi à arracher aux autres composantes libanaises au cours des dernières décennies, sous l’occupation syrienne et grâce à l’influence iranienne au Liban et au Levant : ils ne concevaient pas en effet de renoncer au « tiers de blocage » qu’ils ont instauré depuis surtout l’accord de Doha en 2008 (qui a fini par biaiser l’esprit de l’accord de Taëf et donc de la Constitution), même si cela n’est pas officialisé par écrit. Ces considérations liées à la représentation du Hezbollah et de ses alliés ont retardé l’annonce du gouvernement qui était prévue pour le 07/02, la veille de l’arrivée de l’émissaire américaine pour le Moyen-Orient Morgan Ortagus…

Au Liban, Morgan Ortagus a créé l’évènement. On a vite compris, après sa visite le 07/02 au palais présidentiel, et ses déclarations particulièrement virulentes à l’égard du Hezbollah, que la campagne contre « le camp de la résistance » va encore s’amplifier. En effet, elle a mis en garde le Hezbollah, et les autorités libanaises en même temps, de manière on ne peut plus clair en leur faisant savoir le refus des Etats-Unis de voir le parti chiite avoir son mot à dire au sein d’un quelconque gouvernement. Selon elle, le Hezbollah a été vaincu par Israël et cela doit se traduire en politique… En même temps, le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu, qui vient d’être reçu par le Président Donald Trump à la Maison Blanche le 04/02 (devenant le premier chef d’Etat étranger à avoir ce privilège), a lui aussi adressé des mises en garde au Hezbollah et aux autorités libanaises, avec la reprise des bombardements massifs contre les intérêts du parti chiite au sud et au nord du Litani, à l’approche de la date du 18 Février…

Le passage de l’émissaire américaine a fait son effet, et les pressions intensives subies par le Hezbollah aussi : après sa rencontre le 08/02 avec le Président du Parlement Nabih Berri, chef du mouvement Amal et allié du Hezbollah, et sa rencontre avec le Premier ministre Nawaf Salam, le gouvernement a été annoncé quelques heures plus tard, un gouvernement dans lequel le Hezbollah et Amal n’ont pas « le tiers de blocage » qu’ils espéraient encore arracher à Salam, et dans lequel ils n’ont pas d’alliés politiques d’autres confessions (pas de couverture chrétienne surtout), sans parler des modalités du choix de leurs ministres…

A Beyrouth, on a le sentiment qu’Israël pourrait, s’il obtenait le feu vert de Washington, revenir à la charge contre le Hezbollah et l’achever militairement, surtout si les diverses parties libanaises ne parviennent pas à contenir son influence politique… Comment réagiraient alors les alliés du Hezbollah ? Le CPL, les Maradas et d’autres formations qui ne sont plus représentés au gouvernement, seraient tentés de prendre davantage leurs distances à l’égard du parti pro-iranien, mais quid du mouvement Amal et de Nabih Berri ? Cette question se pose car Berri est connu pour être tout sauf suicidaire en politique…

Le Liban ne pouvait rester en marge des changements en cours sur le plan régional. Il se trouve en plein dedans désormais…

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