Marchés pétroliers: Le pari calculé mais risqué de Riyad


A partir du 1er avril, les pays de l’OPEP et leurs partenaires – à leur tête la Russie – sont libres de toute restriction imposée par l’accord sur la réduction de la production, arrivé à terme le 31 mars 2020.

Les marchés pétroliers se trouvent confrontés à une situation inédite. D’un côté, une chute vertigineuse de la consommation et de la demande. Plusieurs facteurs y contribuent : la pandémie du coronavirus et le ralentissement économique à travers le monde qui s’est traduit par des mesures de confinement et des restrictions à l’activité économique, mais aussi un hiver relativement doux dans l’hémisphère nord. Ainsi, la demande mondiale pourrait chuter d’environ 18,5 millions de barils par jour en avril, selon Goldman Sachs et Standard Chartered, et d’environ 5 millions de barils par jour sur l’année, selon Rystad Energy. En même temps, les marchés sont sur-approvisionnés. Dans un premier temps, la baisse de la demande n’était pas aussi aigue, et l’OPEP+ devait y répondre par une baisse de la production. Mais la réunion du 6 mars 2020 s’est soldée par un échec, la Russie refusant de baisser sa production afin de conserver ses parts de marché, notamment face aux producteurs américains. L’Arabie Saoudite, qui avait bien l’intention de réduire sa production lors de la réunion de l’OPEP+, a riposté en annonçant une augmentation drastique de sa production dès le mois d’avril. Riyad exige désormais que toutes les parties prennent leur responsabilité dans la gestion du marché. D’autres producteurs lui ont emboité le pas et c’est environ 4 millions de barils par jour qui pourraient venir s’ajouter à un marché qui était déjà sur-approvisionné et en mal de demande. On assiste donc à un double choc de l’offre et de la demande qui a fait plonger le prix du baril.

C’est un véritable blitzkrieg que tente l’Arabie Saoudite, avec pour objectif de contrôler éventuellement l’offre une fois la demande relancée. Le Royaume possède suffisamment de réserves financières pour supporter des prix bas pendant un certain temps tout en faisant des économies sur d’autres créneaux, contrairement à ses concurrents qui ne bénéficient pas du même coussin financier, ni de la même indulgence de la part de leurs citoyens. Si les Saoudiens arrivent à faire fléchir leurs concurrents sur le court terme, ça sera un succès pour eux, et pour cette nouvelle classe de dirigeants, plus provocatrice, plus disposée à prendre des risques et plus imprévisible. Pour l’instant, le bilan de cette politique n’est pas positif (Yémen, Syrie, Qatar). Si la situation dure trop longtemps, ça sera un revers de plus pour Riyad, qui risque aussi de ne pas trouver suffisamment de preneurs dans ce contexte. Cela dit, si l’on s’en tient uniquement aux réalités du marché, les Saoudiens ont les moyens de poursuivre leur stratégie suffisamment longtemps et pourraient bien réussir leur pari. Mais les pressions politiques, notamment de la part des Américains qui sont les principaux perdants de cette offensive, pourraient venir compliquer leurs plans.

Parce que la Russie est loin d’être le seul concurrent visé par l’Arabie Saoudite : Au-delà de l’objectif initial d’une prise de responsabilité commune du marché, Riyad veut faire sortir du marché une partie de la capacité de production mondiale, quelle qu’en soit l’origine. Les premiers qui vont en souffrir sont naturellement les producteurs aux coûts les plus élevés, en Amérique du Nord, dans le Golfe du Mexique, au Brésil et ailleurs. Rien qu’aux Etats-Unis, cela pourrait emporter un million de barils par jour.

L’Arabie Saoudite espère ainsi grignoter davantage de parts de marché en détruisant – et pas seulement en suspendant temporairement – une partie de la capacité de production de ses concurrents, sachant que les stocks se remplissent aussi et qu’une fois saturés, un certain nombre de puits devra être fermé, et ne pourra pas relancer la production avec le regain de la demande plus tard. L’objectif de Riyad est donc de se préparer pour le jour d’après, afin d’avoir une moins grande capacité mondiale de production lorsque la demande sera rétablie. Si cela se concrétise, l’approvisionnement va baisser, ce qui va aider à rééquilibrer le marché à nouveau et se répercuter sur les prix. Les Saoudiens pourront ainsi éventuellement compenser les pertes actuelles. Si Moscou arrive à tenir le coup entretemps, l’objectif final lui convient parfaitement aussi.

L’évolution des prix dépendra naturellement de l’offre et de la demande, plus précisément de l’état de l’économie mondiale, qui affecte la demande, et du niveau de production. Mais il y a donc un troisième élément important qui va influencer l’évolution des prix plus tard : le nombre de puits qui ne pourront plus reprendre leur production, même après un regain de la demande. Cela va toucher les producteurs à coûts élevés, et en particulier le plus important parmi eux, les Etats-Unis. Riyad prendra-t-il le risque de contrarier son partenaire américain ? Les prix peu élevés pourraient faire l’affaire du Président Trump avant les élections de novembre 2020, mais des prix trop bas pourraient porter un sérieux coup à l’industrie du pétrole et du gaz aux Etats-Unis qui se trouve ainsi « assiégée », selon les termes du Président américain. Il s’agit là d’une dynamique à part entière qui pourra influencer le jugement de Riyad et la suite des évènements.

La situation actuelle est donc forcément temporaire, mais à ce stade le flou est encore total. Il est difficile de prévoir quand les principaux producteurs concernés vont reprendre un dialogue constructif et s’ils vont apporter une réponse coordonnée, ni quand l’économie va se remettre en route, ni d’ailleurs quand la pandémie du coronavirus va être contrôlée. Le pire c’est qu’elle pourrait être cyclique, à l’image de la grippe, ce qui serait une mauvaise nouvelle pour l’état de l’économie mondiale, et donc pour la demande en énergie.

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