Moyen-Orient: Communiquer sur les priorités stratégiques françaises


Publié dans le numéro 64 de la LettreM.

Sur la zone Afrique du Nord Moyen-Orient, la France reste mobilisée sur plusieurs dossiers majeurs. Cela lui confère une présence certaine, et une certaine influence. Ses moyens opérationnels, limités par rapport à ses ambitions, sont parfois éparpillés. Sa vision des enjeux régionaux, parfois prisonnière de prismes idéologiques, paraît incohérente dans certains cas. Sa communication en direction des alliés et partenaires régionaux est inconséquente.

Les enjeux de cette région pour les Etats-Unis évoluent et cela se traduit par une relativisation de la place du Moyen-Orient aux yeux de Washington. Cela affecte forcément le positionnement des alliés occidentaux des Etats-Unis, dont la France, et invite d’autres acteurs, dont la Russie, les puissances asiatiques, la Turquie, à y élargir leur présence. Ceux-ci viennent concurrencer de plus en plus les anciennes puissances occidentales qui perdent progressivement le parapluie stratégique que leur offrait la position dominante des Etats-Unis. Les mutations géopolitiques en cours imposent donc une réflexion, déjà engagée, mais qui mérite d’être élargie et accélérée. Les résultats de l’action française sur plusieurs dossiers régionaux, comme la Syrie et la Libye (où des acteurs comme la Russie et la Turquie s’imposent dans le jeu), rendent plus urgente l’ouverture de ce chantier.

Présence ne signifie pas influence

La diplomatie du Président Emmanuel Macron est proactive. Elle est dynamique et assure une présence pour la France au Moyen-Orient. Ses limites sont évidentes et empêchent de transformer ce dynamisme et ce rayonnement en influence. Les succès s’apparentent plus à des actions isolées et opportunistes, tactiques au mieux, qu’à de véritables stratégies.

Parmi ces succès qu’on attribue au Président français, son intervention personnelle en novembre 2017 qui a permis de débloquer le dossier Hariri à Riyad, et la gestion de la crise du Qatar. La crise du Qatar, qui attend toujours d’être réglée, aura été l’occasion pour la France de préserver ses liens avec l’ensemble des acteurs, en ne faisant rien pratiquement. La France a fait jouer le temps, pour ne pas y laisser des plumes. En cela, sa prudence, pour ne pas dire son inaction, aurait été un succès. Au Moyen-Orient, la diplomatie française se distingue surtout par sa capacité à « parler à tout le monde », acteurs régionaux et internationaux, et cela est en soi un succès que Paris s’efforce de conserver pour ce que cela lui procure comme impact.

La guerre contre le terrorisme (au Levant : Chammal, au Sahel : G5), l’Iran (nucléaire iranien, tensions avec les Etats-Unis et tentative de médiation, incidents militaires dans le Golfe et déploiement de renforts y compris en Arabie saoudite), la sécurité du trafic maritime dans le Golfe (initiative franco-européenne pour la sécurisation du détroit d’Ormuz), la stabilisation en Méditerranée (y compris la Méditerranée orientale théâtre de tensions avec la Turquie, et où la France choisit de prendre pied à Chypre comme pour renforcer sa posture proche-orientale aussi, et « le sommet des deux rives » pour tenter de relancer une politique partenariale entre les deux rives de la Méditerranée), la crise syrienne et la crise libyenne (deux crises sur lesquelles la France s’efforce de peser, en vain, avec parfois des initiatives avancées, mais où elle se retrouve marginalisée de facto), le processus de paix israélo-palestinien (sur lequel la France n’a jamais véritablement pesé), sont autant de dossiers où la France s’implique et sur lesquels elle s’efforce de se maintenir. Mais la réalité est cruelle : sur aucun de ces dossiers, l’action de la France n’aurait été déterminante, ou même suffisamment influente pour parler de véritables succès. Au mieux, la France s’offre un rôle d’appoint qui, encore une fois, lui garantit une présence, mais ne lui offre nullement l’influence recherchée.

L’outil militaire à la rescousse

Au Moyen-Orient, la France a su enrichir et diversifier son approche en direction de ses partenaires avec une place de plus en plus large accordée à la dimension culturelle,  à l’industrie du spectacle, etc. Mais, dans le contexte du Moyen-Orient en particulier, son outil militaire, ses technologies de défense et de sécurité, et sa capacité de projection des forces aident la France à combler, tant bien que mal, ses lacunes et limites sur le plan diplomatique et politique. Cette dimension est particulièrement appréciée par les alliés et partenaires de la France sur la zone.

Lors de ses vœux aux Armées, le 16 janvier 2020, le Président Macron a annoncé le déploiement du porte-avions Charles de Gaulle en Méditerranée orientale, en soutien de l’opération Chammal et en coordination avec plusieurs pays européens. Il a confirmé le maintien de l’engagement français dans les opérations de lutte contre Daech au Levant, malgré le retrait d’autres partenaires, et révélé, par ailleurs, le déploiement en Arabie saoudite de la Task Force Jaguar qui contribue à la « réassurance » de l’Arabie saoudite. La France réagissait ainsi aux menaces militaires contre son partenaire saoudien, en provenance de l’Iran, alors qu’elle lançait « sa » mission européenne pour sécuriser le détroit d’Ormuz et installait son QG à Abou Dhabi. L’Iran a aussitôt réagi, pour dénoncer deux erreurs « corrigeables » commises par Emmanuel Macron, comme l’affirmait le 18 janvier 2020 le porte-parole de son Ministère des Affaires étrangères S.A. Moussavi :  le nom donné au « Golfe persique » par la France et le déploiement de forces armées françaises sur la zone…

La guerre du Yémen a été l’occasion également pour Paris d’exprimer son soutien à ses partenaires saoudien et émirati, en fournissant à leurs troupes engagées sur le sol yéménite un appui opérationnel. Son engagement en Corne de l’Afrique consolide la stature internationale de la France aux yeux de ses partenaires, alors que le G5 Sahel accroît la visibilité de son engagement militaire contre le terrorisme. Sur la scène libyenne qui s’internationalise, et où ses partenaires égyptiens et émiratis sont bien engagés, la France a une présence militaire plus ou moins discrète, mais qui ne compense pas les échecs politiques et diplomatiques accumulés ici ces dernières années. Cet engagement militaire, en appui à son engagement diplomatique, crédibilise davantage la France aux yeux de l’Egypte et des Emirats Arabes Unis.

La France est bien présente sur les dossiers du Moyen-Orient. Mais, présence ne signifie pas forcément influence. Elle a besoin d’ouvrir un chantier sur sa posture moyen-orientale et méditerranéenne, et redéfinir ses priorités à la lumière des mutations profondes que vit la région. Elle gagnerait ensuite à réviser sa communication stratégique en direction de ses alliés, ses partenaires, ses rivaux et ses adversaires, aujourd’hui incohérente et faible.

Communication stratégique

La communication stratégique française en direction des alliés et partenaires de la France dans la région ANMO est désordonnée et son impact est marginal au sein des classes dirigeantes et des élites. La diffusion de la réflexion stratégique française, partie intégrante de la communication stratégique, est elle-même quasi inexistante.

La communication stratégique est pénalisée par l’absence de volonté politique en premier lieu, et par l’éclatement des responsabilités aussi. Une réflexion globale mérite d’être menée afin que les actions entreprises par la France, aux niveaux politique, diplomatique, sécuritaire, environnemental, technologique, humanitaire, gagnent en cohérence aux yeux des partenaires arabes et moyen-orientaux. C’est là un des fondements de l’intelligence stratégique, voulue comme un des vecteurs du rayonnement de la France à l’étranger. Au Moyen-Orient, la France se veut présente. Elle se manifeste sur de nombreux dossiers et multiplie les initiatives. Elle s’exprime, mais elle ne se fait pas toujours entendre. Lorsqu’elle est audible, elle n’est pas nécessairement écoutée. Lorsqu’elle l’est, elle se fait mal comprendre. Au Moyen-Orient en tout cas, et auprès de ses alliés et partenaires, et auprès des acteurs qui comptent, la France gagnerait à communiquer différemment. Ses actions seraient mieux acceptées et mieux comprises, d’autant qu’elles seraient replacées dans leur cadre stratégique pour redevenir cohérentes et accessibles.

Parmi les quelques rares initiatives visant à élargir la diffusion de la réflexion stratégique française dans le Monde Arabe, celle, personnelle, pour le lancement d’une version en langue arabe de la Revue de Défense Nationale (2012). Aussitôt lancé, ce projet a été très bien accueilli parmi les élites militaires et diplomatiques et politiques arabes, avant d’être finalement abandonné, non par manque de moyens, mais en l’absence de volonté politique.

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