Pour une initiative franco-émiratie au Liban


Publié dans le numéro 60 de la LettreM.

Les visites échangées ces dernières semaines entre les Ministres des Affaires étrangères français et émirati étaient l’occasion pour les Emirats Arabes Unis et la France de réaffirmer la dimension stratégique de leurs relations. Malgré leur solidité, les relations entre Paris et son allié arabe et régional de référence qu’est devenu Abou Dhabi ont encore un fort potentiel à développer, à divers niveaux. La diplomatie fait partie de ces axes de coopération franco-émiratie qui méritent d’être développés. Un théâtre moyen-oriental où Paris et Abou Dhabi n’ont que très peu coopéré, et où le potentiel est réel : le Liban.

Le Ministre de l’Europe et des Affaires étrangères Jean-Yves Le Drian a effectué une visite aux EAU les 27-28 octobre 2019, la 20ème en sept ans, quelques jours après celle en France du Ministre émirati des Affaires étrangères et de la Coopération internationale cheikh Abdullah Ben Zayed Al Nahyan les 22-23 octobre 2019.

Le Premier ministre libanais Saad Hariri s’est rendu le 6 octobre à Abou Dhabi à la tête d’une délégation ministérielle et économique, où il a été reçu très cordialement par le Prince héritier cheikh Mohammad Ben Zayed Al Nahyan, avec lequel il était pourtant en délicatesse, et par les dirigeants émiratis. La Conférence pour les investissements libano-émiratis à laquelle participait Hariri à l’occasion de cette visite confirmait l’intérêt des milieux d’affaires émiratis pour les opportunités que leur offrirait le marché libanais en dépit de son étroitesse. Cependant, aucune initiative concrète n’a été annoncée à cette occasion, en dehors de la décision des autorités émiraties de lever l’interdiction de voyager au Liban imposée à leurs ressortissants. Les rumeurs sur un dépôt de la Banque centrale émiratie auprès de la Banque centrale libanaise se sont vite dissipées. Des projets communs ont été examinés lors de la visite de Hariri à Abou Dhabi, confirmait le 3 novembre la Banque centrale des EAU, mais « il ne s’agit pas d’aides ».

Abou Dhabi confirme son intérêt pour le Liban, un pays ami happé par le bras de fer entre l’Iran et les Etats-Unis, et qui subit d’intenables pressions économiques et financières, en plus de subir aussi, et au nom des pays arabes, la présence sur son sol de près de deux millions de réfugiés syriens et palestiniens. L’intérêt émirati actuel pour le Liban découle surtout de l’ambition même de MBZ, cette ambition qui explique aussi en partie l’engagement des EAU en Libye, en Syrie, au Yémen, et ailleurs. Au Liban, une opportunité s’offre aux EAU :  celle de combler le vide laissé par son allié saoudien, qui a choisi de se replier de ce pays où il se retrouve en confrontation directe avec son rival iranien. C’est d’ailleurs ce vide laissé par le repli saoudien, que l’on annonce comme provisoire, qui permet à l’Iran de poursuivre sa progression sur la scène libanaise, et qui permet aussi à d’autres acteurs régionaux de s’y positionner plus facilement : la Turquie et le Qatar. Pour les EAU, qui ont choisi dernièrement de renouer des contacts de haut niveau avec l’Iran (mission confiée au Conseiller pour la sécurité nationale cheikh Tahnoun Ben Zayed Al Nahyan, frère de MBZ, alors que le Ministre d’Etat aux Affaires étrangères Anwar Gargash invitait l’Iran, le 10 novembre à la tribune de l’Abu Dhabi Strategic Debate, à opter pour le dialogue et la voie diplomatique pour conclure un new deal avec les puissances internationales et les voisins arabes), et qui sont en rivalité directe dans le monde arabo-musulman avec la Turquie et le Qatar (malgré quelques signes annonciateurs d’une possible détente), un retour au Liban pourrait être un choix politique rationnel. La normalisation qui ne dit pas son nom entre les EAU et Israël, et la normalisation lente mais sûre entre Abou Dhabi et Damas, pourraient l’y encourager.

A l’instar de la France, qui maintient la cohésion du Groupe International de Soutien au Liban et multiplie les initiatives afin d’éviter un effondrement brutal de la situation au Liban, les EAU souhaitent assumer un rôle sur la scène libanaise, à la mesure de l’ambition régionale de MBZ (ce dernier a aussi l’ambition de se rappeler lui-même et de rappeler à ses sujets à travers ses actes, son adhésion totale à l’école de son père l’Emir fondateur cheikh Zayed Ben Sultan Al Nahyan qui entretenait avec le Liban et les Libanais une relation particulière). La France pourrait leur offrir ce rôle, ou les accompagner dans leur retour politique et économique au Liban. A travers CEDRE et à travers une série d’autres initiatives et mesures salutaires pour le Liban dans le contexte actuel. La France et les EAU peuvent d’ailleurs cohabiter au Liban avec l’influence iranienne (contrairement, encore aujourd’hui, aux Etats-Unis et à l’Arabie saoudite), tout en coordonnant leurs actions avec de nombreux acteurs pouvant influer sur le cours des évènements sur la scène libanaise, y compris des acteurs régionaux (comme l’Egypte) et internationaux (dont la Russie). Ils peuvent surtout agir ensemble, rapidement, en trouvant des bases communes pour leurs actions et leurs intérêts.

Des contacts devraient être initiés entre Paris et Téhéran autour du dossier libanais, alors qu’un émissaire présidentiel français (l’Ambassadeur Christophe Farnaud, directeur Afrique du Nord Moyen-Orient au Quai d’Orsay) est attendu à Beyrouth incessamment dans une mission d’évaluation au cours de laquelle des échanges sont prévus avec la classe politique dirigeante, le Hezbollah et la société civile. Parallèlement, l’Ambassadeur des EAU au Liban Hamad al-Shamsi est particulièrement actif en ce moment sur la scène politique libanaise. Pour avancer, ces contacts devraient avoir le feu vert des Etats-Unis et des partenaires européens. Ils devraient être acceptés par la Russie aussi. Toute initiative française pour régler la crise actuelle, et surtout pour espérer trouver une sortie de crise pour le Liban, devrait avoir une contribution arabe solide. En plus des EAU, la France, pourrait solliciter l’Arabie saoudite et l’Egypte.

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