Publié dans le numéro 55 de la LettreM.
Le Président français Emmanuel Macron a su profiter du G7 à Biarritz pour imposer une nouvelle dynamique dans les rapports entre l’Iran et la communauté internationale, avec comme ambition d’imposer comme un nouveau fait accompli la reprise d’un dialogue constructif entre Washington et Téhéran. Il l’a fait en solo, sans les Allemands et les Britanniques, une stratégie, qui n’est certes pas la plus optimale, mais qui s’imposait. Son homologue iranien Hassan Rouhani faisait preuve aussitôt d’une plus grande flexibilité, en annonçant qu’il était prêt à rencontrer « n’importe quel individu si cela servira à régler le problème de mon pays ».
Rouhani parle « d’intérêts nationaux » pour justifier cette concession, alors que l’économie iranienne est exsangue. Pour Macron, « rien n’est fait, mais les conditions d’une rencontre entre le Président Rouhani et le président Trump, et donc d’un accord, sont là ». Pour Trump: “If the circumstances were correct or right, I would certainly agree to that”. Le 27 août, le Ministre iranien des affaires étrangères Mohammad Javad Zarif estimait qu’une rencontre Rouhani-Trump était « inimaginable » … Rouhani relativisait aussitôt en excluant toute discussion avec les Etats-Unis avant la levée des sanctions… Le 28 août, le secrétaire à la Défense américaine Mark Esper invitait l’Iran à dialoguer avec les Etats-Unis… Le 29 août, Khat Hezbollah, journal diffusé par le cabinet du guide de la révolution l’ayatollah Ali Khamenai publiait un éditorial intitulé : « Les négociations avec les Etats-Unis sont définitivement hors de question » … Pourtant, la veille, à Téhéran, on annonçait la visite prochaine d’une nouvelle délégation iranienne à Paris à la lumière des progrès réalisés (2 septembre).
La présence, coordonnée avec Trump, du MAE iranien au G7 à Biarritz est perçue comme un « mini » succès diplomatique qui rehausse la stature internationale de la France. L’offensive diplomatique de Macron au G7 sur l’Iran, qui n’était pas sans risque, met en avant la capacité de la France à servir de pont ou d’intermédiaire dans des crises centrales. Ce succès, balbutiant, doit encore être confirmé. La reprise d’un contact officiel entre Washington et Téhéran, même s’il n’est que médiatique, la renégociation de l’accord nucléaire, même marginalement, et l’allègement des sanctions économiques contre l’Iran, même symboliquement, transformeraient cette initiative diplomatique française en un véritable succès.
Les Iraniens font de la diplomatie, mais, sur le terrain, ils font de la résistance là où cela leur est possible et rentable. Avec les tankers, puisqu’il s’agit d’un dossier directement lié aux sanctions qui leur ferment les marchés internationaux du pétrole, et le long de leur « arc chiite ». Israël s’invite dans le jeu, comme un triple message américain, israélien et arabe, sur les limites de l’engagement militaire iranien au Levant. Son Armée intervient contre les milices pro-iraniennes du Hached el-Chaabi en Irak, contre les unités combattantes pro-iraniennes à la frontière syro-irakienne, dans la banlieue sud-est de Damas (où des combattants du Hezbollah sont visés aussi) et dans le fief du Hezbollah dans la banlieue sud de Beyrouth (en plus des attaques contre le FPLP pro-syrien près de la frontière libano-syrienne).
Au Liban et en Irak, les Etats-Unis mettent la pression pour contenir l’influence iranienne : à Beyrouth, ils le font via leurs partenaires attitrés, dont le Premier ministre Saad Hariri qui vient d’effectuer une visite à Washington, et espèrent pouvoir le faire aussi via l’Armée libanaise qu’ils ne cessent de soutenir avec l’espoir d’en faire un véritable contre-poids légal au Hezbollah ; à Bagdad, ils le font en cherchant à faire assimiler les milices pro-iraniennes dans les structures officielles ou à les désarmer, comme ils tentent aussi de faire jouer la souveraineté nationale et l’arabité du pays pour espérer neutraliser l’offensive iranienne. En Syrie, où ils n’ont pas d’interlocuteurs directs, autres que les Russes (en plus des Kurdes au nord), ils comptent sur la capacité de Tel-Aviv à déstabiliser la présence militaire iranienne. L’arc chiite est directement visé, dans ce qu’il représente comme menaces militaires et sécuritaires pour Israël et pour les intérêts des partenaires régionaux de Washington. Parallèlement, la diplomatie survit tant bien que mal, et le contact est maintenu avec les dirigeants iraniens, grâce en partie à l’action présidentielle française.
Mais il s’agit d’une course entre l’escalade militaire au Levant, et qui pourrait ne pas se limiter géographiquement à cette seule zone, et la désescalade espérée entre Téhéran et la communauté internationale par le fait de l’action diplomatique française. Le danger résiderait dans les divergences internes au sein du régime iranien, et dans les limites du partage des rôles entre les Gardiens de la révolution et le camp dit modéré. Pour la énième fois, et sous l’intenable pression des sanctions économiques, les Pasdarans (malgré leur rhétorique) et le camp du président Rouhani conviennent de donner une nouvelle chance à la diplomatie, une chance sur laquelle mise aussi le guide de la révolution Ali Khamenai. L’autre risque viendrait de possibles divergences entre Washington et Tel-Aviv, les Israéliens redoutant un tête-à-tête Trump-Rouhani…
La France joue serré face à l’administration Trump traversée par des courants opposés sur le dossier iranien. Ses interlocuteurs à Téhéran, le Président Rouhani et son Ministre des affaires étrangères Mohammad Javad Zarif et son équipe, jouent gros face aux Pasdarans et à Khamenai. Sur le terrain, et parallèlement à la diplomatie, les incidents se multiplient et les tensions ne cessent de croître. Le facteur israélien semble ici déterminant, d’autant que cette fuite en avant de la part du Premier ministre Benyamin Netanyahu reflète aussi ses craintes d’une véritable détente entre Téhéran et Washington, une détente qu’il conviendrait d’anticiper en redessinant, manu militari, les contours de la présence et de l’influence de l’Iran au Levant. Israël redoute les efforts diplomatiques français sur l’Iran. Son Premier ministre l’aurait clairement exprimé au Président Macron lors d’un entretien téléphonique, affirmant que le moment n’était pas propice pour des négociations avec Téhéran… Maintenant le tempo, les Présidents Rouhani et Macron s’entretenaient une nouvelle fois par téléphone le 31 août, l’un pour avertir que l’Iran pourrait s’affranchir un peu plus de son engagement sur le JCPOA « si l’Europe ne peut mettre en œuvre ses engagements », l’autre pour « souligner l’importance de la dynamique en cours pour créer les conditions d’une désescalade par le dialogue (…) ».
Entretien téléphonique entre M. le Président de la République et M. Hassan Rohani, Président de la République islamique d’Iran, Communiqué de l’Élysée, 31 août 2019.
Le Président de la République s’est entretenu aujourd’hui au téléphone avec le Président de la République islamique d’Iran, M. Hassan Rohani.
Dans le prolongement des échanges qu’il a eus à l’occasion du sommet du G7 à Biarritz, le Président de la République a souligné l’importance de la dynamique en cours pour créer les conditions d’une désescalade par le dialogue et de la construction d’une solution durable dans la région.
Dans cet objectif, le Président de la République a rappelé la nécessité que l’Iran se conforme pleinement à ses obligations nucléaires et prenne les mesures nécessaires de son côté au rétablissement de la paix et de la sécurité au Moyen-Orient.
Il a notamment souligné la nécessité d’agir pour mettre fin aux combats et ouvrir la négociation au Yémen. Il a également insisté sur l’importance que la plus grande retenue soit observée au Liban et que rien ne soit fait qui en compromette la stabilité dans ce moment de grandes tensions.
Le Président de la République et son homologue iranien sont convenus de rester en contact étroit au cours des prochains jours.