Publié dans le numéro 53 de la LettreM.
Rester dans le jeu et attendre. Cela semble être la stratégie de la France en Iran, alors que l’administration Trump accentue ses pressions économiques contre la république islamique qui menace de sortir à son tour de l’accord nucléaire. Pour le Président Emmanuel Macron, il s’agit d’être là lorsque viendra, à nouveau, le temps des négociations.
Entretemps, la France, discréditée avec ses partenaires européens signataires de l’accord de Vienne pour n’avoir pu respecter leurs propres engagements vis-à-vis de l’Iran, cherche à éviter l’effondrement brutal du JCPOA et sa perte définitive, à travers le maintien d’un dialogue constructif avec Téhéran. Elle cultive l’espoir de faire évoluer les positions des Américains et des Iraniens, même si cette ambition paraît aujourd’hui démesurée pour Paris.
Durant la période intérimaire actuelle, la France devrait maintenir le dialogue avec Téhéran, éviter de trop brusquer les Iraniens et les Américains, et montrer une véritable capacité de proposition et d’action. Elle devrait tirer les leçons de l’expérience des négociations passées qui ont abouti au JCPOA pour se positionner en perspective de nouvelles négociations éventuelles.
Maintenir ouverts les canaux diplomatiques entre Paris et Téhéran
La France continue de parler à l’Iran, après l’annonce de sa décision de procéder dès le 7 juillet à l’enrichissement de son uranium à un niveau prohibé par le JCPOA (3,67%). Elle tente de maintenir un dialogue constructif avec la république islamique, alors que les tensions entre Téhéran et Washington sont maximales et que les initiatives de l’UE sont à l’évidence une succession d’échecs. Elle a le mérite de parler aux Iraniens qui l’écoutent, même lorsqu’ils doutent de sa capacité à gérer une telle crise et qu’ils dénoncent l’impuissance évidente des pays signataires de l’accord de Vienne et notamment la France d’ailleurs.
Espère-t-elle réellement contribuer à sortir l’accord nucléaire de son impasse, seule, face aux Etats-Unis et sans ses propres partenaires européens ? Comment pourrait évoluer la position de la France entre les deux belligérants et dans quelle mesure Paris pourrait-il faire évoluer les positions des Américains et des Iraniens ?
Les Français refusent de paraître adhérer totalement à la position radicale de l’administration américaine, encore aujourd’hui. Ils ont le mérite de maintenir ouverts les canaux politiques et diplomatiques avec Téhéran, même lorsque les dirigeants iraniens constatent l’incapacité des partenaires européens, l’Allemagne, le Royaume-Uni et la France, à leur offrir de véritables mesures incitatives pour préserver l’accord nucléaire, y compris lorsque les Européens brandissent leur fameux INSTEX. Les Français maintiennent le contact avec Téhéran, alors qu’ils admettent les limites de leur propre action, dans le contexte actuel. Les Iraniens les aident aussi puisqu’ils souhaitent préserver ce dialogue avec eux.
Malgré le manque de confiance évident, de part et d’autre d’ailleurs, le Président Emmanuel Macron s’est entretenu le 6 juillet pendant une heure au téléphone avec son homologue iranien Hassan Rouhani pour lui exprimer « sa forte préoccupation face au risque d’un nouvel affaiblissement de l’accord nucléaire de 2015 ». Macron, qui avait dépêché à Téhéran son Conseiller diplomatique Emmanuel Bonne le 20 juin avant de s’entretenir lui-même au téléphone le 25 juin avec Rouhani, s’est entendu avec le Président iranien « d’explorer d’ici au 15 juillet », et « au-delà des échéances annoncées du 7 juillet, les conditions d’une reprise du dialogue entre toutes les parties ». Le communiqué de la Présidence française publié le 6 juillet indique que le Président Macron « poursuivra ses consultations, avec les autorités iraniennes et les partenaires internationaux concernés, pour que s’engage la nécessaire désescalade des tensions liées au dossier nucléaire iranien ».
Alors que le Conseiller diplomatique d’Emmanuel Macron est annoncé à nouveau à Téhéran, le Président français s’est entretenu au téléphone le 8 juillet avec son homologue américain Donald Trump sur le dossier iranien. Lors de cet entretien téléphonique, le deuxième en une semaine entre les deux Présidents, il a été question des “efforts poursuivis afin d’empêcher l’Iran de se doter de l’arme nucléaire et de mettre fin à son attitude déstabilisatrice au Moyen-Orient”, selon la Maison Blanche (8 juillet).
A Téhéran, les échos sont plutôt positifs après l’entretien Macron-Rouhani, même si les dirigeants iraniens doutent de leur propre capacité à contraindre la France et les Européens à proposer des mesures incitatives sérieuses, encore moins à se distancier, aujourd’hui, des Etats-Unis. En réalité, la possibilité d’organiser rapidement une réunion des Ministres des Affaires étrangères « 4+1 » est le seul signe positif que perçoivent les Iraniens dans le contexte actuel, alors qu’ils savent pertinemment que les Français et les Européens ne se risqueront pas dans une confrontation frontale avec l’administration Trump sur le dossier nucléaire iranien. Les Iraniens sont même convaincus que si solution diplomatique il y aura, ce ne serait pas par l’intermédiaire des Européens, mais plutôt par l’intermédiaire de la Russie et de la Chine éventuellement, si l’on en croit la télévision al-Manar du Hezbollah (7 juillet).
Pressions iraniennes sur l’unité du camp occidental
Pour les Iraniens, le réel avantage de maintenir les concertations avec Paris pourrait être l’espoir, plus tard, de briser l’unité du camp occidental. A moins que récupérer carrément la France ne devienne pour eux une possibilité sérieuse…
La France a-t-elle intérêt à se distancier de ses partenaires européens, afin de pouvoir proposer plus librement une solution diplomatique lorsque les Américains et les Iraniens seraient disposés à renégocier ?
Une opportunité diplomatique pour Emmanuel Macron
Pour le moment, et en l’absence d’une politique homogène et cohérente entre les partenaires européens vis-à-vis de l’Iran et de son dossier nucléaire, la France tente de faire cavalier seul. Réagissant à chaud, elle espère cacher l’échec européen, et le sien donc, dans l’implémentation et la défense de l’accord, et cherche à élargir sa marge de manœuvre face aux deux belligérants afin de rester dans le jeu.
Conscient de son incapacité à s’opposer aux sanctions américaines contre l’Iran et à proposer aux Iraniens des alternatives consistantes, le Président Macron veut voir dans cette crise l’occasion de s’investir dans une mission diplomatique internationale à forte teneur géopolitique. Cela rehausserait son prestige et celui de la France sur la scène moyen-orientale et internationale. La France voit une place à prendre, et elle cherche à la prendre. Depuis le retrait des Etats-Unis de l’accord et le rétablissement par l’administration Trump de nouvelles sanctions contre l’Iran, la diplomatie européenne et française est en surchauffe. Elle peine à apporter des solutions pratiques, et n’arrive pas à rétablir la confiance avec l’Iran qui interprète l’échec des Français et des Européens à freiner l’escalade américaine comme un aveu d’impuissance.
A chaque échéance, comme aujourd’hui la décision iranienne de riposter à l’offensive américaine et à l’impuissance européenne, la France réagit en tentant d’occuper l’espace diplomatique qui s’offre à elle.
Occuper le terrain peut être une stratégie diplomatique payante, dans une optique de court terme. La réactivité du Président Macron sur ce dossier permet à la France d’être présente et visible sur ce dossier stratégique, au nom de ses partenaires européens aussi. Plus la riposte iranienne se radicalise, plus la France serait tentée de s’accrocher à sa tentative de médiation, et plus son impuissance et celle de ses partenaires européens face aux Etats-Unis et face aussi à la détermination des dirigeants iraniens, serait démontrée. Faute de résultats probants qui permettraient d’alléger l’impact de la guerre économique menée par les Etats-Unis contre l’Iran, le Président français aurait du mal à prétendre transformer cette nouvelle crise avec l’Iran en une véritable opportunité diplomatique pour la France.
Serait-il tenté de se rapprocher progressivement de la position américaine, sous la pression également de ses partenaires eux-mêmes, ou chercherait-il au contraire de se distancier de la position de Washington avec l’espoir toujours de proposer une solution médiane acceptée par les deux parties ?
La France parviendra-t-elle à « faire évoluer les positions des uns et des autres » comme le suggère l’ancien Premier ministre Dominique de Villepin (7 juillet) ? Pour cela, si elle décidait de se distancier de ses partenaires européens et de la position américaine, la France penserait pouvoir compter sur l’adhésion de la Russie et de la Chine à ses éventuels efforts visant à éviter à l’Iran le renvoi de son programme nucléaire devant le Conseil de sécurité de l’Onu. Irait-elle jusqu’à se désolidariser de son propre camp comme le souhaiteraient les Iraniens ? Sans aller jusque-là, la France pourrait espérer aussi que les considérations propres à chacune des deux parties, les Etats-Unis et l’Iran (élections pour Trump, pressions économiques et sociales intenables pour Rouhani), finissent par jouer en faveur d’une désescalade et de la renégociation d’un nouvel accord nucléaire avec Téhéran avec, pour elle, une place centrale…
Pour le moment, et dans l’hypothèse d’un blocage durable, l’action de la France et la réceptivité apparente de l’Iran pourraient aider le Président Emmanuel Macron, qui s’offre une posture internationale nouvelle grâce à la crise, comme elles pourraient aider le Président Hassan Rouhani à faire face autant que possible aux pressions de l’aile radicale de son pouvoir. C’est déjà cela de gagné pour l’un et l’autre…