Publié dans le numéro 43 de la LettreM.
Un pilote de Rafale de l’Armée de l’Air égyptienne, le commandant Mouhtadi al-Shazli, est mort dans l’accident de son avion le 28 janvier 2019. L’accident, survenu lors d’un vol d’entraînement selon la version officielle, coïncidait avec la visite au Caire du Président Emmanuel Macron. Al-Shazli, de son nom de code Cobra, était un des premiers pilotes égyptiens formés sur Rafale à avoir participé aux opérations militaires en Libye contre les djihadistes. Officiellement donc, al-Shazli, pilote de Rafale connu pour ses exploits militaires contre Daech et d’autres groupes islamistes terroristes, a été tué dans le crash de son avion lors d’un vol d’entraînement. L’avion serait un K8. Cette version est aussitôt contestée par les opposants au régime du Président Abdel-Fattah al-Sissi, qui bénéficient de relais dans les milieux islamistes et médiatiques, y compris français. Leur version affirme qu’il s’agit d’un Rafale.
Cibler les relations franco-égyptiennes
Au Caire, le Président Macron était accompagné par sa Ministre des Armées Florence Parly, qui s’était rendue en Egypte en décembre 2018 à l’occasion du salon de l’armement EDEX, et par d’autres officiels et industriels de la défense venus négocier ou finaliser de nouveaux contrats d’armement dont un nouveau contrat Rafale. Aucun contrat militaire n’a été annoncé lors de cette visite qui coïncidait avec l’inauguration de l’année culturelle franco-égyptienne, et qui a surtout permis d’officialiser une série de contrats civils et de MoU (le chiffre de €1,6md est avancé).
Cette visite offrait une tribune internationale aux ONG et aux Frères Musulmans pour dénoncer et les conditions des droits de l’Homme sous Sissi et la proximité stratégique entre Paris et Le Caire. Rien de nouveau, puisque les mêmes milieux et leurs relais médiatiques avaient mené une campagne de dénigrement du régime Sissi et de la politique égyptienne de Paris à l’occasion de la visite du Président égyptien à l’Elysée en octobre 2017. La différence cette fois est à chercher dans la stratégie du Président Macron lui-même qui a bien voulu aller sur ce terrain des droits de l’Homme et des libertés, et ne pas esquiver le débat.
L’affaire du Rafale ne pouvait mieux tomber. Symboliquement, ce système d’armes vendu par la France au régime Sissi, et qui constitue le fleuron de sa flotte de combat, peut être perçu comme un outil (politique) anti-Frères Musulmans en plus d’être un outil (militaire) anti-Daech. Il est fourni par la France, qui garantit pourtant de larges espaces de libertés et d’expression à la confrérie islamique sur son territoire, à un régime clairement engagé contre ce courant idéologique, avec le soutien financier de deux autres alliés de Paris et du Caire, l’Arabie saoudite et les Emirats Arabes Unis, tous deux ennemis jurés des FM.
La confusion des premières heures résultait probablement d’un concours de circonstances : le pilote est un pilote de Rafale, et il est mort dans le crash de son avion. Le silence des autorités égyptiennes attisait cette confusion, aussitôt exploitée par des relais médiatiques russes, qataris, iraniens, turcs et par les réseaux sociaux proches de l’opposition égyptienne. Une version égyptienne des faits désigne l’avion accidenté comme étant un K8.
Pour autant, les milieux opposés au régime égyptien et à ses alliances régionales et internationales, continuaient d’alimenter le débat sur le crash d’un Rafale le jour où les Présidents français et égyptien tenaient leur sommet au Caire. L’objectif de cette campagne étant de discréditer l’appareil militaire du régime et qui s’est opposé à la prise du pouvoir par les FM, et de dénoncer le partenariat stratégique entre Paris et Le Caire que soutiennent deux autres ennemis déclarés des FM, qui sont Riyad et Abou Dhabi.
Tout cela intervient alors que Paris et Le Caire affirment la poursuite et l’élargissement de leur partenariat stratégique, y compris dans le domaine de la sécurité et de la défense, malgré la compréhension exprimée par Macron à l’égard des questions de libertés et des droits de l’Homme. Cela intervient surtout alors que le Président Sissi procède au remaniement de la Constitution en vue de rester au pouvoir au-delà de 2022. Le rapprochement stratégique franco-égyptien qui se confirme, et cette visite officielle du Président Macron au Caire, ne pouvaient qu’être perçus, par les Frères Musulmans et leurs relais médiatiques, que comme un blanc-seing français au maintien de Sissi au pouvoir et à son projet politique.
L’affaire est relancée à partir de Paris
L’accident d’un avion militaire égyptien est une affaire interne. La version égyptienne affirme qu’il ne s’agit pas d’un Rafale. Pour Le Caire, il n’y a donc pas d’affaire franco-égyptienne. Cela n’empêche pas les milieux des Frères Musulmans en France, et leurs relais médiatiques, d’insister à vouloir impliquer un Rafale dans cet accident. « Le crash secret d’un Rafale en Egypte embarrasse Paris et Le Caire » annonce Mediapart le 7 février 2019, en prévoyant « un imbroglio diplomatico-économique » en perspective « d’autant qu’Egyptiens et Français sont en pleines négociations pour la commande de douze appareils » du même type.
Les révélations du site d’information parisien sont aussitôt relayées par des médias hostiles au régime Sissi et aux monarchies saoudienne et émiratie, dont al-Quds al-Arabi et al-Jazeera qui accusent l’Egypte de « dissimuler » le crash du Rafale le jour de la visite de Macron… Sur les réseaux sociaux et sur YouTube, les anti-Sissi s’en donnent à cœur joie en reprenant les révélations de Mediapart. Le site français, dont le président Edwy Plenel voit le prédicateur Tariq Ramadan comme un « intellectuel respectable », et bien plus si l’on en croit les révélations de médias français, s’est joint à la campagne de dénigrement du régime Sissi en visant, cette fois, les relations de coopération stratégique entre Le Caire et Paris. Il fournit aux détracteurs du régime Sissi la matière qui leur manquait pour revenir à la charge et relancer l’affaire Rafale qui s’estompait.
A partir de Paris, son site d’information s’invite donc dans la bataille que se livrent le régime Sissi et les Frères Musulmans, en tirant sur un dossier hautement symbolique, celui de la coopération militaire et du programme Rafale. Au Caire, où il n’y a pas d’affaire Rafale, on ne peut qu’y voir un épisode de la guerre médiatique que mènent les Frères Musulmans et leurs soutiens contre le Président Sissi. Lui donner une dimension française ou franco-égyptienne ne semble pas impressionner le sérail outre-mesure.