Armements: Au Moyen-Orient, les commandes politiques profitent à la France


Publié dans le numéro 30 de la LettreM.

En visite officielle en France, l’Emir du Qatar cheikh Tamim Ben Hamad Al Thani a été reçu le 6 juillet à l’Elysée par le Président Emmanuel Macron. C’est la deuxième visite de TBH à l’Elysée cette année, après celle aussi du Président Macron à Doha en décembre 2017. A son arrivée en France le 5 juillet, TBH s’est rendu sur la base de Mont-de-Marsan inspecter l’escadron de Rafale de la Qatar Emiri Air Force.

La Ministre des Armées Florence Parly l’accompagnait dans cette visite. Elle venait de s’entretenir avec le nouveau Ministre égyptien de la Défense et de l’Industrie militaire Mohammad Zaki, et s’apprêtait à se rendre à Djeddah pour signer un accord de coopération avec le Ministre de la Défense le Prince héritier Mohammad Ben Salman Ben Abdulaziz après une audience avec le Roi Salman Ben Abdulaziz. Ses services coordonnaient pendant cette même période la visite en France du CEMAT émirati le général Saleh al-Amiri, alors qu’elle décidait finalement de reporter sa visite prévue au Liban et initialement programmée pour le 7 juillet.

L’Ambassadeur de France à Doha Eric Chevalier, qui doit passer la main prochainement à Franck Gellet, accompagnait lui aussi TBH sur la base aérienne et dans sa visite officielle en France. A son retour au Qatar, il a communiqué sur cette visite, en annonçant que les premiers Rafale seront livrés à l’émirat début 2019, et que les 36 appareils commandés seront opérationnels au sein de l’Armée de l’Air qatarie avant 2022, avec des équipages à « 100% qataris ». Il a démenti par ailleurs les rumeurs sur un projet de base militaire française au Qatar.

Les commandes militaires et la défense d’une manière plus générale constituent deux axes majeurs de la stratégie de lobbying menée par TBH pour entretenir ses relations extérieures et éviter un isolement régional et international plus contraignant. Les bases militaires font leur effet (élargissement de la base stratégique d’al-Udeïd au profit de l’USCENTCOM, et installation d’une base militaire turque), tout comme la multiplication des programmes majeurs avec les partenaires internationaux qui comptent (Etats-Unis, Grande-Bretagne, France, Italie). TBH va jusqu’à ouvrir des négociations avec la Russie pour l’achat du S-400. Sur l’axe Paris-Doha, le programme Rafale demeure central dans cette stratégie de lobbying très diversifiée et qui dépasse naturellement les seuls Complexes Militaro-Industriels pour intégrer, outre les grands contrats d’infrastructures et d’énergie, une dimension culturelle, sportive, médiatique, financière etc.

Le rapport du Ministère des Armées sur les exportations d’armes, rendu public alors que Mohammad Zaki et TBH étaient en visite à Paris, confirme la place centrale qu’occupent les partenaires arabes de la France parmi les clients des industries de défense françaises. Alors que les exportations globales baissaient de moitié, celles vers les pays arabes doublaient selon les chiffres du rapport sur 2017. La France récolte encore les fruits des engagements pris en 2015 et 2016, même si elle craint un retournement de tendance pour 2018 et les années à venir. Pourtant, sur les marchés du Moyen-Orient, plusieurs paramètres supposent que les dépenses de défense et de sécurité poursuivront leur hausse : le cours du pétrole qui se ressaisit, les tensions géopolitiques (Iran) qui croissent, les rivalités interarabes qui stimulent aussi des commandes militaires de nature politique (Qatar), les interventions militaires en cours (Yémen, Sinaï, Libye, terrorisme, sécurité du trafic maritime). L’engagement de la France sur la scène moyen-orientale, indépendamment de la pertinence de ses choix stratégiques ou même de sa capacité d’influence sur les dossiers majeurs, lui offre une possibilité de se maintenir sur ce marché.

La France a des atouts pour préserver sa place sur ce marché donc, aussi modeste soit-elle par rapport à celle des Etats-Unis notamment, alors que d’autres concurrents, la Russie, la Grande-Bretagne ou encore l’Italie, progressent, bruyamment pour l’une et discrètement pour l’autre. Outre sa présence, dynamique, sur les dossiers du Moyen-Orient, la France peut revendiquer son influence grandissante dans le club européen, sa proximité géographique, sa place particulière dans le club des puissances actives sur la zone. Ces éléments ne garantissent pas à la France l’influence qu’elle recherche, mais ils accroissent sa visibilité et son attractivité, et améliorent sa posture régionale. C’est déjà beaucoup pour des partenaires arabes à la recherche d’alliances extérieures offrant un bon « retour sur investissement ». La France offre aussi un savoir-faire confirmé dans divers domaines (y compris la culture, l’archéologie, etc.), appréciés par ses partenaires qui optent pour une diversification économique (comme pour « Vision 2030 » en Arabie saoudite). 

Pour les exportations d’armes françaises vers le Moyen-Orient, les incertitudes proviendraient de facteurs plus difficiles à détecter : ils peuvent être internes aux clients eux-mêmes, liés aux relations entre les partenaires arabes de la France, ou aussi découlant de considérations franco-françaises. Ce numéro de la LettreM s’attarde sur ces éléments, à travers ses diverses rubriques, pour mettre en avant les signaux faibles qui pourraient impacter les programmes d’armements français sur les marchés du Moyen-Orient au cours des prochains 36 mois.

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