Publié dans le numéro 29 de la LettreM.
« Après des années d’échecs », Paris décide de « relancer une politique française en Syrie » et la mission incombera à l’actuel Ambassadeur à Téhéran et ancien directeur du renseignement à la DGSE François Sénémaud. L’information, ainsi rapportée par des sources parisiennes, précise que Sénémaud, qui remplacera à ce poste Franck Gellet, sera « en charge du dossier Syrie au Quai d’Orsay, en lien très étroit avec l’Elysée ». Un ancien de Téhéran, comme l’actuel Ambassadeur à Beyrouth Bruno Foucher, c’est utile, indispensable même, pour une vision plus globale du dossier levantin. Un ancien des services, ce serait encore mieux pour le dossier syrien. Surtout si Paris admet des échecs sur ce dossier, et envisage une révision générale de sa grille de lecture des évolutions syriennes, levantines et moyen-orientales. Mais est-ce vraiment le cas ?
Sénémaud, grand diplomate et fin connaisseur des intrigues moyen-orientales, aurait-il pour mission de « liquider » le poste de son prédécesseur devenu de facto représentant de la France auprès d’une Opposition syrienne en déconfiture ? Ou, au contraire, est-ce une initiative élyséenne qui suppose que la France maintient le cap sur le dossier syrien et se réserve le droit de se distancer, à la carte, des politiques russe et américaine ?
Pour le moment, Paris ne reconnaît pas ses échecs en Syrie, contrairement à ce que peuvent suggérer les analystes. Le Président Emmanuel Macron se rapproche de Moscou sur ce dossier, sans aucune garantie d’y être associé par son homologue Vladimir Poutine, alors qu’il observe un désintérêt croissant du Président américain Donald Trump pour la question syrienne qui se résume désormais pour Washington en un mot : l’Iran. Macron, qui attendra les conclusions du sommet Poutine-Trump de Helsinki (16 juillet) pour y voir plus clair, se contente d’être présent sur ce dossier, là où il le peut, et fait de la communication sur la Syrie, sans véritable politique syrienne. La France se prépare-t-elle à de nouvelles années d’échecs au Levant et au Moyen-Orient ? Ce n’est pas une question de moyens en tout cas. Le mal est ailleurs.
A Paris, des voix exploitent les écarts diplomatiques, de plus en plus visibles, pour souligner le manque de moyens dont dispose le Ministère de l’Europe et des Affaires étrangères pour mener à bien ses missions internationales. Les revendications portent principalement sur l’octroi de moyens supplémentaires, financiers, logistiques et humains, afin de pouvoir exiger de la direction Moyen-Orient Afrique du Nord par exemple, d’être plus pertinente dans ses analyses et recommandations. Aucune remise en question, aucune auto-critique.
Pour la France, il est plus que jamais nécessaire aujourd’hui de comprendre les évolutions au sud de la Méditerranée et dans l’ensemble de la région MOAN, pour sécuriser ses intérêts nationaux. Pourtant, ce ne sont pas les contraintes financières, logistiques ou humaines, qui sont responsables des erreurs de jugement les plus coûteux pour la France et ses intérêts, et pour la sécurité du monde même. Les failles sont à chercher du côté des grilles de lecture parfois biaisées car trop engagées, et dans une moindre mesure aussi, dans le mécanisme d’arbitrage en matière de politique étrangère entre le Quai d’Orsay et l’Elysée.
Disposer des bons renseignements, au bon moment, ne signifie pas, forcément, pouvoir en tirer les bonnes conclusions en vue de prendre les bonnes décisions. Assurer une analyse pertinente jusqu’à permettre que soient prises les bonnes décisions n’implique pas nécessairement des choix judicieux. L’arbitrage en matière de politique extérieure, qui revient au Président de la république, est l’ultime étape de ce processus dont dépendra l’action diplomatique française. Pour cela donc, il faut proposer à l’ultime décideur en matière de politique extérieure, et à sa cellule diplomatique, l’éclairage le plus pertinent et le moins subjectif. Or, c’est aussi à ce niveau que les failles ont été les plus nombreuses ces dernières années. Au Quai d’Orsay et à la direction MOAN pour se limiter à cette zone géographique, et à l’Elysée et aux « Messieurs Moyen-Orient » donc. Certes, la décision ultime revient au Président, après le brainstorming de courtoisie presque, avec le Ministre des Affaires étrangères.
Rester attaché aux valeurs de la France pour les traduire lors des choix en matière de politique extérieure est tout à l’honneur des pouvoirs français successifs. Rechercher, avant tout, à défendre les intérêts de la France, des Français et de leurs alliés et partenaires, l’est tout autant. Et cela n’est véritablement possible qu’avec la réunion de plusieurs facteurs lesquels, sous les contraintes matérielles et humaines, imposent qu’ils soient priorisés.
Sans aller jusqu’à appeler à une réduction des moyens dont disposent les fonctionnaires responsables des écarts diplomatiques, parfois tragiques ces dernières années, nous préconisons, pas moins qu’une révolution de pensée au niveau des relations internationales et de la politique de la France au Moyen-Orient en particulier. Les prédispositions intellectuelles ne facilitent plus, jusqu’à parfois entraver, l’élaboration d’une politique étrangère pragmatique et adaptée aux enjeux actuels. La France doit s’y résoudre. Avant de demander des moyens supplémentaires, la diplomatie française gagnerait à ôter le voile idéologique qui entrave ses actions au Moyen-Orient…
Au Moyen-Orient, la France aurait contribué, par exemple, à travers une politique aventureuse et impulsive, à la destruction d’une Libye après avoir contribué à réhabiliter son leadership quelques mois auparavant. En 2018, avec la communauté internationale, elle menaçait, le 27 juin, de demander des comptes à ceux qui portent atteinte à la paix, à la sécurité et à la stabilité de la Libye qui sombre dans un chaos indescriptible… Pareil en Syrie, où la France aurait mal anticipé la déstabilisation du Levant tout proche et l’éclatement d’un Etat dont elle accueillait, la veille, son Président, avec tous les honneurs. Il ne s’agit pas d’une erreur de casting, ni en Libye ni en Syrie, ni ailleurs où les choix de la France n’auraient pas aidé la stabilité régionale et internationale. Il ne s’agit pas d’un manque de moyens, ni à la direction MOAN, ni au cabinet diplomatique présidentiel, ni ailleurs. Peut-être faut-il chercher les raisons de ces faiblesses dans les grilles de lecture inadaptées, comme le montrent les évènements, et qui ont besoin d’un indispensable recalibrage.