La nouvelle loi électorale basée sur la proportionnelle a laissé son empreinte de manière visible à travers le pays, sauf pour le tandem chiite Amal-Hezbollah où la proportionnelle a été carrément neutralisée.
Neutraliser la proportionnelle
Pour les électeurs chiites, les choix sont en effet absolus et n’offrent, pratiquement, aucune marge d’erreur à l’égard des décisions imposées par la hiérarchie politico-religieuse. Ainsi, la proportionnelle relativise les poids des diverses formations politiques… sauf dans le camp chiite. Au-delà du politique, une analyse sociologique permet de mieux en saisir les véritables enjeux. Si les « murs » ont toujours existé entre les diverses communautés au Liban, le phénomène, dans le cas chiite, prend une ampleur exceptionnelle. Dans ses régions, le tandem chiite impose sa politique, et de facto, ses règlementations, ses mœurs, ses valeurs, son appareil sécuritaire, son système éducatif etc. Les zones et sociétés chiites sont, à l’évidence, les moins diversifiées. Une tendance à forte connotation fédéraliste mais qui ne dit jamais son nom.
Politiquement, le tandem Amal-Hezbollah annonce la consolidation de ses positions à l’issue de ces élections, et suppose, cyniquement, une fragilisation des positions adverses qui jouent, ou sont obligées de jouer, la carte de la proportionnelle. Les messages que le Hezbollah et Amal commencent à distiller à l’adresse des autres formations politiques, y compris leurs propres alliés du Courant Patriotique Libre (CPL) et y compris le Président de la république Michel Aoun, se résument ainsi : les excès des discours électoralistes sont gommés, mais ils ne seront plus tolérés à partir du 7 mai, et le tandem chiite ne lâchera pas maintenant, ni même au profit de ses partenaires les plus engagés, les dossiers stratégiques qui s’imposent sur l’agenda national.
Une stratégie de containment
Le Hezbollah et Amal qui ont réussi à éliminer pour eux-mêmes les effets de la proportionnelle, en éliminant les choix tout bonnement, traduisent le rééquilibrage constaté dans les autres blocs parlementaires, proportionnelle oblige, comme l’annonce d’un affaiblissement politique des camps alliés et adverses. Rebondissant sur ce jeu de chaises vides désormais possibles lorsque des alternatives sont offertes aux électeurs, le Hezbollah et Amal suggèrent le recentrage du jeu politique national en leur faveur et au détriment de toutes les autres formations politiques. Ce raisonnement de « jeu à somme nulle » permet au tandem chiite de songer à imposer, plus encore aujourd’hui, son idéologie politique à l’ensemble des Libanais.
Pour lui, il y a des gagnants et il y a des perdants : il y a Amal-Hezbollah et il y a les autres. Pourtant, les Forces Libanaises (FL) de Samir Geagea réalisent un exploit avec un bloc parlementaire en nette progression (±15 députés) et obtenu avec des alliances limitées. Leur exploit est mis à profit par le Hezbollah pour relativiser l’ampleur des résultats obtenus par le CPL, alors qu’en même temps le Hezbollah et ses alliés ont tendance à présenter comme une victoire le très maigre résultat de leur allié chrétien pro-Syrien Sleiman Frangieh par exemple. Le leadership sunnite du chef du Courant du Futur pro-saoudien Saad Hariri perd des sièges certes, sans compenser ces pertes, pourtant prévisibles sous cette loi électorale proportionnelle, et qu’il aurait pu limiter en consolidant ses alliances électorales. Il offre ainsi à ses détracteurs une occasion en or pour le discréditer jusqu’à remettre en question son leadership au profit de personnalités sunnites bien moins légitimes. Même le Courant Patriotique Libre et son Président Gebran Bassil, alliés du Hezbollah, leur victoire est relativisée à cause des alliances électorales diverses et variées établies par le parti du Président de la république…
Geagea, Frangieh et Bassil (et, dans une moindre mesure, Jean Obeid) ont en commun d’être tous les trois présidentiables. La prochaine présidentielle, qui désignera le successeur de Michel Aoun (84 ans), est un enjeu stratégique majeur pour le Hezbollah et Amal. Le tandem entend le faire savoir dès maintenant, au lendemain des élections législatives. Le Hezbollah veut surtout le faire savoir à ses alliés aounistes qu’il ménage pourtant pour une multitude de raisons politiques (recomposition du pouvoir etc.) et stratégiques (dans le cas de l’éventualité d’une agression israélienne, ou de l’ouverture du débat sur la stratégie de défense nationale) … Quant à Saad Hariri, dont la propagande adverse dit qu’il n’est plus légitime, avec pourtant le plus important bloc parlementaire sunnite, pour prétendre redevenir Premier ministre, il est mis sous pression par le Hezbollah pour le dissuader de trop prendre ses aises à l’égard des dossiers que le parti chiite pro-iranien considère comme non négociables encore aujourd’hui (armement, Syrie, Iran, etc.).
D’autres formations politiques se sont neutralisées par elles-mêmes, facilitant ainsi la tâche à leurs adversaires et concurrents. C’est le cas des Kataeb, une composante qui fut longtemps essentielle dans la vie politique nationale, et qui n’a cessé de s’affaiblir par manque de flexibilité et de vision politique de sa jeune direction qui l’aurait exclu du pouvoir en l’excluant des jeux des alliances. En faisant le pari de la « société civile », ce parti historique n’a obtenu ni les suffrages, ni le nombre de sièges qui lui permettraient de conserver la légitimité et la représentativité populaire et donc une influence dans le jeu politique libanais. Sa jeune direction aurait, en quelque sorte, transformé l’un des partis politiques les plus anciens en une… ONG. D’ailleurs, la marque « société civile » n’aurait pas séduit les Libanais. Les candidatures de la société civile surmédiatisées, surtout à l’étranger, n’ont pas réussi à attirer un électorat peu impressionné par le manque de vision et un programme politique fébrile au-delà des slogans fédérateurs.
Anticiper les évolutions régionales
En renforçant son emprise sur ses bases, le tandem Hezbollah-Amal, toujours convaincu d’avoir joué le bon cheval aussi et surtout sur le plan géopolitique, se sentirait-il suffisamment libre pour poursuivre ainsi son forcing politique tous azimuts ? Ou, au contraire, douterait-il de sa capacité à liquider ses positions régionales pour traduire ses gains au Liban, surtout dans la perspective d’une tension irano-américaine persistante et d’un risque réel d’escalade militaire avec Israël ? Dans les deux cas, le Hezbollah et son allié Amal semblent déterminés à exploiter l’impression de pertes et profits que donnent les résultats des élections législatives pour accentuer leur emprise sur la scène politique nationale. Quel en sera le prix pour eux et pour le Liban ?