Publié dans le numéro 19 de la LettreM.
Le Président français Emmanuel Macron est attendu au Liban en avril prochain (màj: visite reportée). Son Ministre de l’Europe et des Affaires étrangères Jean-Yves Le Drian s’y rendra en mars (devancé en février par son homologue américain Rex Tillerson). La France, toujours très mobilisée pour défendre la stabilité du Liban, multiplie les messages de solidarité avec Beyrouth et ses autorités officielles. Ses initiatives au profit du Liban et celles qu’elle soutient et encourage paraissent, dans le contexte actuel, plus que nécessaires pour la stabilité du Liban.
Si la participation de Total à l’unique consortium qui entamera l’exploitation du gaz offshore libanais est une affaire commerciale et économique, elle est aussi, en plus d’être « un choix du cœur » comme l’affirmait courtoisement le représentant de la compagnie à la cérémonie de signature des contrats le 9 février, une affaire politique. Presque une affaire d’Etat.
En effet, ce dossier, qui implique aussi l’Italien Eni et le Russe Novatek, comporte de multiples enjeux, complexes, et qui concernent directement la stabilité du Liban. Mais, dans la stratégie de stabilisation du Liban telle que défendue par la France et l’UE, il s’agit d’un élément d’un ensemble plus large d’initiatives destinées à éviter le basculement de la scène libanaise dans le chaos environnant. Le poids de la géopolitique commence à peser sérieusement sur la stabilité du Liban, et les initiatives défendues par Paris ne seront pas de trop.
Paris – CEDRE
Paris accueillera la Conférence du « CEDRE », des assises économiques internationales dédiées à relancer l’investissement au Liban.
CEDRE, qui aurait pu s’appeler Paris IV, n’est pas sans rappeler les conférences Paris I, II, et III, organisées sous l’impulsion de Jacques Chirac. La volonté de Macron de rebaptiser sa conférence CEDRE, vise à éviter les amalgames, non pas entre deux présidents français tous deux très engagés aux côtés du Liban, mais entre deux conceptions différentes, voire peut-être même divergentes, des programmes de soutien économique au gouvernement libanais. Paris I, Paris II et Paris III, ont permis au président Chirac et à l’ancien Premier ministre libanais Rafic Hariri de proposer ce pilier économique et financier qui manquait à … la Pax Syriana, bénite pas la communauté internationale et les acteurs régionaux qui comptent. Elles ont permis de financer la reconstruction du Liban, mais elles ont surtout financé la stabilisation du pays mais à un prix très hautement surévalué aussi bien sur le plan politique (présence syrienne, corruption) que financière (dette estimée à plusieurs milliards de dollars).
Le contexte actuel impose une surveillance internationale accrue de la situation au Liban, et un engagement encore plus grand de la France aux côtés du gouvernement libanais. Dans son volet économique et financier, cette mobilisation internationale ne doit pas faire perdre de vue à Paris les risques liés à une gouvernance défaillante, à la corruption institutionnalisée, au manque de vision économique, et à un fort degré d’amateurisme même. Le contexte géopolitique refroidit les bailleurs de fonds arabes traditionnels, démotive les soutiens internationaux, éloigne les investisseurs privés.
L’engagement de la France aux côtés du Liban, de sa stabilité, de sa souveraineté et de sa prospérité, ne signifie aucunement d’induire en erreur les Français, leurs partenaires internationaux, et les Libanais. La philosophie de CEDRE est radicalement différente de celle de Paris I, II et III. A l’image de la différence entre les locataires de l’Elysée et du Grand Sérail des deux époques. Ces différences doivent être assumées, par la France, pays coordinateur de cette initiative, par la communauté internationale et par les Libanais eux-mêmes. Les plus réfractaires nous semblent être les Libanais, y compris les courants politiques représentés au gouvernement et qui appréhendent d’ores et déjà les inévitables recommandations de réformer l’Etat et sa gouvernance.
Sur ce point, la France ne peut fléchir, au risque d’enfoncer le Liban dans ses déficits et ses défaillances.
Bruxelles
Au cours de la même période, Bruxelles accueillera une conférence de soutien au Liban, dédiée à la question des réfugiés. Il s’agit des réfugiés syriens, et non les réfugiés palestiniens dont le nombre est en perpétuelle manipulation politicienne… Le nombre de réfugiés palestiniens évoluerait entre 174,422 selon la Présidence du gouvernement (qui a intérêt à en réduire le nombre) et quelque 450,000 selon l’UNRWA (réfugiés palestiniens enregistrés auprès de l’agence et dont sont exclus les réfugiés palestiniens venus de Syrie). Quant aux Syriens, qui continuent à s’inviter au Liban, en provenance de régions stabilisées, et au risque de laisser leur vie lors de leur passage aux frontières, ils seraient entre un peu moins d’un million (enregistrés comme réfugiés) et deux millions…
Il y aurait donc au Liban, en février 2018, entre 1,170,000 réfugiés (Syriens et Palestiniens) et 2,450,000. Ces écarts, immenses surtout si les chiffres sont rapportés à l’échelle libanaise, prouvent que ce dossier est lui aussi mal géré, volontairement ou non, et qu’il est exploitable à souhait, dans un sens ou dans un autre.
La conférence de Bruxelles, une autre rencontre décidée lors de la réunion du Groupe International de Soutien au Liban (décembre 2017), est, à l’instar de la conférence économique CEDRE, urgente pour le Liban mais elle peut être tout aussi … dangereuse. Car, en effet, les chiffres sont tout sauf bons, et les conséquences de cette présence massive au Liban sont tout sauf uniquement économiques. Le « modèle libanais », ce fameux slogan qui souligne, pudiquement, les différences fondamentales entre la société libanaise et celles environnantes, et les divergences essentielles entre le système politique libanais et ceux de ses voisins, joue aujourd’hui sa survie. Une conférence, dédiée au dossier des réfugiés, et qui se contenterait de financer la présence, puis l’installation durable, de plusieurs centaines de milliers de personnes, condamnerait définitivement « le modèle libanais » …
Sur ce point aussi, la France, et les partenaires européens et internationaux qui redoutent une nouvelle vague de réfugiés méditerranéens, ne doivent surtout pas fléchir en acceptant de financer… la disparition pure et simple d’un Liban différent…
Rome-2
La conférence, la plus urgente, et la plus utile, nous semble être celle pilotée par l’Italie : Rome-2. Elle était annoncée pour les 27 et 28 février, avant d’être confirmée pour le 15 mars.
Elle est donc prévue quatre ans après Rome-1, et vise à coordonner les aides internationales aux Forces armées et de sécurité libanaises. S’il y a un investissement, au Liban, qui semble, dans le contexte actuel, rentable et vital, c’est bien celui qui profiterait à l’Armée libanaise, aux Forces de sécurité intérieure, à la Sûreté Générale et à la Sûreté de l’Etat.
Sur le plan opérationnel, l’Armée libanaise, soutenue dans sa guerre contre l’Etat Islamique par les partenaires américains et britanniques notamment, bénéficie aussi d’un soutien direct de la part des principaux contributeurs à la FINUL, l’Italie, la France et l’Espagne principalement. Elle est, avec les autres services de sécurité qui se retrouvent sous la houlette du Ministère de l’Intérieur, sur plusieurs fronts et ses missions ne cessent de s’élargir et se diversifier.
La présence du Hezbollah, organisation libanaise pro-iranienne, surarmée et répondant aux ordres des Pasdarans, est traitée de manière réservée et pudique, encore aujourd’hui. Si, face à Israël, les capacités asymétriques dont dispose le Hezbollah (et qui montent en puissance en permanence) et son expérience du combat en Syrie notamment et contre Tsahal aussi, peuvent être perçues comme un avantage stratégique pour le Liban, on ne peut que regretter l’absence d’une stratégie de défense nationale cohérente ou aussi l’éclatement du mécanisme de prise de décision de la guerre ou de la paix…
Le dossier est géopolitique par essence, et il est directement lié aux évolutions régionales qui dépassent, et de loin, le seul cadre libanais. Dans le contexte actuel, et alors que le Liban est à un croisement de chemins au niveau de l’évolution de son système politique avec des interrogations légitimes sur la survie de l’Accord de Taëf, Rome-2 favorisera, en répondant aux besoins spécifiques exprimés par l’Armée surtout, et par les Forces de sécurité, la stabilité conjoncturelle du Liban, et permettra au pays de survivre en attendant une meilleure visibilité sur le plan géopolitique régional et sur le plan politique interne.
La France, qui s’est marginalisée au sein de l’Armée libanaise en mettant tous ses œufs dans le seul panier saoudien avec DONAS, gagnerait à revoir ses priorités libanaises et en se repositionnant aux côtés de ses partenaires américains, britanniques, italiens, comme soutien principal des Forces Armées Libanaises.