Koweït: La diplomatie pour sauver le contrat Caracal d’Airbus Helicopters


Publié dans le numéro 17 de la LettreM.

En visite au Bangladesh à la tête d’une délégation, le Chef d’Etat-Major koweïtien le général Mohammad al-Khoder a été victime d’un accident d’hélicoptère dont il est sorti indemne selon un communiqué du Ministère koweïtien de la Défense (KUNA, 03/01). L’appareil était russe, l’équipage bangladais, les passagers koweïtiens, et la météo peu clémente. L’Ambassadrice de France au Koweït Mme Marie Masdupuy, son attaché de défense et l’ensemble du personnel de l’Ambassade, ont aussitôt (03/01) adressé un message de courtoisie au CEMA, sur les réseaux sociaux. La réactivité de l’Ambassade de France sera certes appréciée par l’état-major koweïtien qui entretient des liens réguliers avec le bureau de l’Attaché de défense français. La coopération militaire entre le Koweït et la France peut d’ailleurs bénéficier du renouvellement de l’équipe diplomatique française sur place, si elle était portée par une réelle volonté politique.

L’accord de coopération militaire signé en août 1992 entre les deux pays a été complété en octobre 2009 par la signature d’un nouvel accord portant sur l’échange d’informations, l’assistance, la formation et l’équipement des forces armées.

L’accord de 2009, signé à Paris à l’occasion de la visite du Ministre de la Défense de l’époque cheikh Jaber al-Moubarak al-Hamad Al Sabah, « ouvre la voie à une coopération stratégique entre les armées françaises et koweïtiennes » selon les termes employés par ce dernier qui était également vice-Premier ministre. Sur son site, le Ministère français des Armées [www.defense.gouv.fr] annonçait « une coopération stratégique accrue avec la France » et jouait le jeu du Ministre koweïtien de la Défense d’alors en affirmant que le Koweït serait « fier » de disposer du Rafale au sein de ses forces armées. Le Koweït, qui parfois fait miroiter à la France d’importants contrats d’armement, précisait par la voix de cheikh Jaber qu’il « espère bientôt voir une offre à ce sujet » et que cette offre « serait étudiée très sérieusement et de façon très claire par l’armée de l’air koweïtienne ».

A l’occasion de cette même visite, le Ministre koweïtien (promu Officier de la Légion d’Honneur le 16/12/2009), a également manifesté son intérêt pour d’autres technologies militaires françaises, évoquant « la marine, les systèmes d’armes de défense aérienne et les hélicoptères ». Parmi les programmes ayant pu être conclus et finalisés depuis, celui des hélicoptères Caracal : le contrat, signé en août 2016, plusieurs mois après l’annonce d’une série d’accords et déclarations d’intention portant sur des armements terrestres (Sherpa), aériens et maritimes, se retrouve aujourd’hui au cœur d’un scandale politico-financier.

Le contrat franco-koweïtien (30 appareils, €1,07md) a été conclu en un temps record, et il a été signé en présence des Ministres de la Défense koweïtien et français de l’époque. Ce contrat, signé sans contrepartie économique, est le contrat d’armes le plus important jamais conclu entre les deux pays. Une dizaine d’années auparavant, en 1995, la France vendait au Koweït huit patrouilleurs (CMN), avant de perdre pied sur ce marché. Le contrat Caracal est « l’occasion de renforcer les liens entre la France et le Koweït » affirmaient les sources françaises proches de Jean-Yves Le Drian. L’affaire a éclaté en France (révélations du journal Marianne du 14/12/17 : « Quand un agent koweïtien réclame 64 millions d’euros à Airbus Helicopters ») avant d’être rapportée par les médias koweïtiens (le journal al-Raï) puis soulevée par un député de l’Opposition (Moubarak al-Hajraf) devant le Parlement (20/12/17).

Une affaire qui ressemble au départ à un règlement de compte franco-français, et qui est aussitôt récupérée par l’Opposition koweïtienne qui offre ainsi au nouveau gouvernement l’opportunité de se saisir d’un premier dossier de corruption impliquant l’équipe précédente. Le gouvernement, nommé récemment, avec au poste de Ministre de la Défense le propre fils de l’émir Sabah el-Ahmad Al Sabah, s’est montré particulièrement sensible et réactif sur le dossier de la corruption. Avec ce dossier franco-koweïtien, et qui concerne la défense, il donne le ton et inaugure une nouvelle ère de lutte contre la corruption qui gangrène le système. Le 20/12/17 (KUNA), le porte-parole du gouvernement koweïtien le ministre d’Etat aux affaires du gouvernement Anas al-Saleh, déclarait qu’il « a été décidé de soumettre le contrat sur les hélicoptères Caracal à l’Autorité publique de lutte contre la corruption pour ouvrir une enquête et prendre les mesures nécessaires ». Il a précisé que la décision a été prise par le même cheikh Jaber Moubarak Al Sabah, aujourd’hui Premier ministre, et qu’il a également été décidé de déférer l’affaire à la Cour des comptes pour vérifier toutes les données, les documents et les procédures de l’accord ».

Pour l’Ambassadrice de France, qui travaille désormais sous l’autorité de celui qui a piloté ce programme côté français lorsqu’il était Ministre de la Défense, l’actuel Ministre de l’Europe et des Affaires étrangères Jean-Yves Le Drian, ce dossier s’inscrit droit dans le cadre de sa mission de « diplomatie économique ». Mme Masdupuy pourrait choisir de ne pas s’immiscer dans cette affaire et la laisser aux industriels et aux Ministères directement concernés au Koweït et en France. Mais cette affaire, devenue un scandale au Koweït, concerne aussi bien l’image de l’industriel Airbus Helicopters, que celle de la France tout court. Elle pourrait affecter la coopération militaire entre les deux pays, et rendre encore plus difficile la conduite des négociations et la finalisation des contrats de ventes d’armes et d’équipements français à l’émirat (où on a toujours en mémoire les scandales franco-français liés au contrat de déminage du Koweït, notamment avec la Sofremi…).

Un dossier, qui concerne Airbus Helicopters et son « agent » et qui pourrait être réglé devant la justice, tout bonnement, s’il ne s’agissait pas d’un domaine aussi sensible que celui de l’armement, et d’un nom aussi prestigieux que celui d’Airbus. Surtout, une telle affaire pourrait discréditer les réseaux de négociateurs sur la voie Paris-Koweït, y compris ceux qui bénéficient d’une bienveillance auprès des officiels français. L’intervention de l’Ambassade pourrait ne pas suffire, à moins qu’elle ne soit coordonnée par son Ministre de tutelle et le Ministère des Armées.

Publié dans le numéro 17 de la LettreM.

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