Dans les allées du salon de Dubaï, les officiels arabes et asiatiques venus nombreux pour participer au show dubaïote, ont trois sujets d’intérêts immédiats, en plus des commandes annoncées ou promises. Ainsi, on les entendait souvent discuter, malgré les réserves qui s’imposent, de la situation en Arabie saoudite où une vaste purge a été lancée contre la corruption, des tensions géopolitiques entre la même Arabie saoudite et l’Iran et qui ont pris une nouvelle dimension avec l’affaire Hariri (Premier ministre libanais démissionné), et, de façon assez surprenante, du mouvement initié par le Président français Emmanuel Macron sur la consolidation de l’Europe de la défense et le renforcement du couple franco-allemand.
C’est ce troisième point qui retient le plus notre attention ici, surtout lorsqu’on connaît le peu de considération que les pays du Golfe témoignent à l’Europe dans le domaine de la défense.
En effet, les Etats du Golfe, comme certains pays asiatiques, cherchent, en s’équipant de matériels européens et spécifiquement français, une autre source d’approvisionnement crédible afin de ne pas être totalement tributaires de technologies américaines ou anglosaxonnes. Ainsi, c’est à travers une recherche de souveraineté qu’il faut comprendre le choix de nombreux pays arabes de se tourner vers des fournisseurs français pour s’équiper en systèmes d’armements fiable et combat proven.
Or, cette mutualisation opérationnelle et industrielle de plus en plus mise en avant par la France et l’Allemagne est un sujet d’inquiétude dans cette partie du monde, où la « souveraineté nationale » est un argument de vente que la France a toujours su mettre en avant pour valoriser sa position face aux Etats-Unis.
Le débat suggéré par certains, que l’on pourrait qualifier d’optimistes, insiste sur ce que gagneraient les partenaires arabes et asiatiques des industries de défense nationales européennes à voir les Etats européens accélérer leur intégration industrielle : cela donnerait davantage de « muscle politique » aux exportations militaires, et offrirait des programmes basés sur une riche accumulation de savoir-faire et d’expériences opérationnelles et industrielles.
La question qui a déstabilisé le débat, porté peut-être par ceux qu’on pourrait appeler les pessimistes, est très vite posée : les pays clients des industries de défense nationales européennes ne perdraient-ils pas une certaine liberté de choisir leurs fournisseurs et partenaires, alors qu’ils privilégient la diversification de leurs sources d’approvisionnement en armement ?
Le cas du partenariat franco-allemand est aussitôt soulevé : l’Allemagne, dont les exportations restent tributaires d’une contrôle parlementaire poussé vis-à-vis de la sélection des destinataires des armes allemandes, n’entraverait-elle pas, par ricochet, les exportations françaises ? Le rapprochement dans le domaine de la défense et des industries militaires entre Paris et Berlin, ne risquerait-il pas de priver nombre de clients français de la capacité de se doter des meilleurs matériels afin de ne pas être entièrement tributaires des Etats-Unis ? Cela ne risque-t-il pas de se retourner contre les intérêts français qui verraient de nombreux marchés de la région se fermer sous l’injonction de la surenchère des parlementaires allemands y compris sur des marchés porteurs pour la France comme le Golfe et certains pays asiatiques ?
Le contexte actuel, qui empêche les industriels allemands de la défense d’obtenir des autorisations d’exportation vers les marchés arabes du Golfe, est perçu, en effet, comme un handicap « contagieux » et qui pourrait fragiliser le positionnement des exportateurs français. Ces derniers perdraient ainsi et la maîtrise totale de leurs technologies, et le poids politique représenté par leurs développements « souverains » de programmes avancés et qui ne seraient que partiellement compensés par des mutualisations européennes. La question du renforcement du monopole américain sur la région, si les exportations françaises venaient à être impossibles pour cause de blocage allemand, commence à inquiéter certains des clients français les plus fidèles.