La purge, inédite dans son ampleur et ses cibles, menée au soir du 04/11 par la Commission de lutte contre la corruption, permet au Prince héritier saoudien Mohammad Ben Salman Ben Abdulaziz de neutraliser, dans sa marche vers le pouvoir suprême, diverses sources de nuisance potentielle. La lutte contre la corruption, thème populaire en Arabie Saoudite surtout lorsqu’il concerne la classe dirigeante et ses élites, sert ainsi la stratégie de pouvoir de MBS. Cela se vérifie sur le plan interne, mais aussi pour crédibiliser les réformes économiques engagées et accroître l’attractivité de Vision 2030.
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Ce n’est pas l’audace qui manque au jeune prince, qui n’a pas hésité à arracher les clés du diwan paternel depuis que Salman Ben Abdulaziz était pressenti pour devenir Roi, et qui a su profiter des fenêtres de tirs qui se présentaient à lui pour se débarrasser de ses rivaux directs à commencer par celui qui était promis à succéder au souverain actuel : le prince Mohammad Ben Nayef Ben Abdulaziz. MBS a pu s’imposer aux divers cercles familiaux, alors qu’il risquait, comme bon nombre de ses cousins fils d’anciens rois, de tomber dans les oubliettes avec l’accession au trône de MBN. Ceux qui ne lui étaient pas acquis étaient marginalisés au profit de représentants moins représentatifs de leurs clans. Cette stratégie se poursuit, et lui permet de se débarrasser de certaines figures récalcitrantes et d’en promouvoir d’autres au sein des mêmes clans et qui lui sont naturellement dévouées. Il a su s’imposer aux diverses composantes des Forces armées et de sécurité, mais il lui manquait encore la Garde Nationale pour s’assurer le contrôle total et exclusif des moyens militaires et sécuritaires. C’est désormais chose faite avec l’éviction de son autre cousin Mitaab Ben Abdullah Ben Abdulaziz du poste de Ministre de la Garde Nationale.
MBS s’impose comme un fait accompli au Comité d’Allégeance, aux divers clans, et aux princes les plus en vue, et même à ceux de la génération de son père et qui n’ont toujours pas surmonté le coup de force qui permet un changement de générations à la tête du royaume. Il s’impose à ses sujets saoudiens, en renouvelant les équipes dirigeantes des diverses régions et gouvernorats, comme il s’impose à l’administration en devenant vice-Premier ministre et en monopolisant surtout les principaux leviers économiques, sociaux et administratifs. Il s’érige en visionnaire, réformateur, en vendant sa Vision 2030 à ses sujets, les milieux d’affaires saoudiens, leurs relais régionaux, et aux partenaires internationaux du royaume. Il commence à toucher au plus délicat des sujets, non sans courage, celui de la religion qu’il espère réformer… sans vraiment réformer… En fait, là aussi, MBS cherche à prendre possession des lieux en soumettant, très progressivement certes, mais sûrement, le clergé. Ce levier, religieux, est indispensable pour gouverner et MBS entend le récupérer, prudemment.
En dépoussiérant le système interne, dans l’ensemble de ses leviers (politiques, sociaux, économiques, religieux, militaires, etc.), MBS s’attelait aussi à remodeler, de manière pragmatique, la politique extérieure de Riyad, avec, toujours, ce même objectif de s’imposer comme interlocuteur privilégié et crédible pour les partenaires régionaux et internationaux. Dans ce domaine, où il semble le moins doué pour le moment si l’on en juge aux résultats obtenus, il aurait réussi à embarquer son pays dans de multiples aventures dont le royaume avait su se tenir à l’écart ces dernières décennies.
L’audace et l’opportunisme sont deux piliers de la stratégie de pouvoir suivie par MBS. L’audace qui lui permet d’ailleurs d’être aussi opportuniste… Cela se vérifie sans difficultés sur le plan interne et au niveau extérieur, sur le plan politique, social ou économique et militaire. Mais, à ce jour, cette audace et cet opportunisme (qui l’amèneraient peut-être aussi à devenir bien plus pragmatique que ses prédécesseurs à l’égard de certains dossiers régionaux en souffrance dont le conflit israélo-palestinien) n’ont prouvé leur pertinence qu’à un seul et unique niveau : celui de permettre à MBS de poursuivre son coup de palais.
Maintenant que son installation au pouvoir est acquise pratiquement, il lui faudrait légitimer sa place à la tête du système. Ce « système » qui fera de MBS, non plus simplement un chef de clan ou un chef d’Etat, mais le Gardien des Lieux Saints, un des piliers du Monde arabe, une puissance pétrolière mondiale, un acteur régional influent… L’audace et l’opportunisme ne suffiront plus dans ce cas. Il lui faudrait des résultats. Pour le moment, il n’en a aucun : ses réformes sociales, économiques, énergétiques, politiques, ses aventures militaires, ses ambitions géopolitiques, tardent à livrer leurs promesses. MBS doit espérer des résultats visibles au cours des prochaines années, s’il veut légitimer son pouvoir. A défaut de tels résultats, palpables, ses réformes provoqueraient des effets contraires déstabilisateurs…
La purge, qui a touché des figures de premier plan du monde des affaires, de la défense, de l’administration, et qui n’a pas épargné, loin de là, la famille royale et ses éminents membres, est un exemple concret de cette capacité de MBS à imposer des faits accomplis même s’il n’en maîtrise pas toujours les conséquences. C’est aussi une illustration de l’exploitation populiste d’un levier particulièrement sensible dans le contexte politique, social et économique actuel : la corruption. Audacieux, MBS n’hésite pas à s’en prendre à de belles figures, y compris princières. Opportuniste, il en profite pour les livrer à la vindicte populaire qui ne se contente plus d’actions symboliques contre la corruption.
Cette purge sert avant tout l’image de MBS et consolide son pouvoir en le légitimant aux yeux de ses sujets et des partenaires internationaux qui exigent, parallèlement aux réformes annoncées, une meilleure gouvernance et une lutte engagée contre la corruption érigée au royaume en philosophie d’affaires. Au passage, MBS se débarrasse de potentiels rivaux et adversaires, et annonce une concentration entre ses mains du business saoudien.
La suite de cette note, réservée aux clients de MESP, propose une cartographie des principales personnalités saoudiennes touchées par la purge et leurs networks au sein de la famille et dans les milieux d’affaires saoudiens et arabes. Notre cartographie revient sur les principaux investissements internationaux des hommes d’affaires arrêtés pour corruption et sur leurs liens avec des entreprises internationales opérant en Arabie saoudite et dans le Golfe. Enfin, cette note tente d’identifier les principales affaires de corruption qui sont reprochées aux hommes d’affaires et aux responsables officiels actuels ou anciens.
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