En novembre 2014, le Président égyptien Abdel-Fattah al-Sissi effectuait sa première visite à Paris où il était arrivé en provenance de Rome. Le maréchal-président, élu en mai de cette même année à 96,9% des suffrages, après sa prise de pouvoir en juillet 2013, était en quête d’une légitimé internationale qu’il pensait trouver auprès des partenaires traditionnels de l’Egypte parmi lesquels la France. Trois ans plus tard, et moins de quatre mois avant le premier tour de la présidentielle, Sissi, qui s’apprête à se porter candidat pour un second et dernier mandat, revient à Paris pour réaffirmer son attachement au partenariat stratégique qui lie son pays à la France. Il le fait alors que Paris et Le Caire ont eu le temps de se comprendre sur l’essentiel, au cours de ces quatre dernières années. Les réserves françaises sur les questions des libertés et des droits de l’homme demeurent inchangées, tout comme les appréhensions égyptiennes à l’égard de ce qui est perçu comme des ingérences de la France dans les affaires internes de l’Egypte. Mais, l’évolution des relations franco-égyptiennes ces dernières années aura permis de mettre en évidence ce qui rassemble les deux pays, et de relativiser l’impact de ce qui les diviserait.
Privilégier la stabilité de ce partenaire, pilier du monde arabe, à l’intersection de deux continents, devient une priorité internationale et française. La fameuse formule du « dialogue exigeant », que le Président Emmanuel Macron vient de rappeler en affirmant son attachement au maintien de l’accord nucléaire avec l’Iran questionné par Washington, est particulièrement adaptée au cas égyptien aussi. Ainsi, les dossiers qui fâchent, ceux notamment liés à l’indéniable dérive autoritaire du pouvoir Sissi, ou ceux liés à la tolérance des Frères Musulmans par Paris et qui est jugée excessive par Le Caire, peuvent et doivent être traités dans le cadre de ce dialogue exigeant entre les deux parties. Les autres dossiers, ceux qui montrent les affinités franco-égyptiennes et, surtout, les intérêts stratégiques communs, méritent d’être mis en avant et médiatisés. Ces dossiers, qui servent le rapprochement entre l’Egypte du Président Sissi et la France, sont nombreux : la lutte contre le terrorisme islamique, la gestion de la crise migratoire, la Libye, le Golfe, la Syrie, le conflit israélo-palestinien, etc. Ils devraient occulter, sans les effacer encore une fois, les autres dossiers communs qui fâchent. Les chefs d’Etat égyptien et français ont d’ailleurs en commun un fort degré de pragmatisme propice au développement de relations sereines et constructives.
« Intérêts stratégiques » et « dialogue exigeant »
Egyptiens et Français préparent depuis des semaines la visite à Paris du président Abdel-Fattah al-Sissi. L’ambassadeur de France au Caire Stéphane Romatet a communiqué autour de cette visite, modérément, comme il l’a fait lors d’une rencontre le 01/10 avec les médias à l’occasion d’un déplacement à Alexandrie d’où il a souligné les principaux axes de coopération entre la France et l’Egypte. Le diplomate français, qui s’est également rendu le 12/10 sur le chantier du nouveau barrage d’Assiout confié à Vinci, insiste constamment sur la lutte contre le terrorisme comme axe de coopération prioritaire entre les deux pays. La France coopère avec l’Egypte sur de nombreux autres dossiers régionaux, notamment la Libye où les deux pays cooptent ensemble le chef de l’Armée le maréchal Khalifa Haftar. Tout en coopérant sur les dossiers stratégiques (lutte contre le terrorisme, Libye), et en se concertant sur d’autres dossiers essentiels pour la stabilité régionale (Syrie, conflit israélo-palestinien), la France et l’Egypte évitent de s’aventurer sur des dossiers qui fâchent : sur le Qatar, ennemi désormais désigné du régime Sissi pour son soutien aux Frères Musulmans, et qui reste un allié central de la France dans le Golfe, ou aussi sur les questions, particulièrement embarrassantes pour Le Caire, des droits de l’homme et des libertés. Sur le boycott du Qatar, Romatet a répondu, devant les médias à Alexandrie, de manière générale en appelant à agir contre la diffusion des discours de haine et contre les sources de financement du terrorisme « au Qatar ou ailleurs ». Sur la question des droits de l’homme et des libertés en Egypte, de plus en plus critiquée, il est resté muet.
La visite du président Sissi à Paris, abordée aussi à Washington par le Ministre de l’Economie et des Finances Bruno Le Maire avec le Ministre égyptien des Finances Amr al-Ghary en marge des assemblées annuelles du FMI et de la BM, sera très certainement critiquée, avant, pendant et après sa tenue. Le point faible qui sera constamment visé est bien évidemment la question des droits de l’homme et des libertés (sans parler de certaines divergences franco-françaises qui semblent être à l’origine du blocage de certains contrats économiques avec l’Egypte). Sous cet angle-là, les réponses seront naturellement peu convaincantes. La riposte française devrait être bien construite, afin d’éviter une trop forte pression sur les intérêts stratégiques et économiques de la France en Egypte et sur la zone. Les détracteurs du régime Sissi, dans leurs composantes Frères Musulmans ou libérales, sont bien implantés en France, où ils disposent de multiples caisses de résonance. L’UOIF, soutenue par le Qatar et par la Turquie, et les ONG qui subissent les exactions du régime Sissi en Egypte, ne devront pas manquer une telle occasion, celle de la visite à Paris du Président égyptien et de l’annonce attendue de nouveaux accords bilatéraux, pour dénoncer cette collusion et cette complicité entre Paris et Le Caire. D’autant que le contexte politique interne, en France, s’y prête largement. La couverture arabe et islamique qu’offre à ce rapprochement franco-égyptien l’axe saoudo-émirati est certes très utile, mais elle restera insuffisante devant l’offensive des opposants au système. La riposte officielle française devrait être pensée de manière mieux adaptée.
La question a d’ailleurs été anticipée, en quelque sorte, par l’Elysée, lorsqu’il a affirmé, dans le communiqué publié le 19/10 pour annoncer officiellement la visite, que Macron et Sissi évoqueront au cours de leur déjeuner de travail (24/10) « les sujets d’intérêts communs comme les crises régionales et la lutte contre le terrorisme, mais également la situation des droits de l’homme à laquelle la France est particulièrement attentive ».
S’il y a une idée qui doit constamment être plaidée par le gouvernement et par les défenseurs d’un rapprochement encore plus grand entre Paris et Le Caire, c’est bien celle des intérêts nationaux français : la défense du territoire national contre le terrorisme et contre la migration illégale commence en Egypte (on retrouve l’idée dans la Revue Stratégique, surtout que privilégier la stabilité au Moyen-Orient redevient une priorité française et européenne), les opportunités d’affaires sur le marché égyptien sont synonymes de création d’emplois en France (sans parler des retombées en matière de souveraineté nationale et d’indépendance technologique), l’élargissement de l’influence culturelle de la France en Egypte (100 millions d’habitants), la consolidation de l’influence politique de la France sur l’ensemble de la zone grâce à un partenariat plus solide avec une puissance au carrefour de deux continents, etc. Ces arguments, souvent négligés, méritent de revenir dans le discours officiel français lorsqu’il s’agit de promouvoir les relations franco-égyptiennes. Ils ne suffiront pas à contrer les accusations liées aux questions des droits de l’homme et des libertés, mais ils en atténueraient l’impact. Le « dialogue exigeant » que souhaite une France « particulièrement attentive » aux questions des droits de l’homme ferait le reste…
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Agreements signed during President Sissi’s visit to Paris October 2017