Publié dans le numéro 7 de la LettreM, 15 août 2017.
Alors qu’elle lance son initiative libyenne, après avoir évité soigneusement de s’embourber dans la crise qui oppose ses partenaires arabes de référence dans le Golfe, et qu’elle préconise une révision de l’engagement européen au Sahel, la France pousse ses entreprises à revenir en Iran, élargit ses contacts avec l’Irak dans le domaine de la sécurité et en visant la reconstruction, encourage un retour au dialogue israélo-palestinien avec comme référence la solution des deux Etats, tout en assumant son virage sur le dossier syrien.
Le Président Emmanuel Macron est perçu, de ce côté-là de la Méditerranée et à partir du Golfe arabo-persique, comme étant directement, et exclusivement, aux commandes de ce nouveau modus operandi. Pour les interlocuteurs arabes et moyen-orientaux de la France, la politique extérieure et la gestion des dossiers du Moyen-Orient dans leurs divers aspects stratégique, militaire, diplomatique, économique et culturel, redeviennent une affaire purement présidentielle et élyséenne, ce qui devrait réduire, encore plus, la marge de manœuvre des Ministres et des Ministères concernés.
A partir des capitales arabes et moyen-orientales, le pragmatisme assumé par le Président Macron, et son dynamisme, sont perçus comme les signes avant-coureurs d’un repositionnement général de la France sur les dossiers du Moyen-Orient. La comparaison est automatiquement établie avec les dernières années du mandat de François Hollande, de manière générale et dossier par dossier, ce qui comporte en soi des risques dans l’interprétation de la politique moyen-orientale du gouvernement actuel. Un effort de communication, via les canaux diplomatiques en premier lieu, contribuera à offrir aux partenaires régionaux de la France une meilleure visibilité et une plus grande compréhension des priorités françaises.
Ces perceptions, aussi imprécises soient-elles, sont désormais partagées par les alliés et partenaires de la France sur la zone Moyen-Orient Afrique du Nord. Et cette concentration des pouvoirs aux mains d’un homme ne devrait pas particulièrement provoquer des Etats et systèmes aussi archaïques qu’une monarchie absolue ou une dictature militaire…
Ce qui, par contre, déstabiliserait les alliés et partenaires de la France au Moyen-Orient, serait l’absence d’un interlocuteur officiel français, compréhensif et complice même, à l’écoute et disponible, polyvalent, qui servirait d’interface avec une Présidence qui a tendance à gérer les dossiers les concernant. Ce qui est perçu comme un encerclement progressif de Jean-Yves Le Drian, celui qui incarnait ce personnage, indispensable dans la littérature diplomatique orientale, suscite quelques interrogations dans les couloirs des palais. Après son éviction du Ministère de la Défense, rebaptisé Ministère des Armées, et sa nomination comme Ministre de l’Europe et des Affaires étrangères, JYLD savait qu’il risquait de perdre une partie de son investissement réalisé avec succès auprès des dirigeants arabes qui comptent. Ces derniers craignent aussi de le perdre…
Avec ses années d’expérience à la Défense, avant d’arriver aux Affaires étrangères, JYLD, qui avait l’oreille du Président François Hollande et la confiance des Armées et des industriels de la défense, a réussi à tisser des liens personnels forts et équilibrés avec un Mohammad Ben Zayed Al Nahyan (Abou Dhabi), un Tamim Ben Hamad Al Thani (Qatar), un Mohammad Ben Salman Ben Abdulaziz (Arabie saoudite), un Abdel-Fattah al-Sissi (Egypte), un Khalifa Haftar (Libye) etc. Cela lui permit de tempérer de nombreuses incohérences politiques, diplomatiques et militaires, et d’en réduire l’impact sur les relations bilatérales. Son influence, à Paris, n’est plus aujourd’hui la même, et c’est un fait. Son image, auprès de ses interlocuteurs de la région, non plus. Qui, au sein de la classe politique française, pourrait lui succéder ?
En tout cas, le changement, dans ce cas, aurait été progressif, et le passage de JYLD par le Quai d’Orsay, alors que l’Elysée reprend en main la politique extérieure et moyen-orientale de la France, permet un passage du relai serein et apaisé. Mais, là encore, la perception d’un tel changement par les interlocuteurs et partenaires moyen-orientaux de la France fera que la « normalisation » des rapports politiques et diplomatiques entre les deux parties ressemblerait surtout à une « standardisation » de ces rapports.
Un Hubert Védrine, par exemple, qui en imposerait aux MEAE même s’il susciterait quelques réserves auprès de certains partenaires moyen-orientaux, Florence Parly au Ministère des Armées, et un sherpa concentré sur d’autres dossiers en priorité, sont les éléments supposés d’une « normalisation » des relations franco-arabes et franco-moyen-orientales de manière générale. Cette normalisation, qui sortirait ces relations de leurs spécificités, profiterait-elle à l’influence de la France sur la zone ?
Plus que la « standardisation » des relations franco-arabes, et qui ferait craindre aux partenaires arabes de référence de perdre, justement, certaines de leurs « références » françaises, l’intérêt devrait se porter sur la nécessaire remise en question de ce qui semble être une volonté présidentielle de « neutralité ».
En effet, et indépendamment des personnes et des positions, la nouvelle posture politique française au Moyen-Orient ne pourrait reposer uniquement sur une volonté, affichée et assumée, de rester constamment « à égale distance » de tous… Si cela est compréhensible, et nécessaire même lorsqu’il s’agit d’un conflit entre le Qatar et un camp opposé dont la France est tout aussi proche, cela le serait moins, avec le temps, sur d’autres dossiers. D’ailleurs, une crise entre le Qatar et le camp saoudo-émirati, qui durerait dans le temps et qui deviendrait régionale dans le sens le plus complexe du terme, ne permettrait plus à la France de préserver sa neutralité indéfiniment…
Qu’en serait-il donc avec, notamment, le conflit qui oppose deux mondes : le monde arabo-sunnite, où se concentrent les alliés de référence de la France sur la zone, et le monde chiito-perse sur lequel la France tente aujourd’hui de s’ouvrir ?
Viendrait le jour où la volonté présidentielle française de se repositionner sur les dossiers régionaux par le biais de la seule « politique des équilibres » ne suffirait plus à préserver l’influence de la France. Alors qu’elle s’ouvre sur l’Iran, culturellement, diplomatiquement, et économiquement (Total, Renault, Airbus, etc.), et qu’elle va jusqu’à lui faire des clins d’œil complices sur le dossier syrien, la France doit savoir qu’elle prend un risque : celui de se distancer de ses partenaires arabes sunnites, sans gagner, substantiellement, avec l’Iran.
Pourtant, et la nuance est ici nécessaire à souligner, la coopération avec l’Iran est désormais indispensable pour une puissance moyenne comme la France pour lui permettre de rester présente et plus ou moins influente au Levant (Irak, Syrie, Liban). Mais, à aucune étape de cette coopération, qui doit être pragmatique et fructueuse, il ne doit être perçu, côté arabe, que la France opère un véritable virage stratégique à leurs détriments. L’idéal reste que la France soit perçue comme toujours engagée auprès de ses alliés arabo-sunnites, tout en offrant à ces derniers une possibilité de contact et de dialogue avec l’Iran (Lire la rubrique La France vue par les 24) … Un dossier qui sera géré directement par l’Elysée, sans doute.
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