Publié dans le numéro 4 de la LettreM, 4 juillet 2017.
Alors qu’il recevait, à l’Elysée, le Prince héritier d’Abou Dhabi cheikh Mohammad Ben Zayed Al Nahyan, le Président Emmanuel Macron faisait remettre par son Ambassadeur à Doha une lettre écrite à l’Emir du Qatar cheikh Tamim Ben Hamad Al Thani (21/06).
TBH, dont on avait annoncé la visite à Paris pour le 06/07 (visite décidée avant la crise actuelle), ne semble plus disposé à quitter son émirat dans le contexte actuel, ce qui est à la fois une déception et un soulagement…
Quelques jours auparavant, Macron recevait le Roi Abdullah II de Jordanie, qui se rendait ensuite aux Etats-Unis (19/06). A Paris, Abdullah II a parlé de la Syrie, de la guerre contre l’Etat Islamique et de la crise du Qatar, une crise qui commence à l’embarrasser particulièrement, un peu comme c’est le cas désormais de la France.
Les réseaux de l’Elysée travaillent pour convaincre le nouveau Prince héritier saoudien Mohammad Ben Salman Ben Abdulaziz de passer par Paris après le sommet du G20 de Hambourg où il représenterait son pays en l’absence du Roi Salman. MBS, qui devrait se rendre en visite officielle à Paris en septembre prochain (date à préciser), gagnerait à rencontrer le Président français à l’Elysée alors que la France s’efforce de rester neutre dans le conflit du Qatar et qu’elle tend à s’ouvrir davantage sur l’Iran.
Le 29/06, alors que l’Ambassadeur de France à l’ONU François Delattre affirmait que « l’accord sur le nucléaire iranien est une réponse robuste à une crise de prolifération majeure » (JCPOA), le Ministre de l’Europe et des Affaires étrangères Jean-Yves Le Drian recevait le Ministre iranien des Affaires étrangères Javad Zarif qui arrivait de Rome après Berlin. Le lendemain, le MAE était reçu par le Président français. Le grand rassemblement de l’Opposition iranienne qui se tenait à Paris avec le soutien actif des Saoudiens et de quelques personnalités françaises désormais « hors-circuit », n’a en rien affecté les discussions franco-iraniennes. La tenue de la troisième session du dialogue politique bilatéral dans la capitale iranienne et le contrat remporté par Total en Iran et signé le 03/07 confirment ce rapprochement en cours entre Paris et Téhéran.
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L’équipe présidentielle française, qui choisit d’accueillir le Président russe Vladimir Poutine à Versailles puis d’inviter le Président américain Donald Trump au 14 Juillet, a le sens de l’équilibre et le montre clairement lorsqu’il s’agit des dossiers du Moyen-Orient.
Dans le contexte actuel, opaque plus que jamais et toujours aussi complexe, cela semble être l’attitude optimale pour une puissance moyenne et bien présente comme la France. Mais est-ce une attitude viable à terme ?
Sur le dossier de la lutte contre le terrorisme, le sommet du G5 Sahel à Bamako est l’occasion pour la France de montrer sa détermination à respecter ses engagements vis-à-vis de ses partenaires, malgré des divergences de vue grandissantes entre Paris et Washington, et malgré les tergiversations d’acteurs régionaux plus ou moins fiables. Les avis, à Paris, et parmi les partenaires de la France, sont partagés sur la stratégie suivie sur ce dossier et sur les moyens consentis. A l’évidence, on est en situation de surchauffe, comme d’ailleurs sur l’ensemble du dossier de la lutte contre l’Etat Islamique et le terrorisme islamique…
Un autre dossier régional impliquant la France et dont la gestion chaotique devient plus que dangereuse : la Libye. La crise du Qatar ne peut qu’envenimer cette crise, rendant encore plus difficile pour Paris de rester au-dessus de la mêlée, encore moins de satisfaire toutes les parties locales, régionales et internationales. Sur ce dossier, la France risque de perdre, soit sa neutralité, soit son utilité. Soit les deux.
Quant au dossier israélo-palestinien, la France assure une présence minimale, et pense à mener une nouvelle initiative dans un contexte risqué. Si le maintien d’une présence sur ce dossier paraît utile et nécessaire pour la stabilité régionale et pour l’influence de la France, il semble que le timing optimal est toujours introuvable.
Sur le dossier syrien, le Président Macron a choisi de parler à la Russie et à l’Iran, en plus de ses partenaires traditionnels, et d’assumer un pragmatisme inédit pour une sortie de crise. S’il garantit, théoriquement, une place à la France dans le tour de table qui se monte actuellement sur la Syrie, il n’en est rien pratiquement. Mais, en dépit des critiques entendus dans les milieux dits « néoconservateurs » et parmi les plus engagés idéologiquement, cette démarche menée par l’Elysée et le Quai d’Orsay semble être celle qui offre la plus grande chance à la France pour se maintenir dans le jeu. Elle méritait d’être engagée.
Avec l’Iran, la question est tout aussi délicate, lorsqu’on voit l’intensité et l’étendu du conflit géopolitique qui oppose la république islamique à l’Arabie saoudite et son camp. La France a eu besoin de longues années pour se réconcilier, très progressivement et partiellement d’ailleurs, avec l’Iran, tout en ménageant ses excellentes relations sur l’autre rive du Golfe. Son Président et son MEAE doivent désormais faire preuve d’une savante dextérité pour, non seulement éviter de devoir faire des choix embarrassants entre les deux camps, mais aussi pour réussir le repositionnement de la France à l’intersection des intérêts de l’ensemble des acteurs. Cela n’est pas impossible tant qu’aucun des deux camps, le camp iranien et le camp saoudien, n’exige de la France de choisir entre eux. Les Saoudiens aimeraient le faire, mais ils n’oseraient pas risquer de perdre la carte française aujourd’hui, alors que les autres cartes, surtout la carte américaine, ont encore besoin d’être bien tenues. Les Iraniens en rêveraient, mais savent qu’ils en sont, encore aujourd’hui, incapables, fautes de contreparties. Cela n’empêche pas le Ministre iranien des Affaires étrangères de proposer, à l’occasion de sa tournée européenne, à l’Allemagne, à l’Italie et à la France, d’élargir leur marge d’indépendance à l’égard des Etats-Unis pour faire équipe avec…l’Iran.
Par contre, la crise du Qatar, gérée à ce jour par l’Elysée et le Quai d’Orsay de manière prudente et réussie, risque, à terme, d’embarrasser Paris. Déjà, des voix s’élèvent à Riyad, Manama, Abou Dhabi et Le Caire, invitant les partenaires internationaux à choisir entre leurs intérêts avec le Conseil arabe de Coopération du Golfe et le Qatar. L’Ambassadeur des EAU à Moscou, Omar Ghobash, l’a clairement fait savoir aux concernés (interview dans The Times, 29/06), tout en s’adressant surtout au Royaume-Uni, mais aussi à la France, à l’Italie et à l’Allemagne et certainement pas à la Russie où il est en poste, ni aux… Etats-Unis.
Après une prise de recul par rapport aux dossiers internationaux et du Moyen-Orient, le Président Macron a présenté les grandes lignes de sa politique régionale : terrorisme, Syrie, Iran, Golfe, etc. La France, visible et entreprenante, redevient, surtout, pragmatique et (…)
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