Historiquement, la France a traité le dossier libanais sous l’angle de son partenariat avec une faction libanaise. Il y a eu les Chrétiens maronites, puis les Sunnites pro-saoudiens. Les autres composantes, principalement les Chiites, ceux totalement ancrés dans le camp iranien ou les autres, n’étaient pas sur le radar français. Les choses pourraient et devraient changer, dans l’intérêt du Liban et de la France.
Concrètement, cela se traduisait par des réactions libanaises communautaires à l’égard de la politique française au Liban. Lorsque cette politique était bien perçue par une communauté, elle l’était moins par une autre. Logiquement, la France était même combattue frontalement, sur la scène libanaise, pour des raisons libano-libanaises, avant qu’elles ne soient libano-françaises. En outre, il y a toujours une dimension omniprésente, la dimension régionale qui affecte les rapports franco-libanais, dans un sens ou dans l’autre.
Lorsque la France soutenait le pouvoir politique libanais tel qu’instauré en 1943, les composantes musulmanes y voyaient un soutien français aux Chrétiens et au maronitisme politique. La France et son influence étaient automatiquement combattues par les opposants aux Maronites installés au pouvoir par l’ex-puissance mandataire. Elle n’était donc pas combattue pour elle-même… Aujourd’hui, et depuis l’Accord de Taëf, un accord imposé aux Chrétiens libanais par des arrangements internationaux et régionaux, et soutenu par une faction libanaise désireuse d’hériter le maronitisme politique, l’action de la France est dénoncée par les déçus de la politique française, entendre les Maronites, et par les exclus de cette politique, les Chiites. Le schéma mérite toutefois d’être nuancé.
Pour des raisons stratégiques et d’intérêts économiques, la France assume et consolide ses relations avec ses partenaires arabes de référence, avec comme point de chute central l’Arabie saoudite. Au Liban, et après avoir soutenu donc le pouvoir maronite, puis l’accord de Taëf qui cédait aux musulmans certaines des prérogatives présidentielles, et alors que le conflit saoudo-iranien se radicalisait, la France se retrouve très directement engagée aux côtés d’une faction libanaise : les Sunnites pro-saoudiens. Cela se fait de manière automatique, non intentionnelle. Et de manière automatique aussi, comme un maudit jeu à somme nulle, la France se retrouve face aux autres composantes libanaises…
Les clivages géopolitiques régionaux et la fitna confessionnelle compliquent ces rapports interlibanais, et emprisonnent la France sur la scène libanaise derrière les barricades dressées par le camp sunnite pro-saoudien. Le changement doit commencer par là. La France, un des pays les plus engagés aux côtés du Liban dont elle défend la cause en s’impliquant directement sur le terrain (FINUL, aides sociales, économiques, culturelles, etc.) et indirectement (dans les instance européennes et internationales et auprès de ses alliés régionaux et internationaux), continuera d’être mal perçue par une partie des Libanais tant que : (i) son action au Liban favorise une faction au détriment de l’autre (ou est perçue comme telle) et que (ii) sa politique libanaise colle à celle suivie par l’un ou l’autre des puissances régionales influentes au Liban (adhésion à la politique saoudienne aujourd’hui, après une parenthèse saoudo-syrienne).
En visite au Liban (11-12/07), après celle hautement symbolique du Président François Hollande, le Ministre français des Affaires étrangères Jean-Marc Ayrault semble plus sensible à ce besoin de rééquilibrage interne, et à ce nécessaire recentrage de l’approche française afin de rassurer les trois principales composantes libanaises. Avant son déplacement à Beyrouth, où il aurait rencontré les représentants de l’ensemble de ces composantes, Ayrault s’était concerté à Paris avec ses homologues saoudien et iranien, Adel al-Jubeïr et Javad Zarif. Si elle n’a pas réussi à débloquer la situation politique libanaise, ni à vraiment contribuer à sortir le Liban de son impasse constitutionnelle, cette visite aurait porté un message clair à toutes les composantes libanaises et à leurs sponsors et alliés régionaux : la recomposition, inévitable, du système politique libanais, passe par une double condition : (iii) la dissociation du Liban des enjeux géopolitiques régionaux (rivalités saoudo-iraniennes et guerre en Syrie) et (iv) le rééquilibrage des rapports politiques interlibanais. La France gagnerait à agir afin d’atteindre ces deux objectifs, salutaires pour le Liban, et son rayonnement en profiterait. Il faudra à la France davantage de hauteur pour réussir ce défi, et une très forte capacité de conviction pour y associer ses partenaires (Arabie saoudite) et leurs rivaux (Iran).