Dans de précédentes notes [« Liban: A qui profite la fragilisation de l’axe franco-saoudien ? » et « لبنان: من يملأ الفراغ بعد الانسحاب السعودي المؤقت؟”], MESP s’inquiétait déjà des conséquences du déséquilibre géopolitique qui découlerait du désintérêt saoudien à l’égard du Liban, au moment où l’Arabie saoudite donne la priorité aux dossiers les plus urgents et les plus stratégiques dans le cadre de sa confrontation ouverte et désormais frontale avec l’Iran. Ce dernier point, l’accrochage frontal et sans proxys, serait d’ailleurs une des raisons de ce retrait, provisoire ou durable, de l’Arabie saoudite de la scène libanaise. La guerre, contre l’Iran et contre ses intérêts, les Saoudiens la mènent par eux-mêmes, avec les moyens adaptés à chaque théâtre d’opérations : engagement militaire, batailles diplomatiques, guerre de désinformation, etc. Au Liban, l’affrontement est soit reporté, en attendant que soit tombée l’avant-dernière pièce de domino qui viendrait déstabiliser le Liban, ou en attendant que des arrangements internationaux et régionaux ne viennent consacrer la sanctuarisation définitive de la scène libanaise.
Pour essayer de comprendre qui cherchera à profiter du vide laissé par ce désengagement saoudien, il convient d’observer l’agitation de la rue sunnite, et ce, à plusieurs niveaux :
(i) le noyau dur du camp pro-saoudien qui est déstabilisé par ce retrait (un peu semblable au retrait de l’occupation syrienne qui a désorienté l’ensemble de la classe politique) et qui se voit contraint de se trouver des sponsors à Riyad en fonction des affinités et des opportunités (d’où les contradictions internes vis-à-vis de la politique saoudienne);
(ii) le camp du 14 Mars qui fut la première victime de ce désengagement saoudien, et qui, en implosant, déconstruit le projet « national » (en fait l’axe sunnite-maronite-druze) conçu par Riyad ;
(iii) les nouveaux venus sur la scène « sunnite », qui prennent du poil de la bête, et qui profitent de (i) et de (ii) pour émerger en alternatives plus ou moins crédibles ;
(iv) le djihad global dans toutes ses factions violentes, adossé aux réservoirs humains inépuisables au Liban (Libanais, Syriens, Palestiniens), et qui s’invite ouvertement dans le jeu politique interne (en fonction de son propre agenda, certes, mais un agenda « libanisé » dans ce cas).
Plus largement, le vide laissé par le retrait saoudien du Liban est rempli aussi par (v) des interventions le plus souvent urgentes et « à la carte », des partenaires régionaux et internationaux. La France, qui s’est enfermée dans son alliance avec l’Arabie saoudite, assure une présence minimale, directement, via l’UE ou via l’ONU, mais elle a du mal à se repositionner avec un vrai projet politique cohérent. Les Etats-Unis, le Royaume-Uni, l’Italie, l’Espagne, l’UE, l’ONU, l’Egypte, la Turquie, le Qatar, la Russie, assurent chacun une présence, adaptée, et ponctuelle, avec pour priorités : la stabilité générale, y compris institutionnelle, sociale et financière, la lutte contre le terrorisme, la gestion intelligente du dossier des réfugiés. L’Iran et avec lui le Hezbollah ont choisi de camper sur leurs positions, pour le moment, indépendamment du deal nucléaire et de l’engagement dans le bourbier syrien, et continuent donc d’occuper l’espace politique qu’ils occupaient avant le retrait saoudien, sans empiéter, encore aujourd’hui, sur l’espace qui fut longtemps occupé par l’Arabie saoudite et ses protégés libanais. Le respect de ces lignes de démarcation entre le camp irano-hezbollahi et le reste du pays doit garantir, tant qu’il est en vigueur, la stabilité du Liban, en attendant les grands arrangements…ou le choc de l’avant-dernière pièce du domino…