Sur la crise syrienne, la diplomatie française a montré ses limites dès le début. Toutefois, ces faiblesses françaises étaient relativisées par le choix stratégique, largement assumé par Paris, d’appuyer un axe arabo-sunnite clairement identifié. Cet ancrage français dans le camp arabo-sunnite anti-Assad permet à la France de rester dans une situation dominante, en l’absence de rivaux internationaux aussi engagés. Il permet à ses industriels d’engranger des contrats, à fort potentiel politique, et dont certains semblaient improbables.
Cette gesticulation diplomatique française en Syrie, qui dure depuis quatre ans, et cet engagement politique et militaire en soutien aux intérêts des alliés arabes, réussissaient à la France. Mais ça c’était avant…
En effet, ce succès français a été rendu possible par une série de facteurs de divers ordres:
(i) La mollesse de l’engagement américain aux côtés des alliés arabes: Saoudiens et arabes du Golfe, et avec eux l’Egypte, comprenaient mal la distance prise par l’administration Obama à leur égard et appréhendaient l’impact de ce changement sur leurs relations avec Washington et sur leurs intérêts.
(ii) La politique floue et inconsistante de Washington à l’égard de la Syrie: le temps donne raison finalement à ceux qui soupçonnaient Obama de se désintéresser tellement du dossier syrien jusqu’au point de tolérer la survie indéfiniment du régime.
(iii) Le rapprochement, franc et brutal, entre Washington et Téhéran: ce rapprochement, qui permet à l’Iran de revenir sur la scène internationale et de légitimer peut-être aussi son expansionnisme régional, est vécu comme une totale défaite par Riyad et les alliés arabes (et israéliens) de Washington.
Sur ces dossiers, cruciaux pour le camp saoudo-sunnite,
(iv) la France était intraitable et affichait, verbalement le plus souvent et par l’action diplomatique et militaire parfois, une adhésion totale aux vues de ses alliés régionaux.
Cela est surtout visible avec
(v) le rapprochement stratégique et militaire entre Paris et ses alliés arabes,
(vi) le jeu serré et déterminé joué par Paris lors des négociations sur le dossier nucléaire iranien, et
(vii) l’appui, non négociable, apporté par Paris au camp anti-Assad qui exige le départ du Président syrien et son exclusion lors de la recomposition du pouvoir politique en Syrie.
Mais ça aussi, c’était avant. Car, en effet, aujourd’hui, le schéma est différent:
(viii) L’unité du camp arabo-sunnite est malmenée: il y a les Frères Musulmans, l’Iran, la guerre contre l’Etat Islamique et les groupes terroristes, les priorités stratégiques internes et régionales des uns et des autres, etc. L’axe saoudo-qataro-émirato-égyptien se fissure, et la France doit user d’une extrême prudence et agilité afin de ne pas risquer ses intérêts…
(ix) L’entrée en scène des Russes, puissante et déterminée, toujours à la faveur d’une politique américaine incohérente et faible, fait une concurrence directe à la présence française sur les dossiers chauds. Pour certains des alliés arabes de la France, comme l’Egypte, la Russie s’impose comme un partenaire crédible et nécessaire dans le contexte actuel. Dans ce jeu à somme nulle, la France serait quelque part perdante.
(x) Le retour en force de l’Iran, pays que la France n’a cessé de combattre ces dernières années, embarrasse Paris qui tente, et tentera encore plus au cours des prochains mois, d’améliorer son positionnement à Téhéran. L’embarras de la France sera surtout vis à vis de ses alliés saoudiens…
Pourtant, la France, dont la crédibilité pourrait être questionnée aujourd’hui, garde une série d’avantages qui doivent lui permettre de conserver ses acquis sur la zone dans une perspective de moyen terme:
(xi) La fenêtre de tirs que lui offre le repli américain lui reste ouverte aujourd’hui et pour deux ans encore, le temps que la prochaine administration américaine soit installée.
(xii) Les risques pris par les Russes, en Syrie, et l’énergie que dépensent les Iraniens afin de consolider leur ambitieux “arc chiite”, offriront, tôt ou tard, des opportunités nouvelles à la France sur l’échiquier géopolitique régional.
La France, qui a elle aussi des échéances politiques internes, donne l’image, de par l’histoire de son engagement et la manière, d’une puissance moyenne engagée et crédible. Alors que les Américains hésitent, que les Britanniques tergiversent, et que les Russes prennent des risques excessifs, les Français donnent l’impression, aux alliés arabes, d’être plus cohérents, plus réguliers, plus engagés et plus prudents.
Ainsi, plusieurs facteurs peuvent garantir à la France un statut de puissance alliée crédible et nécessaire aux yeux des alliés arabes et régionaux:
(xiii) les revirements diplomatiques de Paris, qui ne négligent nullement les intérêts alliés et qui sont perçus par les plus tolérants comme de la realpolitik tout bonnement;
(xiv) l’engagement militaire, contre le terrorisme et pour la défense des partenaires régionaux, et qui prouve la capacité du partenaire français à user de ses moyens de projection au profit de ses alliés, et
(xv) le dynamisme dont font preuve les dirigeants français au sein des plateformes multilatérales qui comptent (Conseil de Sécurité, UE, Otan etc.).