Instabilité dans le monde arabe: L’inévitable rapprochement entre les deux rives de la Méditerranée


La communauté internationale s’interroge sur l’ordre régional qui devrait être celui d’un Moyen-Orient qui semble aujourd’hui en perdition, pour apaiser cette région exportatrice historique de civilisations et qui est devenue en ce début de siècle dangereusement instable et nuisible pour son voisinage et pour un monde globalisé.

La rationalité occidentale limite la compréhension de ces agitations qui minent la stabilité de toute une région géographique, et qui se globalisent. On a tendance à sur-interpréter le phénomène, et on planche sur des solutions partielles, partiales et provisoires ; la stratégie est passée au rythme des medias et l’instantanéité des bourses. On a tendance surtout à se priver du recul historique nécessaire pour comprendre les enjeux actuels, et à négliger la recherche de solutions pratiques, naturelles, non imposées, et donc plus durables, à des problématiques que l’on croit passagères.

Dans le cadre de ses réflexions autour des problématiques liées au Moyen-Orient, au monde arabe et au monde musulman, aujourd’hui en ébullition, Middle East Strategic Perspectives a sollicité Roger Dib, ancien Ministre libanais, pour obtenir son éclairage sur les priorités que devraient être celles de l’Union Européenne toute proche, et parmi ses Etats membres celles de la France surtout, pays très impliqué dans les dossiers régionaux, pour espérer apaiser les rapports entre les deux rives de la Méditerranée. Cette mer, aujourd’hui théâtre de drames inhumains et scènes de tensions permanentes, peut-elle redevenir ce qu’elle fut autrefois, synonyme d’échanges, économiques, culturels et humains?

En gardant le cap sur l’indispensable et urgente pacification des rapports entre le sud et le nord de la Méditerranée, MESP fait le point avec Roger Dib, homme de vision, sur les dossiers chauds qui ne cessent de déstabiliser le Moyen-Orient et qui débordent dangereusement vers l’Europe voisine et bien au-delà.

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Volcans en éruption : 50 nuances d’instabilité et de crises

Deux remarques préliminaires : (i) Tout le monde musulman n’est pas en crise, contrairement à ce que peut être la perception commune (en Asie, la Malaisie et l’Indonésie, par exemple, vivent une certaine stabilité et prospérité, Dubaï est un brillant succès) et (ii) toutes les crises qui déstabilisent les pays musulmans ne sont pas directement liées à la religion elle-même (plusieurs exemples non religieux sont à chercher en Afrique et au Moyen-Orient et qui sont plus liés à des dirigeants politiques mégalomaniaques qui refusent l’alternance jusqu’à bloquer le processus démocratique s’ils ne sont pas assurés du succès).
C’est plus le Monde Arabe musulman qui est en crise aujourd’hui et le Moyen-Orient dans sa conception élargie qui l’entoure.

Schématiquement, le monde arabe et le Moyen-Orient subissent les secousses d’une série de volcans en éruption. Des volcans dont certains tendent à s’apaiser, alors que d’autres continuent de déverser leur lave. D’autres volcans aussi peuvent se réveiller à tout moment…

Ainsi, au Moyen-Orient (MOAN), actuellement, quatre pays sont en déconfiture totale : l’Irak, la Syrie, le Yémen et la Libye. Ils sont au cœur de volcans en éruption, et leurs régimes ont en commun d’avoir été des dictatures pendant des décennies et où les Etats étaient un reflet du dictateur et donc ultra fragiles après sa disparition.

D’autres pays de la région sont en crise politique, avec des évolutions en dents de scie mais encadrés par des institutions étatiques qui continuent à bien fonctionner : la Tunisie et l’Egypte comme exemple. Ils ressentent la fournaise des volcans les entourant et les pressions internes déclenchées par le printemps arabe, et espèrent avoir suffisamment de moyens et de temps pour se prémunir contre de nouvelles éruptions.

Dans ce contexte fondamentalement instable, certains pays du Moyen-Orient, arabes ou non, parviennent encore à éloigner les crises, en les canalisant vers d’autres scènes, ou en les retardant tout bonnement. C’est le cas de l’Iran, de la Turquie et de l’Arabie Saoudite par exemple.

Incapacité à bâtir des Etats : retour aux réflexes pré-étatiques

En nous intéressant de près à l’histoire de la région, on comprend dans quelles mesures ces pays vivent aujourd’hui des crises profondes et des instabilités devenues endémiques, conséquemment à leur incapacité d’édifier de vrais Etats. Cette déficience à bâtir des Etats, avec l’effondrement de l’Empire Ottoman, a privé les sociétés de l’immunité qu’auraient pu leur offrir des structures administratives solides, des plateformes politiques, culturelles, sociales et économiques, nationales. Avec les crises, ces sociétés ont retrouvé, faute de structures nationales solides et efficientes, leurs réflexes religieux, confessionnels, ethniques, claniques etc.

Relations inter-islamiques : djihad global et révolution khomeyniste

En nous intéressant de près à l’actualité de l’Islam, plusieurs siècles après son avènement, on comprend dans quelles mesures les sociétés musulmanes vivent aujourd’hui des crises inter-islamiques destructrices et des décalages pénalisants vis à vis d’un monde globalisé. Sous le chapitre des relations inter-islamiques, nous devons nous intéresser en particulier à trois évènements majeurs survenus au cours des dernières décennies :

(i) le réveil du djihad global en vue de son exploitation à des fins géopolitiques (ainsi, en Afghanistan, pays déstabilisé depuis près de 40 ans, où le djihad, instrumentalisé pour un moment par les Etats-Unis et leur camp, visait à contrer l’avancée du camp soviétique, avant d’en payer le prix), et

(ii) la révolution khomeyniste en Iran, virulente et prosélyte (perçue par les régimes arabes sunnites conservateurs comme un challenge géopolitique majeur et une menace directe à leurs systèmes politiques et leur position de leadership de l’islam mondial) et

(iii) le 11 Septembre qui engage à mort l’Amérique contre le djihad violent et globalisé qui l’a frappé.

Plusieurs courants traversent l’Islam de ce début de siècle :

(i) le djihad (distinction doit être faite entre sa dimension globale : al-Qaeda, EI, et locale : Jabhat al-Nusra), qui est aussi une réponse d’une certaine forme d’une branche ultra extrémiste de l’Islam à la mondialisation, a été réveillé, et des moyens lui ont été donnés pour accomplir certaines missions ; ils attaquent là où les Etats sont faibles, tout comme les spéculateurs attaquent les économies affaiblies par leur surendettement.

(ii) l’Islam politique plus modéré, qui devient, avec le ‘printemps arabe’, un acteur géopolitique recherché. Il est sorti du cadre qu’espérait lui imposer un esprit occidental rationnel et opportuniste, encouragé par l’immense décalage que les sociétés musulmanes vivaient avec le nouveau monde en marche vers une globalisation économique libérale et s’est montré un appétit dévorant de pouvoir et une petite tolérance pour l’opposition.

Enfin, Toutes les sociétés musulmanes ne se sont pas braquées devant cette globalisation effrénée, et si une partie de l’Islam y réagissait comme à une agression, une autre partie y voyait, au contraire, une opportunité à saisir (l’exemple de Dubaï en plein golfe, entre l’Iran et l’Arabie saoudite avec leur islamisme rigoureux, est une brillante réussite d’un Islam ouvert à la modernité et à la globalisation ; les exemples de l’Indonésie, de la Malaisie, de la Turquie reviennent aussi ici).

Depuis les années 1970, Des pays arabes, comme l’Arabie Saoudite, monarchie wahhabite conservatrice, vivaient, simultanément l’ère du djihad globalisé né à partir de l’Afghanistan et grâce aussi parfois à leur contribution mais qui s’est tourné contre eux, et devaient faire face à un autre défi, direct, celui que leur portait la révolution khomeyniste chiite. La combinaison de ces deux facteurs était explosive, comme le montre bien la guerre menée par l’Irak de Saddam Hussein, grâce au soutien de l’Occident et des monarchies arabes du Golfe, contre l’Iran révolutionnaire et que les iraniens n’oublient pas du tout aujourd’hui… Et c’est cette même guerre qui a causé la rupture définitive entre Oussama Bin Laden et le régime saoudien à cause du déploiement de l’armée américaine sur le sol saoudien.

La perte du parapluie américain : une plus grande exposition aux risques

Les guerres et crises se sont depuis succédées, entre l’Iran et ses voisins arabes sunnites. L’Iran, qui multiplie les aventures dans ce qu’il estime être son espace stratégique vital (parmi lequel l’Irak), trouve face à lui aujourd’hui, le djihad global qui se mue en diverses organisations ou actions mais qui sert un même objectif géopolitique sur le plan régional : freiner la progression de l’Iran chiite révolutionnaire en terres arabes, une progression que le renversement de Saddam Hussein par l’administration Bush a forcément facilitée. En effet, l’Irak, depuis sa création après la première guerre mondiale, représente un buffer zone entre le monde arabe et la Turquie sunnites et l’Iran chiite. C’est sur ce terrain qu’on espérait, et qu’on espère toujours, contenir l’expansion de l’influence iranienne et ici aussi, mais dans l’autre sens, l’Iran veut bétonner son influence pour ne plus permettre d’autres invasions à partir de l’Irak (couloir historique des invasions ottomanes) et dissuader les arabes du golfe de financer d’autres aventures contre lui. Dans le passé, ce rôle de buffer zone et de blocage de la révolution iranienne était rempli par Saddam Hussein, aujourd’hui, l’Etat Islamique essaie de jouer ce rôle en recréant ce bouchon sunnite en combinant une partie de la Syrie et la partie sunnite de l’Irak. Le retrait hâté des troupes américaines de l’Irak, le désengagement de Washington, que certains pensent provisoire, n’ont fait qu’élargir les voies d’accès empruntées par l’Iran pour concrétiser son rêve de projeter sa puissance dans la région, en se basant sur la composante arabe chiite. Pour les pays arabes du Golfe, et pour l’Arabie Saoudite en particulier, la perte du très rassurant parapluie américain (quelque peu relié quand même au 11 septembre, même inconsciemment), si souvent utilisé par le passé pour se protéger des vents révolutionnaires qui soufflaient sur le monde arabe (nassérisme, khomeynisme. Saddam, etc.), ne pouvait pas aussi mal tomber, avec une agressivité iranienne décomplexée aux limites incertaines et un ‘printemps arabe’ offensif aux contours mal compris (la confusion n’a fait que croître avec le retour en force des Frères Musulmans appuyés par la Turquie d’Erdogan et des peuples qui espéraient des élections devant les guider vers la démocratie).

En contrepartie de cette absence de couverture américaine directe et disponible, les Saoudiens ont gagné une marge de manœuvre à laquelle ils n’étaient pas forcément habitués, multipliant les initiatives, y compris militaires, et donc les prises de risques. Les tenants d’un djihad global dynamique et interventionniste, n’en espéraient pas tant. Voilà que dans ce contexte, les mouvements djihadistes les plus violents, y compris ceux qui ont survécu à l’ère soviétique en Afghanistan, ou ceux qui émergent à la faveur d’un retour à une forme de salafisme extrémiste, pur et dur et qui héritent de la mission qui revenait dans les années 80 à Saddam Hussein et que ni les Américains ni les Saoudiens n’ont réussi à remplir, à savoir casser le croissant chiite et empêcher toute continuité territoriale entre le sud de l’Irak, voisin de l’Iran, et la Syrie.

La Syrie : épicentre d’une crise durable et déstabilisatrice

Les révolutions sont passées par plusieurs pays. Leurs causes immédiates n’étaient pas systématiquement les mêmes, leurs coûts étaient différents (surtout leurs coûts humains), et leurs conséquences directes n’avaient en commun que la chute des dirigeants en place (dans les cas de la Tunisie, de la Libye, de l’Egypte, du Yémen et après le renversement de Saddam Hussein en Irak) et la pénible reconstruction politique et économique. En Syrie, le cas est encore bien différent. Le régime est toujours en place, plus de quatre ans après le début du soulèvement, le coût de la guerre dépasse, et de loin, ceux enregistrés ailleurs (coûts économiques, humains, culturels). Surtout, le régime Assad, contre lequel se sont réunis des forces combattantes djihadistes de toutes obédiences, bénéficie toujours d’alliances solides sur le triple plan : international (Russie, Chine), régional (Iran) et interne.

Le retrait, humiliant, des troupes syriennes du Liban en 2005, a déstabilisé encore plus le jeune Président Assad qui manquait d’expérience pour se garder de tomber complètement du bord du régime iranien et du Hezbollah, alors que son père suivait une politique très consciente de la grande majorité sunnite de la Syrie et était resté toujours très proche de l’Arabie Saoudite. Pris au piège de son alliance à l’Iran, avec finalement des garanties russes assez peu solides dans le contexte géopolitique mondial actuel, Assad semble être en repli et ne parviendra vraisemblablement plus jamais à reprendre le contrôle de la Syrie actuelle. Les forces, islamistes, qui le combattent, et qui se battent entre elles aussi, n’ont ni les moyens militaires pour vaincre Assad, ni la vision politique pour proposer un projet alternatif que la communauté internationale pourrait appuyer. En plus, avec la doctrine Obama, allergique à l’interventionnisme militaire, la Syrie semble donc s’installer dans un statu quo de quelques années, en attendant un changement qui viendrait de l’extérieur…

Le changement viendrait-il de l’Iran: Perestroïka et game-changer? Ou viendrait-il d’une Amérique plus interventionniste ?

Alors que l’Iran et la communauté internationale se dirigent vers une normalisation progressive de leurs relations, l’Etat Islamique, qui fut le principal game-changer sur le plan géopolitique levantin ces deux dernières années, n’est combattu, sérieusement, que par les troupes encadrées et soutenues par Téhéran. Certes, il y a les Kurdes, qui bénéficient du soutien direct de l’alliance militaire conduite par Washington pour contenir la poussée de Daech au nord et lui couper ses voies d’approvisionnement au malaise des Turcs ; mais les Kurdes ont, surtout, leur propre agenda national prioritaire sur tous les autres. Certes, il y a aussi cette alliance, coordonnée donc par les Américains, mais il faut reconnaître qu’elle se contente encore aujourd’hui de frappes chirurgicales, nécessaires, mais loin de renverser l’équation militaire sur le terrain. Aucun acteur, autre que les alliés de l’Iran, ne s’est réellement engagé dans la guerre contre l’EI. Les Saoudiens n’en ont pas les moyens ni l’envie semble-t-il, d’autant qu’ils mettent dans la balance aussi la menace qu’ils voient venir de l’Iran et du Hezbollah. En effet, les Saoudiens vivent ce qui ressemble à un paradoxe avec leur détermination à priver l’Iran de son croissant chiite, un objectif que seul Daech, cet encombrant et dangereux organisme, semble pouvoir réaliser.

Avec les autres groupes djihadistes, les Saoudiens partagent surtout l’objectif de renverser Assad. Le Président turc Recep Tayyip Erdogan, quelque peu affaibli par les récentes élections, partagent, lui aussi, ces deux objectifs avec les djihadistes regroupés sur le sol syrien, mais de là à intervenir militairement et directement… C’est tout à fait une autre histoire qui n’est pas sur la table tant que l’administration américaine est en place… Il est donc cohérent que l’arrivée de la nouvelle administration américaine pourrait être un game-changer important, tant du coté de la relation avec la Russie, l’Iran et L’Arabie… Un équilibre qui va être dur à réaliser pour tout nouveau Président américain.

Quant à l’Iran, son intervention contre l’EI, qu’elle soit directe ou par l’intermédiaire de relais irakiens, libanais ou autres, est utile dans certains de ses aspects, mais peut être contreproductive également. Sans couverture sunnite, cette guerre, iranienne, même tolérée par Washington, n’atteindra pas ses objectifs. Si contribution sunnite il y aura, elle devrait provenir en premier lieu de l’Irak. Cela suppose une réorganisation politique générale, au profit du pouvoir central à Bagdad et avec une solide association de la composante sunnite aux affaires nationales dans le cadre d’un arrangement fédéral. La formule de fédération, qui permettrait de récupérer les Sunnites irakiens, et donc de rassurer quelque peu leurs soutiens régionaux, assurerait la survie d’un Irak uni et éviterait son implosion. Cela faciliterait la lutte contre l’EI et permettrait aux efforts visant à priver Daech de ce qui est devenu son espace géographique central, entendre le pays sunnite entre l’Irak et la Syrie, de réussir. A défaut, l’Irak risquerait, sérieusement, la partition, et l’Etat Islamique deviendrait encore plus difficile à éliminer puisqu’il aurait acquis une légitimité nouvelle… Le rôle émergent de la Jordanie avec les tribus sunnites sur ses frontières irakiennes et syriennes est un développement intéressant à observer avec grande attention…au vu que les monarchies arabes ont mieux résistées aux soubresauts du ‘printemps arabe’, étant assises sur une meilleure légitimité historique et islamique que les régimes militaires issus du nassérisme ou du Baas…

Pour permettre ces changements qui nécessiteraient une évolution de la mentalité des équipes dirigeantes à Bagdad, il faudrait espérer et miser sur des changements profonds… à Téhéran. En effet, pour espérer un déblocage de la situation en Irak, sur le dossier de Daech, et en Syrie, et même au Liban pour le dossier du Hezbollah, et au Yémen, il faut miser sur une perestroïka en Iran où le coût de toutes ces aventures et les guerres menées depuis la révolution n’a jamais été autant ressenti par les populations iraniennes en quête d’ouverture sur le monde. Un recentrage des politiques iraniennes vers un ancrage plus fort à la globalisation, moins d’aventures guerrières et moins d’ingérences dans les affaires des pays voisins, une priorité plus grande accordée au développement économique, technologique, social et culturel, etc., sont autant de facteurs qui devraient se traduire par un nécessaire pragmatisme iranien sur les dossiers chauds et sur le Yemen, l’Irak et la Syrie notamment. C’est en tout cas une perception optimiste et en même temps réaliste des évolutions actuelles, même s’il ne faut surtout pas sous-estimer la capacité de nuisance des milieux conservateurs et idéologiques iraniens…

Liban : Constitution et respect de la Constitution v/s totalitarisme

Le Liban est pris en tenailles entre un conflit israélo-arabe dont on ne voit pas l’issue, des soulèvements violents en Syrie et en Irak aux implications géopolitiques incertaines. Il en subit, directement, les conséquences, et risque de perdre, progressivement, son immunité. Faire progresser sa Constitution, la réaménager afin de se doter d’outils les mieux adaptés à une gouvernance qui fonctionne bien, en s’inspirant de l’expérience de Taëf après le retrait syrien et des propositions de l’ex-Président Michel Sleiman, sans oublier une dure réalité libanaise : notre problème est davantage dans le non respect de la Constitution par une classe politique aux dérives totalitaristes, que dans la Constitution elle-même. En effet, une partie de la classe politique libanaise outrepasse les pouvoirs législatifs, exécutifs et judiciaires, s’accaparent tous les pouvoirs et manipule l’ensemble du jeu politique à leur convenance et sans respect aucun pour la Constitution et du calendrier démocratique (report des élections législatives, ingérences dans la justice, l’administration publique et les forces de sécurité, etc.). Le problème était occulté par l’occupation syrienne, puisque l’ultime décideur, qui donnait libre court à son imagination pour interpréter l’Accord de Taëf, était bien identifié par tous… Par la suite, l’Accord de Doha, imposé pratiquement par les armes, est venu donner le droit de veto à des alliances politiques entre les factions importantes des confessions majeures, transformant ainsi abusivement la Constitution en une sorte de fédération des confessions… Les résultats sont bien mitigés, puisque les blocages perdurent. Encore une fois, il apparaît clairement que le problème se trouve surtout au niveau de la gouvernance et de l’exercice du pouvoir…

Un autre problème politique majeur qu’il convient de bien identifier afin de mieux le cerner, celui relatif au dossier du Hezbollah. L’organisation libanaise, qui a résisté face à l’occupation israélienne du sud-Liban, est, aujourd’hui, un acteur politique, social et militaire incontournable. Avec le Hezbollah, légitime par ce qu’il représente au sein de la communauté chiite et sur le plan national, nous avons un dossier d’échange à trois niveaux, puisque notre souci est de normaliser les rapports entre toutes les parties libanaises et de consolider ainsi la cohésion nationale :

(i) Pour le Hezbollah, un Etat handicapé par la complexité de son mécanisme de prise de décision, et qui subit les contraintes politiques et économiques qu’on connaît, est, pratiquement, incapable de prendre la bonne décision de se défendre, au bon moment. L’histoire récente le prouve bien. Cela légitime la revendication du Hezbollah pour une défense qu’il mènera lui-même contre les deux ennemis reconnus de tous : Israël et les Takfiristes. A ce niveau, il est théoriquement possible de trouver un arrangement national, et d’élaborer une stratégie de défense nationale qui profiterait de l’expérience et des moyens du Hezbollah. Le problème demeure au niveau de la prise de décision et de la souveraineté qu’exerce l’Etat sur la sécurité et la défense, et sur la centralisation de la prise de décision concernant guerre et paix.

(ii) Les interventions du Hezbollah en dehors des frontières nationales posent un problème d’une toute autre nature, et limitent les chances d’entente entre Libanais sur la place que devrait être celle du parti dans la vie politique nationale. En effet, il est difficile, voire impossible, de s’accommoder à cet interventionnisme du Hezbollah, mené sous son prisme particulier, partial aux yeux d’autres Libanais.
On doit reconnaitre que d’autres factions libanaises bénéficient de soutiens extérieurs, mais qui ne sont pas comparables, ni par leur envergure, ni par leur nature à ceux fournis par l’Iran au Hezbollah. D’ailleurs, la communauté internationale, la France en particulier, pourrait aider en intervenant auprès de ces puissances régionales afin que soit respectée la souveraineté du Liban.

(iii) La réforme de l’administration publique est un dossier où nous pensons que le Hezbollah sera un atout majeur pour aller de l’avant.

Aujourd’hui, le blocage de l’élection d’un nouveau Président de la république et le blocage institutionnel qui s’ensuit, la situation de l’économie, la corruption, la pauvreté, le sort des refugies syriens sont des problèmes épineux, auxquels le Liban doit faire face chaque jour.

Rapprocher les deux rives de la Méditerranée : rôle moteur pour la France

La Méditerranée, en tant qu’espace stratégique, ne peut être conçu qu’en préconisant un rapprochement constructif et durable entre ses deux rives. La France, pays méditerranéen à la présence historique sur la rive sud, mène, au Moyen-Orient et dans le bassin méditerranéen, une politique volontariste et agressive même, rassurée ou encouragée par le repli relatif de Washington. Elle use de son appareil militaire là où cela lui semble nécessaire (guerres, anti-terrorisme, maintien de la paix, pré positionnements de moyens), surexploite parfois son poids diplomatique (Libye, Syrie, nucléaire iranien), mise sur des contreparties économiques immédiates (sans complexe). La Méditerranée et les pays riverains du sud offrent à la France des opportunités, qui se renouvellent sans cesse, pour s’affirmer en tant que puissance européenne. L’Union Européenne est prise en étau entre une Russie qui se remet à user de la force militaire en Europe, et entre une Méditerranée qui devient, malheureusement, un passage obligé et périlleux pour les réfugiés humanitaires ou migrants économiques attirés par sa relative opulence. Pourquoi ne pas miser sur la transformation de cet espace méditerranéen commun, à nouveau, comme ce fut à la fin du 19ème siècle jusqu’au tout début du 20ème siècle, en un havre de paix et d’échanges. Les Européens, avant même le colonialisme, vivaient en toute harmonie avec les Méditerranéens du sud, dans des villes devenues des phares du commerce, de la culture et de l’échange (Istanbul, Izmir, Alexandrie et surtout Beyrouth).

Cette vision d’une Méditerranée harmonieuse et pacifiée sert le projet d’Union de la Méditerranée qui retrouve aujourd’hui, devant les déséquilibres actuels et les drames humains, toute son importance et son urgence. Un tel projet ne peut qu’être bénéfique pour la stabilisation des rapports entre les deux rives de la Méditerranée, et pour obtenir des pays du sud quelques efforts indispensables pour leur progrès et leur développement (un des principaux mérites des négociations en cours depuis près de trente ans entre l’UE et la Turquie, aurait été le progrès démocratique et économique réalisé par les Turcs, en dépit du long chemin qui reste à faire de part et d’autre).

La France est la puissance européenne et méditerranéenne la plus apte, par son historique, son engagement actuel et ses intérêts, à devenir le moteur de cette initiative. Son poids au Conseil de Sécurité de l’ONU devrait lui permettre aussi de contribuer à régler les problèmes migratoires actuels, en amont, en éliminant les causes à l’origine de ces drames. Et si l’on peut les résumer, ce serait bien par la mauvaise gouvernance. En effet, et même si le débat sur le degré de l’interventionnisme date de la naissance de l’Organisation des Nations Unies, l’exercice mérite d’être refait, et l’engagement de la France ne peut qu’être utile pour promouvoir cette idée qui vise à imposer le respect de la Constitution dans les pays exportateurs de réfugiés…

La cause profonde de l’émigration est la faillite des Etats pour deux raisons majeures : la corruption et le refus de certains leaders d’accepter l’alternance et leur volonté de bloquer le calendrier démocratique s’il ne leur est pas favorable … Puisque les conséquences de ces actions irresponsables sont portées par une multitude d’autre pays et peuples et que les souffrances de ces populations sont des drames humanitaires inacceptables pour tous, il est normal et juste que la communauté internationale intervienne en amont pour arrêter ces catastrophes à la source.

Dans le bassin Levantin, les ressources gazières représentent une chance pour stabiliser ces pays. Au Liban, l’absence d’un Président pose un problème au niveau du processus de prise de décision et contribue au blocage dans ce dossier. Le gouvernement actuel n’est pas en mesure de faire avancer les choses. Une fois élu, le nouveau Président aurait besoin de 12 à 24 mois pour faire le point sur ce dossier et le faire avancer, tout en tenant compte de l’importance du facteur temps. Il faudrait qu’il en fasse un dossier prioritaire, parce que ces ressources, si leur présence est confirmée, pourraient contribuer à la stabilité du Liban et au développement de son économie. Je suis persuadé aussi, qu’en plus de la technicité, il faut de la transparence. Il faut surtout que le prochain Président n’ait aucun intérêt dans le secteur que celui de faire avancer les choses dans un but national.

Enfin, un nouveau partenariat économique franco-libanais pour le Moyen-Orient et l’Afrique doit être conçu et développé… Il est même nécessaire que soit trouvée à cette relation amicale et stratégique une application économique pratique et réelle adaptée aux intérêts et aux capacités des deux parties. En 2020, la France, fondatrice du Grand Liban avec le Patriarcat maronite, célébrera cet événement historique qui est à l’origine du seul Etat de la région devenu l’unique lieu du vivre ensemble réel entre Chrétiens et Musulmans, et entre les différentes composantes de l’Islam qui se combattent et se séparent ailleurs. La France et le Liban peuvent et doivent profiter de la très dynamique diaspora libanaise, globale, avec laquelle ils partagent des valeurs culturelles et qu’ils peuvent mettre à contribution afin de consolider leurs propres liens bilatéraux et leurs liens avec les pays de l’émigration libanaise.

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