Finalement, le roi Salman Ben Abdulaziz n’a pas fait le voyage à Washington, choisissant de déléguer au sommet de Camp David ses deux princes héritiers, Mohammad Ben Nayef Ben Abdulaziz (président de la délégation) et Mohammad Ben Salman Ben Abdulaziz. Cette décision a été prise après la visite du secrétaire d’Etat John Kerry à Riyad, et après les réunions préparatoires à Paris entre Kerry et les Ministres des Affaires étrangères des six Etats membres du Conseil de Coopération arabe du Golfe. L’absence, physique, du sultan Qabous d’Oman Saïd al-Boussaïdi, rentré récemment au pays pour préparer sa succession alors que son état de santé ne cesse de se dégrader, était attendue, tout comme celle du président des Emirats Arabes Unis l’émir d’Abu Dhabi cheikh Khalifa Ben Zayed Al Nahyan représenté par l’homme fort du pays cheikh Mohammad Ben Zayed Al Nahyan qui a rendu visite il y a peu au Président Barack Obama à Washington. Celle du roi de Bahreïn Hamad Ben Issa Al Khalifa l’est moins, alors que le jeune émir Tamim Ben Hamad Al Thani, qui vient d’effectuer récemment une visite à la Maison Blanche, tenait à représenter personnellement le Qatar à ce sommet. L’émir du Koweït cheikh Sabah el-Ahmad Al Sabah aussi.
Si ces Etats partent à Washington unis autour d’un thème, c’est bien celui des garanties sécuritaires qu’ils ne désespèrent pas d’obtenir, par écrit et sur le modèle de l’Otan, de Washington. Leurs différences, ils l’expriment chacun à sa façon:
– message, on ne peut plus limpide, adressé par Abu Dhabi à l’administration US, via son ambassadeur à Washington, sur le refus de garanties verbales comme par le passé et l’exigence d’engagements fermes et sous forme écrite;
– message d’insatisfaction, voire de susceptibilité, du roi Salman, qui invitait quelques jours plus tôt le Président français François Hollande au sommet du CCG de Riyad, et qui entraîne avec lui son protégé le roi de Bahreïn dans son boycott direct du président Barack Obama “responsable” personnellement de la réhabilitation de l’Iran;
– message de complicité soutenue, et de pragmatisme, du sultan d’Oman incapable de représenter son pays pour des raisons de santé, mais qui a su envoyer à qui de droit les bons signaux au bon moment (en jouant les bons offices entre Washington et Téhéran; en refusant l’ouverture par Riyad du front yéménite etc.);
– message subtile adressé par l’émir du Qatar qui, après avoir pris une décision souveraine et stratégique en choisissant d’acheter le Rafale français avant de se rendre à Washington, se réinstalle sereinement et confortablement sous le parapluie américain, tout en se plaisant dans sa place centrale entre Riyad et Téhéran;
– message d’amitiés adressé par l’émir du Koweït qui, en choisissant de se doter du F/A-18 Hornet (au détriment des Britanniques) quelques jours seulement avant Camp David, et en faisant lui-même le déplacement parmi une délégation de jeunes dirigeants, conforte son option américaine sans trop se soucier de l’agenda saoudien.
Les Etats du CCG ne vont pas en ordre dispersé à Camp David, mais ils y vont avec l’intention de ne montrer, aux Américains, que ce qui les unit: la crainte, qu’en l’absence de garanties sécuritaires américaines et internationales fermes et solides, la normalisation des relations entre Washington et Téhéran, et la réinsertion de l’Iran dans la communauté internationale, ne se fassent aux dépends des intérêts stratégiques arabes. Les six Etats membres du Conseil sont obsédés par ce risque de voir le monde arabo-musulman et le Moyen-Orient dominés par une République islamique d’Iran qui tirerait sa force et sa légitimité de son nouveau partenariat avec Washington. D’où l’exigence, voulue par tous, mais chacun à sa manière, de nouvelles garanties sécuritaires. Pour le reste, tout redevient négociable, y compris les politiques régionales (Yémen, Syrie, Irak, etc.), la sécurité, l’armement, la guerre contre le terrorisme, le pétrole etc.
Finalement, les dirigeants arabes du Golfe doivent accepter, encore une fois, les compromis, les demi-mesures, et les garanties verbales. Ils doivent aussi accepter de signer de gros chèques pour relancer et accélérer des programmes de défense encore plus urgents dans le contexte iranien actuel (défense antimissile, avions de combat du futur, moyens d’intégration, etc.). Ils reviendront chez eux aussi inquiets qu’à leur arrivée à Washington, et tout aussi désireux de ne pas perdre leurs liens stratégiques avec les Etats-Unis tout en étant plus convaincus que jamais de la nécessité de rechercher d’autres protections et d’autres garanties auprès de partenaires plus engagés.