Plusieurs mois après les premières reprises de contacts entre les services français et syriens, le dossier de la coopération sécuritaire entre Paris et Damas fait l’objet de commentaires dans les médias et de spéculations dans les salons politiques. Où en est-on aujourd’hui?
Paris n’a pas de plan B, mais il tente le plan A’
La France a choisi de renverser le régime Assad, et de s’allier avec ses ennemis régionaux. Elle maintient ce cap, et s’autorise quelques nuances nécessaires imposées par l’émergence de la problématique Daech.
Si pour Paris, rétablir des contacts avec les services syriens (contacts indirects via le Hezbollah et l’Iran, ou aussi l’Irak et la Jordanie, à partir de Beyrouth, de Bagdad, d’Amman ou de Téhéran, ou contacts directs via des officiers français ou par l’intermédiaire de barbouzes à la morale incertaine), est aujourd’hui jouable pour mieux suivre la menace terroriste, pour Damas, cela n’est pas suffisant, mais il a besoin d’être complété par des gestes politiques et diplomatiques.
Or la France, et malgré les contradictions de sa politique syrienne au cours des dernières années et des dernières décennies, n’a gardé que son plan A pour la Syrie, celui qui repose sur un départ inéluctable du régime Assad et sur une gestion du dossier partagée avec les alliés régionaux et notamment les Saoudiens.
Pas de plan B donc. Si on y rajoute cette ouverture des services en direction de Damas, on peut, au mieux, y voir un plan A’, mais pas un plan B auquel le régime syrien tient beaucoup.
Conceptions différentes de la place des services
Principes mis à part, il faut constater une série d’échecs dans la politique syrienne de la France, depuis le début des évènements en Syrie.
Sur les principes, il faut relativiser l’esprit cartésien qui sévit parfois là où une nécessaire flexibilité est de mise, pour comprendre leur mutation permanente et leur transformation inéluctable en variables. Curieusement d’ailleurs, c’est dans les forces armées et de sécurité et dans les services que le pragmatisme prend le dessus lorsqu’il s’agit d’évaluer le cas syrien, et c’est dans la diplomatie que l’on se cache derrière cet esprit cartésien pour défendre ici des principes pour le moins décalés.
En France, lorsqu’il s’agit d’un dossier stratégique complexe comme la Syrie, la grande muette et les services, bien mieux informés et clairement plus pragmatiques, passent après les diplomates politisés et les politiciens engagés. En Syrie, la confusion des genres place le dossier France aux mains du cercle politico-sécuritaire du pouvoir.
Pour les Français, la séparation des pouvoirs est réelle : l’Elysée peut toujours appuyer l’Opposition syrienne aussi sectaire soit-elle, le MAE peut toujours adhérer aux positions du partenaire de référence de la France au Moyen-Orient, l’Arabie saoudite, aussi anti-démocratique soit-il, Paris peut toujours courtiser l’Iran aussi impliqué soit-il dans le camp adverse en Syrie, etc., tout en espérant, par exemple, rétablir une coopération sécuritaire fructueuse avec le régime syrien actuel. Pour les Syriens, ce schéma est absurde, totalement, et contre-productif.
Le retour des terroristes impose une reprise rapide des contacts
La France, avec ses centaines de terroristes en pleine formation en Syrie en attendant l’heure du redéploiement sur le sol national, a besoin de collaborer avec les services syriens et iraniens, et avec les services turcs, saoudiens, qataris, libanais, pour espérer éviter la prochaine bataille… La classe politique et diplomatique française a tendance à croire que cette problématique sécuritaire peut être différée, à souhait, jusqu’au renversement espéré du régime syrien et l’installation d’un pouvoir ami. Une hypothèse de départ, découlant de principes figés et décalés, qui enferme la France dans une logique binaire, surmontable à court terme grâce surtout à des alliances régionales “compensatrices”, mais vitale à plus long terme. Sans plan B, les autorités politiques et diplomatiques françaises, espèrent-elles rejeter sur les services la responsabilité d’imaginer des arrangements profitables, et provisoires? Possible. Mais pour le régime sécuritaire de Damas, qui s’accrochera indéfiniment au pouvoir, cela est irrecevable. A moins que cette reprise de contacts des services français, à partir de plusieurs canaux, avec leurs homologues syriens, ne soit perçue comme une initiative qui doit être soutenue en vue de déclencher un véritable revirement politique et diplomatique en France.
Paris ne veut pas prendre de risques. Damas fait jouer la montre
Pour le moment, le gouvernement français laisse faire, à sa façon, les canaux sécuritaires, sans aucun engagement de sa part, et le régime syrien joue le jeu, sans aucun engagement de sa part non plus. Pour Paris, le plan B toléré aujourd’hui n’est qu’une variante du plan A, une sorte de plan A’. Pour Damas, il s’agit de pousser Paris à revenir à son plan A, ouvertement, ou à adopter, clairement, un plan B qui ouvrirait la voie à une reprise de contacts diplomatiques. Les deux parties la jouent serré, mais elles savent pertinemment qu’en fin de compte, ce sont des facteurs exogènes (Iran-Etats-Unis, etc.) qui détermineront la tournure que prendront leurs relations. Entre-temps, les relations franco-syriennes vivent un vide,qui pourrait s’avérer dangereux, et que les contacts sécuritaires, seuls, ne sauraient combler.