Seul un « feu vert » de l’Iran permettrait de débloquer le programme d’armement franco-saoudien de $3md au profit de l’Armée libanaise. Ce feu vert iranien permet la signature du contrat « financier », le 04/11, au palais royal à Riyad, 11 mois après l’annonce du programme, par le ministre saoudien des finances Ibrahim al-Assaf et le PDG d’ODAS l’amiral Edouard Guillaud, en présence du commandant de l’Armée libanaise le général Jean Kahwaji. Le « feu vert » iranien a donc été obtenu, finalement, directement par Paris semble-t-il, et après une série de signaux positifs autour des relations saoudo-iraniennes et irano-américaines. Certes, le discours politique est toujours enflammé, entre certains dirigeants saoudiens et iraniens et entre leurs relais respectifs régionaux comme au Liban. Certes aussi, plusieurs évolutions survenues dernièrement sur plusieurs théâtres d’opérations où cohabitent Saoudiens et Iraniens, comme au Yémen, au Liban, en Irak etc., supposeraient que la tendance est toujours négative. Pourtant, il y a des signes qui ne trompent pas : après sa condamnation à mort par les tribunaux wahhabites, le leader saoudien chiite cheikh Nemr el-Nemr, qui ne soutient pourtant pas wileyet-el-feqih, a toutes ses chances désormais d’être gracié par le roi Abdullah Ben Abdulaziz, à la suite de l’intercession directe des plus hautes autorités iraniennes ; l’Opposant chiite bahreïni Nabil al-Rajab, figure emblématique de l’opposition au régime pro-saoudien des Al Khalifa, a été libéré ; au Yémen, le déblocage de la question gouvernementale, malgré et peut-être à cause ou même grâce à la récente offensive des rebelles Houthis pro-iraniens, permet de constituer un gouvernement de technocrates, équilibré et capable d’apaiser la rue ; en Irak, et en Syrie, la guerre sans merci que se livrent désormais les djihadistes de l’Etat Islamique et leurs alliés d’une part, et les groupes islamistes soutenus (ou ayant été soutenus) par Riyad, alors que la RSAF participe aux bombardements de l’EI, place, de facto, l’Iran et l’Arabie saoudite dans un même camp, celui opposé à Daech.
Cela s’étend naturellement au Liban, où les derniers évènements qui ont opposé l’Armée libanaise aux groupes salafistes autrefois protégés par Riyad, Ankara, Doha et les Frères Musulmans, ont ouvert la voie au lâchage des islamistes sunnites actifs sur la scène libanaise au profit de l’Armée. Partout, les Saoudiens agissent en deux temps : (i) accepter la cohabitation avec les Iraniens et le partage de l’influence sur les scènes communes, et (ii) insister à préserver au maximum leurs intérêts pour éviter de faire des cadeaux gratuits aux rivaux iraniens et à leurs protégés locaux. Ainsi, au Liban, par exemple, les Saoudiens acceptent, contraints, de lâcher leurs militants islamistes sunnites, mais n’entendent pas le faire au profit direct et immédiat du camp pro-iranien (Hezbollah), choisissant de (i) soutenir l’Armée nationale et de (ii) préparer le retour en politique sur la scène nationale de leur homme de confiance l’ancien Premier ministre Saad Rafic Hariri.
Le scénario se répète à l’identique, en Irak, au Yémen, et peut-être aussi en Syrie ultérieurement. Ce partage d’influence, difficile et périlleux, entre Iraniens et Saoudiens, ne pouvait se faire sans le parapluie américain, et sans la mise entre parenthèses, provisoirement, de la question de l’après-Assad en Syrie. En effet, l’écrasement de Daech devient la priorité de toutes les parties aujourd’hui, y compris en Syrie, et y compris pour tous les acteurs régionaux et internationaux, l’Arabie saoudite et l’Iran entre autres. Le parapluie américain, qui permet de couvrir et de légitimer les discussions secrètes qui se poursuivent entre Iraniens et Saoudiens à Mascate notamment, offre le cadre général d’un éventuel mini-Yalta saoudo-iranien. Iraniens et Américains intensifient leurs négociations en vue d’une normalisation progressive de leurs relations, et les Saoudiens ne pouvaient rester en dehors de ces arrangements. Surtout que l’Arabie saoudite a pu rééquilibrer ses cartes régionales, et améliorer son image catastrophique il y a quelque temps lorsque sa politique accusait pertes après pertes. La « récupération » de l’Egypte, le « redressement » de la Tunisie, le gel de la situation au Yémen et au Liban, et surtout, le poids « unificateur » et « rassembleur » de Daech auraient fait leur effet… Le déblocage du programme franco-saoudien au profit de l’Armée libanaise, qui devrait être suivi d’une série d’arrangements saoudo-iraniens parrainés par Washington et Paris, s’inscrirait dans ce cadre.