Dans un communiqué de presse (22/09), le Conseil de Coopération du Golfe a salué l’accord conclu entre les diverses parties politiques au Yémen afin de régler le conflit qui oppose depuis des semaines le gouvernement aux rebelles Houthis (Ansar Allah) et qui risquait de dégénérer en une autre guerre civile. L’accord est parrainé par l’ONU, et se fait naturellement au détriment de l’accord parrainé par Riyad et les pays du CCG, en vigueur jusque-là, et qui devait encadrer la vie politique yéménite depuis le départ du Président Ali Abdullah Saleh.
Après avoir cru pouvoir imposer indéfiniment un statuquo politique et militaire en leur avantage, en assistant politiquement et financièrement le pouvoir du Président Abed Rabbo Mansour Hadi, les Saoudiens et les autres pays du CCG ont dû se rendre à l’évidence que le Yémen reste incontrôlable et qu’il ne cesse de constituer pour eux une source continue de menaces. Ces menaces évoluent dans la forme et dans leur intensité, mais leurs origines sont inchangées : les rebelles Houthis, les groupes terroristes liés à al-Qaëda ou aujourd’hui à l’Etat Islamique, etc.
Les Saoudiens, qui demeurent fondamentalement obsédés par la problématique yéménite, n’hésitent jamais à intervenir au Yémen, avec les multiples leviers dont ils disposent dans ce pays. Ils se retrouvent forcément confrontés à d’autres ingérences extérieures qui sont le fait d’organisations transfrontalières (Qaëda, EI, FM, Hezbollah) et/ou d’Etats (Iran, Qatar, EU). Du conflit actuel, on peut comprendre que la scène politique yéménite vit une grande évolution qui devrait aboutir à un rééquilibrage du rapport des forces entre les divers acteurs et, peut-être aussi, à une stabilisation relative du pays. Deux éléments de réflexion :
(i) Les Houthis, rebelles chiites soutenus par l’Iran et donc traditionnellement opposés à l’influence saoudienne, cumulent les victoires militaires (contre les tribus et les groupes islamistes) et politiques; cela se fait au détriment d’un camp supposé être acquis aux Saoudiens, d’autant que les Houthis ont réussi à tisser des alliances ponctuelles avec les sympathisants de l’ancien Président Saleh…
(ii) Le parti al-Islah (dont l’influence repose sur les puissantes tribus) et les Ahmar, qui représentent le courant local de la confrérie des Frères Musulmans, sont affaiblis par la progression des Houthis; ce camp, soutenu au Yémen par l’Arabie saoudite pendant des années, pour des raisons yéménites et saoudo-yéménites, sort progressivement du giron saoudien, en tout cas dans sa branche FM soutenue par le Qatar et combattue ailleurs par l’Arabie saoudite, les EAU et l’Egypte.
Autrement dit, l’Iran et l’Arabie saoudite, dont les Ministres des Affaires étrangères annonçaient l’ouverture d’une “nouvelle page” entre les deux pays à l’issue de leur rencontre le 22/09 en marge de l’AG de l’ONU à New York, agissent ensemble pour obtenir une réorganisation équilibrée du pouvoir au Yémen : Téhéran lance les Houthis contre les Frères Musulmans afin d’affaiblir les anciens protégés du royaume et ses actuels adversaires, et Riyad obtient de ses alliés au pouvoir de renoncer à la confrontation militaire à Sanaa et d’élargir la part de l’Opposition, y compris les Houthis, dans les affaires de l’Etat.
L’Arabie saoudite n’était plus en mesure de gérer le chaos qui déstabilise le Yémen, pays voisin que le royaume percevait comme étant sa chasse-gardée, et devait finir par accepter, devant les menaces grandissantes émanant d’al-Qaëda, de l’EI, et des FM, de composer avec l’Iran (qui accuse un revers, relatif certes, en Irak, avec le départ de Nouri al-Maliki) pour stabiliser cette scène bouillonnante. C’est peut-être un cas à part où Saoudiens et Iraniens pourraient agir ensemble pour stabiliser une scène où ils cohabitent via leurs relais locaux respectifs.
En tout cas, il n’est pas dit que la situation au Yémen restera ainsi figée indéfiniment, et rien ne garantit une cohabitation intelligente des Saoudiens et des Iraniens ni une réelle capacité du pouvoir en cours de recomposition aujourd’hui à gouverner sur le long terme. Mais c’est certainement aussi un cas à suivre pour pouvoir anticiper des actions conjointes similaires sur d’autres scènes éventuellement où cohabitent également Saoudiens et Iraniens…