Le Liban était présent à la réunion de Djeddah (11/09), aux côtés des six Etats membres du Conseil de Coopération du Golfe, de la Jordanie, de l’Irak, de la Turquie et des Etats-Unis. Il s’est engagé à prendre part à la guerre contre le terrorisme, sous le parapluie de l’ONU. Le même jour, les chefs des Eglises d’Orient réunis à Washington, rencontraient le Président Barack Obama qui leur a transmis des messages rassurants dans la forme, sur une supposée “protection” américaine qui leur serait offerte, mais fondamentalement inquiétants en réalité.
Les Libanais passent d’une position défensive face à la menace terroriste, à une position offensive au sein d’une coalition pilotée par Washington, et alors que l’Etat Islamique (EI) et Jabhat al-Nusra (JAN, al-Qaëda) transforment leur pays en terre de djihad. Les Chrétiens orientaux, qui ne désespèrent pas de sauver leur ultime rempart régional au Liban, se retrouvent aussi au coeur de cette confrontation entre deux mondes que tout oppose, et engagent, sans le vouloir, la survie de la nation libanaise (qui ne leur survivrait pas) dans le conflit. Ces évolutions semblent inévitables pour le Liban, mais cela paraît particulièrement risqué aussi.
Au Liban, la présence des Chrétiens, privilégiée comme elle le fût pendant longtemps ou soumise comme elle tend à le devenir depuis quelques années, dépend d’une série de facteurs que la nouvelle aventure guerrière américaine affectera forcément. En résumé, cette guerre, imposée par l’EI et à laquelle la communauté américaine a répondu présente, achèvera de déstabiliser complètement l’environnement des populations chrétiennes libanaises devenues une minorité parmi tant d’autres dans un Moyen-Orient aux frontières redevenues floues. La violence qui croîtra nécessairement en Irak et en Syrie, et qui débordera probablement vers d’autres régions, accroîtra le déséquilibre démographique au Liban (installation durable des réfugiés syriens et palestiniens de plus en plus nombreux, immigration), l’insécurité, la précarité sociale, les incertitudes économiques etc. Cela fragilisera forcément l’environnement direct des populations chrétiennes, et attisera les doutes quant à leur avenir et leur présence au Liban. Le désastre, devenu exponentiel, provoquera aussi des réflexes identitaires forts, et donc un risque de repli sur soi et d’exclusion dangereux pour la nation libanaise édifiée sur ce maillage culturel, religieux, confessionnel.
Le scénario catastrophe découlerait d’une association mal planifiée et désorganisée du Liban à l’effort de guerre contre l’EI. Et au Liban, avec les failles constitutionnelles que l’on sait et l’équipe dirigeante que l’on connaît, cela est tout sauf impossible. Les Forces armées et de sécurité libanaises, qui souffrent d’un sous-équipement chronique que les aides d’urgence débloquées par les Etats-Unis principalement ne pourront combler, seraient très vite débordées en cas d’offensive généralisée des djihadistes sur les fronts nord et est, offensive qui serait vraisemblablement accompagnée d’un réveil brutal des cellules dormantes à travers tout le pays. Sous fortes pressions militaires, avec des aides opérationnelles que l’on imagine ponctuelles et chirurgicales mais largement inefficaces pour contrer toutes les menaces de diverses formes sur l’ensemble du territoire national, l’Armée souffrira sans aucun doute, d’un blocage politique encore plus dangereux. Les réflexes communautaires ne manqueront pas de déstabiliser l’action des FAL, alors que l’installation dans les diverses régions, y compris dans les régions chrétiennes, de forces armées locales, jettera un discrédit encore plus pénalisant sur l’Etat et son image.
Le Liban a choisi ses partenaires pour se défendre contre l’agression de l’EI contre son sol et sa souveraineté : les Etats-Unis, qui associent le Liban à leur coalition avec l’espoir de l’éloigner du régime syrien, l’Arabie saoudite, qui pense retenir le Liban dans son camp face à l’axe syro-iranien, la France, qui s’aligne dans le contexte actuel sur l’axe saoudo-américain. En échange de ce choix, utile pour la coalition anti-EI, le Liban reçoit beaucoup de promesses de ses partenaires: ces promesses vont d’une protection directe de la souveraineté libanaise, à celle des minorités chrétiennes, en passant par des promesses d’aides inédites au profit des Forces armées et de sécurité. Concrètement, ce choix emprisonne le Liban dans une logique binaire, et l’empêche de répondre aux sollicitations, parfois acceptées par d’autres membres de la coalition américaine et par les Américains eux-mêmes, de partenaires tiers, dont l’Iran, la Russie et même la Syrie (ces trois pays proposent au Liban leurs aides militaires intéressées). Ce choix a pour conséquences aussi d’ouvrir la scène libanaise à toutes sortes de conflits marginaux et de rivalités entre puissances régionales ou internationales, liés ou non à la guerre initiale contre l’EI (Arabie saoudite vs Qatar, Turquie, Israël), comme il risque sérieusement d’ouvrir des fronts internes encore contenus à ce jour (facteurs syriens, palestiniens).
En échange, et en dépit des promesses (comme celles prises par Riyad et Paris de fournir pour $3md d’armes et équipements à l’Armée libanaise, et qui tardent à se concrétiser alors que la France a, par exemple, pris le risque de violer les lois irakiennes et peut-être aussi les lois internationales, en approvisionnant en urgence les Peshmergas kurdes sans passer par Bagdad) et des engagements internationaux (comme celles prises par Washington et leurs alliés arabes et islamiques de détruire l’EI, sans aucune garanties de résultats bien évidemment), le Liban n’est assuré que d’une chose : se retrouver au coeur, et non plus en marge, d’une guerre générale contre un terrorisme qu’on lui avait pourtant promis de ne jamais laisser s’introduire chez lui. Le Liban accepte de jouer à ce jeu, devenu inévitable à ce stade, et prend le risque d’une déstabilisation générale et durable de sa société. Cela par manque de vision stratégique de l’équipe dirigeante, et faute de pouvoir prétendre à une véritable cohésion nationale.