Ces derniers jours, quatre évènements ont marqué la vie politique sunnite au Liban, et à travers elle, la vie politique nationale. Ces évènements annoncent une nouvelle contre-offensive saoudienne au Levant, à partir du Liban où l’influence saoudienne s’effritait devant l’influence iranienne, et dont la tête de pont est l’ancien Premier ministre Saad Rafic Hariri.
1. Offensive djihadiste au Liban et ouverture du front libanais par l’Etat Islamique : L’offensive (programmée ou non, provoquée ou pas) des factions djihadistes contre l’Armée libanaise et contre des populations sunnites, qui a mis en confrontation directe et ouverte le djihad global et la communauté sunnite libanaise. En effet, l’Etat Islamique (ex-EIIL) et Jabhat al- Nusra, alliés de facto pour la circonstance et alliés à d’autres groupes militants dont certains liés à l’Armée Libre de Syrie, ont agressé:
1.1 l’Armée libanaise stationnée dans les régions frontalières avec la Syrie à Arsal, entraînant des tués et des blessés dans ses rangs, dont la majeure partie sont de confession sunnite;
1.2 les populations surtout les habitants sunnites d’Arsal qui n’adhèrent pas à leurs idées, provoquant une scission entre une base libanaise quelque peu perméable à un islam conservateur et surtout favorable à la révolution syrienne et les djihadistes takfiristes qui vise désormais ouvertement cette base populaire;
1.3 la classe politique et religieuse sunnite traditionnelle qui n’avait plus aucun contrôle pratiquement de la situation sur le terrain.
2. Le retour de Saad Hariri à Beyrouth et le lancement d’une contre-offensive saoudienne générale : Le retour de l’ex-Premier ministre Saad Hariri à Beyrouth, via l’AIB (et non via Damas comme il s’est engagé à le faire), en provenance d’Arabie saoudite, et sur instruction des dirigeants saoudiens : le chef du Courant du Futur, principale assise de l’influence saoudienne au Liban, pourrait n’être qu’en visite à Beyrouth, mais cette initiative marque sans aucun doute un tournant dans le bras de fer entre le camp saoudo-haririen et ses adversaires et rivaux:
2.1 elle inaugure la réorganisation interne du camp saoudo-haririen, après un éclatement des pouvoirs et des responsabilités, avec un recentrage au profit exclusif de Saad Hariri;
2.2 elle vise à récupérer les populations sunnites tentées, pour des raisons religieuses, politiques, économiques, par le radicalisme violent, à Tripoli et dans l’Akkar et le Denniyé, dans la Béqaa, à Iqlim el Kharroub, à Saïda et dans les camps palestiniens et certains regroupements de réfugiés syriens;
2.3 elle vise à récupérer la multitude de leviers du pouvoir sunnite qui échappaient au camp saoudo-haririen et à consolider ceux que le camp contrôlent : le club des anciens et actuel Premiers ministres (Sélim Hoss, Omar Karamé, Najib Mikati, Fouad Siniora, Tammam Salam), Dar el-Fatwa (l’élection d’un nouveau mufti, le mufti Deriyan, a permis à Hariri de se débarrasser du farouche opposant qu’était le mufti Qabbani), l’institution du Conseil des ministres (tête de l’Exécutif en l’absence d’un Président de la république), les Forces armées et de sécurité (le Ministère de l’Intérieur est aux mains du haririen Nohad el-Machnouk, alors que les dons saoudiens : $3md pour le programme franco-saoudien et $1md confiés à Saad Hariri personnellement, offrent à Hariri des moyens supplémentaires pour influencer la sécurité et la défense), la communauté des affaires (les plateformes les plus actives sont sous influence haririenne, dont la CCIAB, alors que les enjeux gaziers et pétroliers agitent les proches de Hariri restés à ce jour en dehors de ce dossier);
2.4 elle vise à réorganiser le camp du 14 Mars, avec toutes ses composantes (notamment sa composante chrétienne) et ses contradictions, en vue de reprendre l’initiative politique à la veille de l’élection présidentielle et des élections législatives, et surtout, couper court aux idées qui circulent sur une possible, et peut-être nécessaire, révision de la Constitution (Accord de Taëf, favorable aux Sunnites).
3. L’inauguration à partir du Liban d’une nouvelle stratégie saoudienne:
Cela passe par l’identification, clairement, des ennemis, adversaires et rivaux, de l’influence saoudienne au Liban, et que Saad Hariri a pour mission de combattre ou de cohabiter avec :
3.1 Le djihad global : la rue commençait à échapper au sunnisme traditionnel (voir 2.2), et la menace de l’EI et d’al-Qaëda (unis au début de la bataille d’Arsal seulement) et du salafisme militant; c’est le premier ennemi que le camp haririen doit combattre (par tous les moyens : militaires, sécuritaires, juridiques, religieux, économiques, etc.);
3.2 Le régime syrien : dans son discours à partir de Djeddah, prononcé en direct à la télé à la veille de sa visite surprise au Liban, Hariri s’en est pris violemment au régime syrien, coupant la voie à tout arrangement possible avec Damas; si les alliés irano-Hezbollahis d’Assad préfèrent la prudence dans la gestion du dossier saoudien au Liban, le régime syrien pourrait souhaiter l’élimination physique de Hariri et agirait contre son repositionnement politique;
3.3 Le Hamas, présent dans les camps palestiniens, et ses soutiens Frères Musulmans anti-saoudiens, pourraient être tentés de mettre la pression sur le pouvoir saoudo-haririen en recomposition; Hariri a plusieurs moyens de pression sur le Hamas, notamment des moyens politiques et sociaux (jouer sur les rivalités interpalestiniennes);
3.4 Le Qatar et la Turquie, qui ne voient pas forcément d’un bon oeil la contre-offensive saoudienne actuelle; l’argent (saoudien), la communication (y compris les médias locaux), et les réseaux politiques (14 Mars) et diplomatiques (EU) seront utilisés afin de contenir cette menace;
3.5 L’Iran et le Hezbollah (voir 3.2) pourraient, faute d’accords saoudo-iraniens et/ou irano-américains spécifiques sur le Liban, rendre difficile voire impossible, le retour politique de Saad Hariri; pragmatiques et prudents, ils opteraient pour une cohabitation ajustable en permanence, avec des arrangements à la carte sur les dossiers les plus pressants.
4. Assainissement du discours religieux officiel et récupération de l’islam officiel : La réforme du clergé sunnite, avec l’éviction du mufti Qabbani (en fait, surtout anti-Siniora) et l’élection du docile et intelligent mufti Deriyan (voir 2.3). Cela aura pour effet de :
4.1 Contrer la montée en puissance d’un discours religieux radical et anarchique, grâce à la réunification de Dar el-Fatwa et donc de son discours et de ses réseaux;
4.2 Apaiser les rapports entre le clergé sunnite et la classe politique dont il tire sa légitimité et son influence (et vice-versa);
4.3 Rationaliser le discours religieux en direction des autres composantes religieuses et confessionnelles : le clergé chiite, l’Eglise;
4.4 Offrir une légitimité religieuse aux actions politiques menées par le camp haririen pro-saoudien, par la couverture qu’offre Dar el-Fatwa au gouvernement et à la classe politique sunnite.
Pour l’Arabie Saoudite, qui vient, parallèlement au retour de Saad Hariri, de changer son Ambassadeur à Beyrouth, il s’agit de freiner l’effritement de son influence au Liban, après l’échec de ses projets en Syrie, et alors que son rival iranien consolide ses positions au Levant. Il s’agit, surtout, d’améliorer ses conditions en cas d’arrangements saoudo-iraniens au Liban et dans d’autres points chauds du Moyen-Orient. En cas d’escalade aussi, les Saoudiens se doivent d’être prêts à défendre leurs intérêts au Liban. La mission confiée à Saad Hariri paraît ainsi une mission à deux temps : freiner donc l’effritement de l’influence saoudienne, tout d’abord, et négocier la place que l’Arabie Saoudite pense être la sienne au Liban. Le principal rival et partenaire des Saoudiens au Liban reste, aujourd’hui, l’Iran. Mais pas seulement (voir 3).