Le 06/05, le porte-parole du Ministère français des Affaires étrangères, Romain Nadal, affirmait que la France n’a pas de candidat pour l’échéance présidentielle libanaise et qu’elle n’intervient nullement dans ce processus libano-libanais. Nadal, qui s’est ainsi exprimé lors d’un point de presse, a insisté sur le respect des délais constitutionnels et le processus démocratique. La France se devait de réagir, même lors d’un simple point de presse du porte-parole de son MAE, aux commentaires et analyses qui lui attribuent une trop forte dose d’ingérence dans ce rendez-vous politique interne au Liban.
Middle East Strategic Perspectives s’était demandé, dans une précédente analyse intitulée “Liban: Présidentielle: Paris dans le rôle de grand électeur?!“, si la France veut piloter elle-même ce processus libano-libanais et si elle en a les moyens véritablement.
Depuis quelques mois, et à la faveur surtout du rapprochement franco-saoudien et du repli américain, la France suggère à ses interlocuteurs à Beyrouth et à Riyad un montage français à la crise présidentielle attendue. La solution marketée par les Français auprès des Libanais se devait d’être franco-saoudienne, avec un parrainage américain. Ce parrainage devenait, progressivement, américano-iranien. Le tour de table des grands électeurs ainsi élargi, Paris, qui pensait pouvoir imposer ses choix pour la présidentielle au Liban, prend conscience des limites de son intervention que d’aucuns percevaient déjà comme une ingérence pesante dans les affaires internes libanaises.
C’est à ce moment que l’Arabie saoudite, qui se dirige vers une cohabitation avec l’Iran au Liban, une cohabitation la plus pragmatique possible dans le contexte actuel, choisit de ramener son Ambassadeur à Beyrouth après plusieurs mois d’absence. Ali Awad Assiri a aussitôt pris rendez-vous avec les personnalités politiques libanaises susceptibles de mener la danse électorale avec lui, et en premier lieu le Président du Parlement et chef du mouvement chiite Amal Nabih Berri. Soucieux, à l’instar des Français, d’être accusé d’ingérence dans les affaires politiques internes du Liban, Assiri a pris contact immédiatement avec les médias pour communiquer sur la neutralité de l’Arabie saoudite dans le dossier présidentiel et sur son refus de s’immiscer dans les affaires libanaises (MTV, 06/05).
Alors que les résultats de supposés sondages, farfelus et arbitraires, inondent les médias locaux, favorisant les deux candidats les plus représentatifs, Michel Aoun (chef du Courant Patriotique Libre) et Samir Geagea (chef des Forces Libanaises), ou des candidats virtuels et de contestation, Assiri parle désormais de “compromis” pour résumer le profil du candidat saoudien à la Présidence. L’état d’esprit de l’Ambassadeur saoudien reflète celui de son chef hiérarchique le Ministre des Affaires étrangères le prince Saoud el-Fayçal, qui gère, avec le 2ème Prince héritier Muqrin Ben Abdulaziz, le dossier présidentiel libanais. Pour Saoud et pour Muqrin, la cohabitation au Liban, avec l’Iran, paraît inévitable dans le contexte actuel : le rapprochement irano-américain, l’influence incontournable de la République islamique sur la scène libanaise via le Hezbollah, et une certaine volonté d’apaisement partagée par Riyad et Téhéran sur les scènes périphériques dont le Liban.
C’est là qu’entrent en jeu les Etats-Unis, et leur dynamique Ambassadeur David Hale qui multiplie ses contacts à Riyad, même si Washington hésite à trop s’impliquer directement au Liban. Les Américains semblent coordonner toutes ces influences extérieures, avec pragmatisme, jusqu’à obtenir le dosage optimal qui permettrait d’aboutir aux compromis nécessaires pour débloquer le dossier présidentiel libanais.
La France ne pouvait plus, dans ce contexte régional en constante évolution, prétendre à un rôle exclusif sur le dossier présidentiel libanais, ni même à gérer ce dossier de manière bilatérale avec son partenaire arabe de référence, l’Arabie saoudite. Le tour de table des “grands électeurs” s’élargit donc, et comprend aujourd’hui l’Arabie saoudite, l’Iran, les Etats-Unis et la France. Le tour de table des présidentiables se réduit, quant à lui. Les candidats les plus en vue, populairement (chefs de groupes politiques ayant une base populaire chrétienne consistante), politiquement (candidats, moins populaires, mais tout aussi marqués politiquement), ou encore virtuellement (candidats ayant des scores anormalement élevés sur les sondages en ligne), s’auto-éliminent progressivement. Cela se fait, naturellement, au profit de quelques candidats de compromis, ceux qui cumulent un historique politique, un carnet d’adresses régionales et internationales étoffé, et une lucidité politique suffisante pour s’imposer comme point d’intersection entre les diverses composantes libanaises. Parmi ces candidats : le commandant de l’Armée le général Jean Kahwaji, le Gouverneur de la Banque centrale Riad Salamé et l’ancien Ministre des Affaires étrangères Jean Obeid.
Cette fois encore, l’échéance présidentielle ne sera que très partiellement libanaise. Cette fois encore, les arrangements régionaux et internationaux pèseront très directement sur le choix du Président libanais. Cela amènera, inévitablement, un Président de compromis, pour gérer une crise qui tend à s’envenimer. Suivant cette lecture, c’est le candidat de compromis qui possède l’expérience politique la plus solide et la perspicacité nécessaire pour coordonner les antagonismes inter-libanais du moment qui l’emporterait…