Discret, davantage en tout cas que la délégation parlementaire du Groupe d’amitié France-Liban qui circule sirènes hurlantes dans le centre-ville de Beyrouth et multiplie les apparitions creuses et médiatisées, le Conseiller MENA de l’Elysée Emmanuel Bonne poursuit sa mission libanaise et s’active sur le dossier de l’élection présidentielle. Bonne, qui s’était rendu à Beyrouth en janvier dernier, y revient à nouveau, en avril, quelques jours avant le premier tour de l’élection présidentielle, pour espérer débloquer le dossier. Sa nouvelle visite au Liban, accueillie et suivie par une campagne diplomatique syrienne anti-française et par une campagne médiatique libanaise critique à l’égard de l’influence déclinante de la France au Levant, n’a pas fait vraiment avancer les choses.
Le rôle de la France dans le choix du prochain Président de la république est dénoncé par le régime syrien, qui joue le temps pour espérer s’associer à nouveau à une telle échéance cruciale pour le Liban. Ce rôle est perçu avec une susceptibilité évidente de la part du camp pro-iranien au Liban, malgré l’instauration de contacts, encore timides il est vrai, sur le dossier libanais, entre Paris et Téhéran. Même les rivalités nouvelles entre l’Arabie saoudite et le Qatar, qui se répercutent aussi sur le Liban, affectent également l’influence de la France sur le dossier présidentiel libanais.
La France s’associe avec l’Arabie saoudite, avec les encouragements des Etats-Unis, pour gérer au mieux le dossier libanais et l’échéance présidentielle. Le programme d’aide de $3md à l’Armée libanaise, géré conjointement par Riyad et Paris, a tendance aussi à être perçu de la même façon, par les diverses parties libanaises, surtout lorsque celles-ci tiennent à associer de telles initiatives à une contre-offensive politique franco-saoudienne au Levant. Traditionnellement, la France a, au Liban, des relais fidèles et utiles à son influence. Son influence est évidente à plusieurs niveaux, et visible, sans complexe. Mais, dans le contexte géopolitique régional et international et dans le contexte politique interne, ses adversaires et détracteurs semblent bien plus visibles eux aussi. Son action devient ingérence, et ses interventions sont ouvertement contestées, y compris dans un camp qui lui est traditionnellement acquis. A cela, plusieurs explications:
(i) la politique française actuelle au Liban peut être perçue comme tournée contre l’axe syro-iranien, malgré les nuances qu’imposent les efforts de normalisation en cours entre Paris et le camp irano-Hezbollahi;
(ii) les actions françaises peuvent être perçues comme des actions franco-saoudiennes qui satisfont, donc, le camp libanais qui se retrouve, dans le contexte actuel, à l’intersection de Paris et de Riyad;
(iii) la politique de Paris au Liban est perçue comme le résultat d’une sous-traitance américaine.
Middle East Strategic Perspectives pense exagérée cette susceptibilité d’une partie, grandissante, de Libanais, à l’égard du rôle de la France au Liban. MESP pense également excessive l’importance qu’on attribue, de plus en plus, au rôle de la France dans les dossiers cruciaux du Liban dont la prochaine élection ou aussi la stabilité du pays. Suivant ce même raisonnement, nous pensons démesurés les espoirs, et donc les craintes, que suscitent ces incompréhensions évidentes des politiques et actions françaises au Liban et au Levant. Il y a, certes, l’opposition frontale franco-syrienne. Il y a, aussi, les tractations, difficiles, entre Paris et Téhéran. Il y a, encore, les maladresses françaises qui suggèrent des préférences des dirigeants français pour des présidentiables particuliers, ceux notamment soutenus par l’Arabie saoudite. Dans ce même registre, le rôle de la France, dans le dossier présidentiel, ouvre la voie à des interprétations libres sur le poids réel de Paris sur la scène régionale, surtout que la concrétisation de ses choix politiques a besoin, impérativement, de favoriser les choix saoudiens, d’obtenir l’approbation de Washington, de rechercher une couverture iranienne, de lever les vétos russe et syrien etc. Ainsi décrite, l’intervention de la France sur le dossier de l’élection présidentielle libanaise paraît tout sauf… française.
La France écarte des candidats, et en soutient d’autres. Elle manœuvre avec des candidats, et en suggère de nouveaux. Il faut comprendre que cette action française, interventionniste, ne peut que provoquer les Libanais. Surtout qu’elle occulte les principes fondamentaux de toute action menée par la France qui reposent, faut-il le rappeler, sur le respect de la souveraineté et de la stabilité du Liban… Ceux qui affichent une hostilité franche aux ingérences françaises au Liban y voit une occasion pour dénoncer ce qui est perçue par ce camp comme une contre-offensive française contre l’axe syro-iranien. Dans le camp traditionnellement ouvert à la France, on tend à préférer, soit traiter directement avec le donneur d’ordres américain, soit tenter un tour de table associant aussi les Russes et les Iraniens. Dans le camp neutre, par rapport à la France, on penche plutôt vers une relativisation du rôle de Paris, et vers des arrangements internationaux et régionaux plus larges et qui dépasseraient le seul cadre libanais et l’échéance présidentielle.
Le rôle de la France dans le choix et l’élection du prochain Président du Liban est, pour le moins, ambigu. C’est en tout cas, la perception qu’on a, de plus en plus, à Beyrouth. La question qu’on se pose, et à laquelle l’Elysée doit répondre pour mieux recentrer ses interventions, est celle de savoir pourquoi accepter, aujourd’hui, le retour de la France au Liban par la grande porte présidentielle? Est-ce à la faveur du désintérêt américain pour le Liban? Est-ce au nom de l’absence, encore aujourd’hui, d’un tour de table international et régional capable de jouer ce rôle? Est-ce un rôle attribué à la France, ou arraché par celle-ci, par défaut, et sans garanties de succès? Les Libanais ne doivent-ils pas espérer, attendre ou encourager, des arrangements plus larges, impliquant d’autres acteurs internationaux et régionaux, et couvrant d’autres dossiers intérieurs et extérieurs? Le Liban a-t-il intérêt à s’ouvrir, dans le contexte actuel, au tandem franco-saoudien, avec tout ce que cela comporte comme limites, contraintes, et risques? La France a-t-elle intérêt à monopoliser, avec son partenaire arabe de référence, l’Arabie saoudite, la scène libanaise, sans attendre les arrangements internationaux et régionaux?