Le général Dahi Khalfan Tamim, devenu numéro deux de la Police de Dubaï après avoir longtemps commandé l’institution, poursuit sa charge contre les dirigeants du Qatar. Et il en fait trop… Dans une série de tweets, le 31/03, ce proche de l’émir de Dubaï cheikh Mohammad Ben Rached Al Maktoum, ennemi déclaré des Frères Musulmans, est allé jusqu’à rappeler les origines du Qatar actuel, créé, comme Dubaï, par les gouverneurs d’Abu Dhabi aux 18ème et 19ème siècles. “Nous sommes allés fouiller dans l’histoire ancienne du Qatar et nous avons trouvé que les dirigeants d’Abu Dhabi exerçaient leur autorité sur le Qatar, “avant les Al Thani bien entendu”. Pour lui, il s’agit d’un même peuple, et il exprime le souhait de voir restituer le Qatar à Abu Dhabi : “nous demandons que le Qatar soit replacé sous l’autorité de l’émirat d’Abu Dhabi”!!! Poursuivant ses provocations, le général Khalfan, qui invitait dernièrement les dirigeants du Qatar à lâcher les Frères Musulmans et à modifier leur politique extérieure pour espérer normaliser leurs liens avec Riyad et Abu Dhabi, rappelle que ce sont les Abu Dhabiens qui furent les premiers à avoir donné son nom à Doha.
Saoudiens et Emiratis accentuent leurs pressions sur le Qatar, et sur son jeune Emir Tamim Ben Hamad Al Thani, cherchant à l’isoler au sein du Conseil de Coopération du Golfe, de la Ligue Arabe et du monde islamique. Cherchent-ils aussi à provoquer des tensions internes, au sein de la famille des Al Thani, entre le clan de l’Emir Tamim et ses éventuels challengers? Saoudiens et Emiratis laissent supposer en tout cas une préférence pour d’autres figures du palais, y compris l’ex-Premier ministre cheikh Hamad Ben Jassem Ben Jabr Al Thani avec lequel leurs relations n’étaient pas simples pourtant sous l’Emir Hamad Ben Khalifa Al Thani. Semer la zizanie au sein des Al Thani est une stratégie évidente pour les Al Saoud et les Al Nahyan, comme semer la discorde entre le pouvoir qatari, lui-même wahhabite, et la confrérie des Frères Musulmans. Une stratégie à triple niveau : isoler le Qatar, jouer sur la cohésion familiale des Al Thani, déstabiliser les relations entre Doha et les Frères Musulmans.
A ce jour, le résultat de cette offensive, ou contre-offensive, saoudo-émiratie, est mitigé. Le 30/03, l’Emir du Qatar cheikh Tamim effectuait une visite officielle en Jordanie où le Roi Abdullah II, allié de Riyad et d’Abu Dhabi, le recevait avec tous les honneurs. Il devait poursuivre par une visite au Soudan, en Algérie et en Tunisie (02-06/04). Les relations du Qatar avec l’Iran sont stabilisées, et elles restent bonnes avec la Turquie des Frères Musulmans. L’émirat, qui chatouille les Saoudiens au Yémen, tente un retour au Levant, avec un intérêt renouvelé pour le Liban où les Saoudiens tentent de revenir aussi. Au sein du CCG, le Qatar est tout sauf isolé, puisque le Koweït et Oman refusent de s’aligner sur l’axe saoudo-émirato-bahreïni. En réalité, en voulant isoler le Qatar, au sein du CCG, Saoudiens et Emiratis ont déstabilisé encore plus un conseil qui perd progressivement de sa légitimité. Au sein de la Ligue arabe, le Qatar voit l’Egypte des généraux lui tourner le dos à cause de son soutien aux FM, mais il sait parfaitement l’inutilité de cette chose panarabe… Au niveau international, Riyad et Abu Dhabi ont le plus grand mal à isoler le petit émirat gazier et riche, et qui sait employer ses leviers énergétiques, financiers, commerciaux, militaires, pour continuer à intéresser ses partenaires occidentaux ou asiatiques. L’Emir Tamim prépare une tournée internationale, l’été prochain, et doit se rendre à Paris en juin. Quant aux Al Thani, ils semblent aujourd’hui soudés plus que jamais, le réflexe familial, clanique et même national, jouant à l’avantage du jeune Emir. De même, et malgré certaines annonces, les FM continuent de bénéficier de tout le soutien qatari : financier, logistique, médiatique, politique.
Saoudiens et Emiratis se trouvent dans une situation où ils doivent désormais choisir entre deux stratégies : soit intensifier encore plus, et beaucoup plus, leurs pressions sur le Qatar, au risque de créer de nouvelles tensions au sein du CCG et bien au-delà, et au risque aussi de vouloir entraîner avec eux des partenaires arabes, régionaux et internationaux; soit, au contraire, calmer le jeu, et tenter une approche plus conciliante avec l’Emir Tamim. Encore faut-il que les dirigeants saoudiens soient suffisamment sereins, aujourd’hui, pour accepter de réviser leur stratégie qatarie.