Arabie saoudite – EAU: La succession: approches différentes pour une même urgence

Saoudiens et Iraniens poursuivent leurs contacts, “secrets” répète-t-on dans les milieux diplomatiques, afin d’organiser leur cohabitation sur les scènes où ils sont en confrontation frontale ou en compétition. Les Emirats Arabes Unis, où on assiste à une réorganisation du pouvoir politique au profit du Prince héritier d’Abu Dhabi cheikh Mohammad Ben Zayed Al Nahyan, ont devancé l’Arabie saoudite sur la voie de la normalisation avec l’Iran. En fait, l’Arabie saoudite et les EAU, pays comparables par certains aspects uniquement, ont, généralement, une même vision des questions régionales. Seulement, leur mode d’opération est souvent différent. Leurs réactions à des problématiques similaires peuvent être avant tout décalées, ou différées pour être précis. Elles sont le plus souvent différentes. Ce décalage dans le temps, et cette différence dans l’approche, s’expliquent par le poids relatif de l’un par rapport à l’autre : sur les plans politique, géopolitique, énergétique, démographique, militaire, dans le monde arabe, sur la scène islamique, etc.

Ainsi, les Emiratis se sont engagés, militairement même, dans la guerre en Libye, alors que les Saoudiens, ennemis déclarés du régime libyen, se contentaient d’appuyer diplomatiquement et médiatiquement l’intervention extérieure contre Kadhafi. Les Emiratis s’ouvrent, officiellement, sur Israël qui vient d’envoyer son Ministre de l’Energie Sylvain Shalom aux EAU, alors que les Saoudiens, qui sont alliés de facto sur le plan stratégique avec Tel Aviv, se contentent de contacts informels avec des milieux israéliens, des contacts aussitôt démentis à Riyad. Les Emiratis mènent une guerre sans merci contre l’organisation des Frères Musulmans, y compris chez eux et moins ouvertement en Egypte, alors que les Saoudiens, tout aussi opposés sinon plus à l’influence des FM, intensifient la lutte contre la confrérie surtout en Egypte et plus discrètement en Arabie saoudite. En Syrie, l’élan anti-Assad des Emiratis s’est affaibli, alors que les enjeux géopolitiques régionaux et internationaux dépassaient le seul cadre syro-levantin, au moment où les Saoudiens intensifient leur action tous azimuts pour espérer obtenir le départ du régime alaouite allié du rival iranien.

Les exemples sont nombreux où, en dépit d’une perception très proche sinon identique des questions régionales, Saoudiens et Emiratis réagissent différemment dans le temps et dans la manière. C’est valable aussi pour la lecture des évolutions internationales, une lecture qui impose, aux yeux de Riyad et d’Abu Dhabi, des rééquilibrages au niveau de leurs relations stratégiques et une diversification des partenariats politiques et économiques et des sources d’approvisionnement militaire (rééquilibrage entre partenaires occidentaux, tentative d’ouverture sur la Russie, ouverture sur l’Asie). Ce raisonnement peut se transposer sur la scène intérieure des deux pays, avec, par exemple, la “nationalisation” des emplois, la gestion des dossiers sociopolitiques sensibles, la diversification de l’économie, les stratégies d’investissement des Fonds souverains, etc.

Aujourd’hui, l’Arabie saoudite et les EAU, malgré leurs grandes différences, vivent des contraintes internes et régionales semblables, et perçoivent de manière proche ou identique les enjeux stratégiques qui les touchent. Mais ils réagissent, chacun à son rythme et à sa manière. Les deux pays ont maintenant une autre problématique commune, celle de l’organisation urgente de la succession à la tête de l’Etat. Là aussi, les rythmes sont différents, et la manière aussi.

Scroll to Top