Syrie – Genève 2: L’exclusion de l’Iran: erreur stratégique ou contrainte tactique?

L’exclusion de l’Iran, en lui retirant son invitation à Montreux, du tour de table sur la Syrie, a modifié le rapport des forces autour de cette table, au profit du camp pro-saoudien. Cela a eu comme conséquences immédiates, une radicalisation des discours du camp pro-Assad, et une raideur diplomatique chez le camp russe. Le camp “pro-saoudien” revendique une victoire diplomatique, et l’Opposition syrienne officielle y voit une brèche à exploiter.
Vu le poids de l’Iran en Syrie et au Levant, et au regard de son implication directe dans le conflit, son éviction, sous prétexte de non respect de Genève 1, peut paraître une grande erreur stratégique. Incontournable, l’Iran devra revenir autour de cette table, si une solution viable est réellement recherchée. On est d’ores et déjà sur le chemin d’un Genève 3.
On comprend que Washington ait voulu créer ce déséquilibre diplomatique à la faveur de Riyad, pour tenter de rassurer les dirigeants saoudiens et atténuer le choc que provoquent chez eux les politiques américaines actuelles : revirement brusque sur la Syrie, normalisation en cours avec l’Iran. On comprend aussi que Paris ait voulu offrir une victoire, symbolique, à son “partenaire de référence” qu’est devenue l’Arabie saoudite au Moyen-Orient. Le Ministre saoudien des Affaires étrangères le prince Saoud el-Fayçal, à son poste depuis une trentaine d’années, rebondit sur cet acquis diplomatique pour rappeler l’attachement de son pays à la démocratie. En Syrie… Le petit cousin “par tribalité” du Roi Abdullah Ben Abdulaziz, le “chammari” Ahmad Jarba, chef de la Coalition nationale, rebondit sur ce forcing onusien et franco-américain pour rappeler la décision, non négociable, du peuple syrien, non consultable, d’exclure Bachar el-Assad du processus de transition politique. Un dialogue de sourds entre deux camps incapables de s’entendre sans l’association directe de l’Iran.

L’Iran reprend langue avec Washington et la communauté internationale. Elle avance ses pions en Irak, dans le Golfe, et au Levant. Ses succès sont mitigés, tout comme ses échecs. L’Iran, qui cherche à réintégrer la communauté internationale, gagne sur certains tableaux, et perd sur d’autres tableaux. Son “croissant chiite” est tout sauf stabilisé, avec la perte du Hamas palestinien, la pression intenable sur le Hezbollah libanais, l’affaiblissement incontestable de l’allié alaouite syrien, la déstabilisation du pouvoir pro-iranien à Bagdad. Certes, ce même raisonnement, si on part du principe que l’Iran, puissance étrangère au monde arabe, permet de traduire ces échecs relatifs en succès relatifs. Mais il nous faut reconnaître que l’offensive iranienne dans le monde arabe est en surchauffe et qu’elle montre ses limites. C’est en interprétant ainsi les politiques actuelles du Président Hassan Rouhani au Levant que les Américains ont dû décider d’accentuer la pression sur l’Iran en la privant de Genève 2.

Une telle décision peut être interprétée, à chaud, comme étant, donc, une victoire tactique pour l’Arabie saoudite et pour l’Opposition syrienne. Pourra-t-on la transformer en une victoire stratégique? Sans l’Iran cela nous paraît improbable. Ainsi, l’Iran, sous le parapluie russe, risque de revoir sa copie en vue d’imposer son retour autour de la table, à l’occasion d’un souhaitable Genève 3. Cela signifie, probablement, une radicalisation de la position iranienne sur le terrain : un engagement militaire, direct et indirect (milices chiites libanaises et irakiennes), plus grand, et un soutien politique, encore plus intransigeant, au programme du pouvoir syrien (élection présidentielle). Cela signifie une intensification de la guerre de l’ombre que se livrent Iraniens et Saoudiens, par procuration, sur les autres scènes régionales, en Irak et au Liban, sans parler de la Péninsule arabique (Yémen).

Genève 3 sera, certainement, plus utile. Surtout, si l’Iran y sera associé. Ou à condition que les Iraniens y soient pleinement associés. Entretemps, la souffrance des populations syriennes continuera. La déstabilisation des zones de friction ou de cohabitation entre Riyad et Téhéran se poursuivra. L’attractivité de la Syrie pour le djihad global s’accroîtra, tout comme les craintes internationales à l’égard de ce phénomène devenu incontrôlable…

Le facteur temps ne joue pas forcément, ou même pas du tout, en faveur du camp saoudien qui a choisi la victoire diplomatique, tactique et surtout facile, d’une éviction humiliante de l’Iran de Genève 2, aux gains stratégiques qu’aurait pu engendrer ou enclencher une association constructive de Téhéran. Sur la  voie de Genève 3, qui n’est toujours pas sur les agendas, Iraniens et Saoudiens passeront par deux phases, sous la bienveillance d’une communauté internationale de loin plus pragmatique : une première phase d’intenses accrochages, y compris donc de violences, et une deuxième phase de cohabitation plus ou moins forcée. C’est à la fin de ce processus que Russes et Américains convoqueront Genève 3 en vue de débattre, sérieusement, des issues réalistes et des solutions viables à la crise syrienne et levantine. Genève 1 aurait été la rencontre de toutes les illusions. Genève 2, celle des rendez-vous manqués. Genève 3 pourrait être celle des arrangements utiles et intelligents…

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