Les Saoudiens tendent à contribuer positivement, maintenant, à la guerre internationale contre le terrorisme. En Syrie, les djihadistes les plus radicaux, composés de nombreux Saoudiens, et qui ont bénéficié d’un soutien saoudien logistique et d’une couverture religieuse et politique de l’establishment des Saouds, sont en perte de vitesse. L’Etat Islamique en Irak et au Levant, une plateforme bâtarde d’al-Qaëda sortie du giron d’Ayman al-Zawahiri, et Jabhat al-Nusra, une filiale directe d’al-Qaëda, mènent des batailles désespérées, entre elles et contre des ennemis émergents notamment le Front Islamique. L’EIIL, qui pense être en mesure d’occuper l’ensemble de la scène djihadiste levantine, est en guerre, en Syrie, contre ses anciens partenaires et contre le régime syrien qui parvient à en obtenir des gains tactiques sur le terrain. Le gouvernement turc lui met la pression dans les zones frontalières aussi, jusqu’à lui adresser des frappes militaires sur ses bases-arrières. En Irak, le Premier ministre Nouri al-Maliki, qui obtient le déblocage rapide de programmes d’armements américains et russes (drones, hélicoptères d’attaque, moyens de vision nocturne, etc.), joue dangereusement sur la fibre confessionnelle pour espérer étouffer ce qu’il tient à présenter comme une offensive d’al-Qaëda dans les régions sunnites proches de la Syrie. Maliki sera au coeur des évolutions régionales au cours des prochaines semaines, à l’intersection d’intérêts régionaux et internationaux. Mais son entreprise est particulièrement risquée.
En effet, l’EIIL qui s’invite sur la scène libanaise en revendiquant un attentat contre le bastion du Hezbollah à Beyrouth, concentre surtout ses actions en Syrie et en Irak. Il est, en Irak, al-Qaëda. Mais, en Syrie et au Liban, il se rebelle, en quelque sorte, à la direction de l’organisation qui entend limiter son action au seul territoire irakien. Au Liban, al-Qaëda a d’autres relais et filiales, dont les Brigades Abdullah Azzam qui viennent de perdre leur émir saoudien Maged el-Maged, et Jabhat al-Nusra qui profite de la synergie grandissante entre les milieux salafistes engagés en Syrie et ceux, composés de Libanais, de Syriens et de Palestiniens, repliés sur le Liban. En Jordanie, et dans les camps palestiniens, les services de renseignements jordaniens travaillent sur l’ensemble de ces réseaux, et retrouvent ainsi leurs homologues syriens, turcs, qataris et saoudiens, dans leur noyautage des groupes djihadistes se réclamant de l’EIIL. L’action internationale contre les djihadistes engagés en Syrie et au Levant, et à laquelle contribuent efficacement les services américains, vise, en premier lieu, l’EIIL. Le rôle d’al-Maliki et à ce titre central, en effet.
En cherchant à se replier sur l’Irak, et en exploitant la frustration des tribus et populations sunnites face au gouvernement chiite pro-iranien de Nouri al-Maliki, l’EIIL espère se refaire une deuxième jeunesse et recentrer son action militante en direction de l’ennemi iranien, chiite et perse. Cela maintient la légitimité de sa lutte violente contre le régime alaouite de Bachar el-Assad, puisque Damas constitue le relais de cette offensive irano-Hezbollahi au Levant. En attisant la haine anti-Maliki, anti-chiite et anti-iranienne de certaines tribus sunnites de l’Anbar, l’EIIL espère s’offrir une base-arrière, ou un sanctuaire, pour coordonner ses actions vers l’intérieur syrien et vers le pouvoir central irakien. Al-Maliki devient un peu la cheville ouvrière de cette action internationale contre l’EIIL, une action où la dimension militaire tactique et le renseignement jouent beaucoup.
Ainsi, al-Maliki a deux contributions majeures à cette guerre internationale contre l’EIIL et al-Qaëda en Irak et au Levant : fournir les unités combattantes et contenir toutes sortes de débordements qui transformeraient son action militaire dans les régions sunnites en une guerre communautaire. Son gouvernement fournit donc les troupes d’élites, formées par les Américains surtout, et ses réseaux politiques et de renseignements s’attellent à jouer sur les tribus afin d’espérer priver l’EIIL d’une assise sociale, humaine et politique durable. Les drones, encore opérés par les Américains qui adoptent, depuis leur retrait officiel d’Irak une politique de zéro risque, offrent, avec les Mi-28 livrés par les Russes et en attendant les appareils américains, des avantages militaires certains sur l’ennemi. L’encadrement iranien, avec une implication supposée des Pasdarans, offre aux unités irakiennes des avantages tactiques évidents. Mais un facteur risque d’être déterminant dans ce contexte : le renseignement humain. Les services de renseignements syriens ne se sont jamais désintéressés des tribus, sunnites, à cheval sur les frontières syro-irakiennes, et qu’elles ont noyautées depuis longtemps. En effet, les services de Bachar el-Assad entretiennent d’importants réseaux au sein de ces tribus, des tribus qui ont bénéficié du soutien syro-iranien lors de leur lutte contre l’occupation américaine, et dont les liens avec al-Qaëda restent superficiels. Les services de renseignements saoudiens, qui ont travaillé ces tribus depuis plusieurs années, surtout au cours des trois dernières années, semblent eux aussi très coopératifs sur ce dossier. Les pressions américaines semblent aider à obtenir leur contribution efficace dans l’Anbar, surtout avec la remise à plat par la General Intelligence Directorate du prince Bandar Ben Sultan Ben Abdulaziz de son action levantine, en recentrant son intérêt au profit du Front Islamique et au détriment de l’EIIL. Sur ce dossier, il semble que le demi-frère du prince Bandar, le vice-Ministre de la Défense le prince Salman Ben Sultan Ben Abdulaziz soit en charge de la coordination de la cellule de crise mise en place par Riyad avec Washington pour contenir l’EIIL. Bandar Ben Sultan, qui retrouve, lentement mais sûrement dit-on dans son entourage, le chemin de Washington, ne pouvait rester en marge d’une telle action américaine de grande envergure. L’autre partenaire, loyal et efficace, des Américains sur ce champ de bataille, est le Roi Abdullah II de Jordanie, dont les services coordonnent un volet central de cette opération anti-EIIL.
L’EIIL devait rassembler les djihadistes sunnites pour imposer ses valeurs radicales au Levant, en partant de l’Irak, vers le Liban, en passant par la Syrie et les camps palestiniens. Il a réussi à attirer les djihadistes internationaux, regroupant en son sein de nombreux muhajirins originaires d’une cinquantaine de pays. Il a fini par faire l’unanimité contre lui, à commencer par son propre camp, plus pour des raisons opérationnelles que pour des raisons idéologiques même si le combat anti-chiite et anti-iranien prime dans sa vision. Ses soutiens régionaux l’ont lâché, au temps des arrangements internationaux. Avec Jabhat al-Nusra, elle-même noyautée par les services y compris ennemis, l’EIIL devient indésirable. Dans sa dimension transfrontalière en tout cas, car son action déstabilise l’ensemble du Levant et perd son objectif initial, celui de renverser Bachar el-Assad (cet objectif étant toujours recherché par les ex-sponsors de l’EIIL, à travers les moyens politiques). Et peut-être aussi dans sa dimension confessionnelle anti-chiite et anti-iranienne, au temps des arrangements internationaux. L’EIIL offre une plateforme de coopération entre les divers acteurs régionaux et internationaux engagés sur la scène syrienne et levantine. C’est un test, crucial, vital même, pour Nouri al-Maliki. Ce dernier peut compter sur le soutien, plus ou moins ouvert, de ses amitiés régionales et internationales, et sur une complicité intéressée de ses rivaux.