Le Président François Hollande se rend en Arabie saoudite dans un contexte franco-saoudien favorable. Mais le schéma n’est pas figé, et une série de facteurs peuvent entrer en jeu, à tout moment, pour mettre sous pression les excellentes relations franco-saoudiennes actuelles.
F. Hollande se rend donc en Arabie saoudite alors que Paris et Riyad se retrouvent sur une même longueur d’ondes sur plusieurs dossiers stratégiques : Syrie, Iran, Frères Musulmans. Il s’y rend alors que la France retrouve, en dépit de doutes français devenus habituels, l’image d’un partenaire international dynamique, entreprenant, capable et crédible. Les Saoudiens, qui ne peuvent s’offrir le luxe de trop s’éloigner de Washington malgré les déceptions, voient en la France, actuellement, un partenaire utile, même s’il s’agit pour certains d’un partenariat d’appoint. Ils le font savoir à travers la mise en valeur des rapports bilatéraux : concertations politiques soutenues et échange de visites de haut niveau; coordination poussée sur les dossiers régionaux; élargissement des échanges économiques et de la coopération militaire.
L’Arabie saoudite ne conçoit toujours pas la réalité de son déclassement sur l’échiquier géopolitique au profit de l’Iran, et trouve en la France un contrepoids possible à l’effritement de son influence régionale. Tout cela doit se passer sous un bienveillant parapluie américain, ou russo-américain… Sous ce parapluie, qu’il soit américain ou russo-américain, la France se retrouve sur un axe, virtuel peut-être encore aujourd’hui, saoudo-israélien. La France assumera-t-elle, au Moyen-Orient, ce rôle de puissance alternative, indéfiniment? Ne serait-elle pas tentée, ou contrainte, un jour ou l’autre, de rentrer à son tour sous un parapluie international plus large? L’Arabie saoudite assumera-t-elle, jusqu’au bout, sa différence au sein de son environnement géopolitique, différence sur laquelle est fondé son rapprochement actuel avec la France?
L’Iran a réussi à imposer son “arc chiite” de Téhéran jusqu’à Beyrouth, en passant par Bagdad et Damas. A chaque étape de cette conquête, la république islamique bénéficiait d’un coup de pouce américain que l’on tient à voir comme accidentel, et d’un manque de vision et d’une faiblesse arabes évidents. Sa sortie, progressive, de son isolement international, avec la réouverture du dossier nucléaire et la reprise des contacts avec Washington notamment, ne l’empêche pas de poursuivre sa stratégie anti-saoudienne.
Car il faut le reconnaître : l’Iran a une véritable stratégie anti-saoudienne dont le théâtre d’opérations est régional et même global. L’Arabie saoudite est maintenant visée dans son cercle le plus intime, avec la mise en échec par Téhéran du projet d’union des Etats membres du Conseil de Coopération du Golfe, et le maintien d’une pression forte à Bahreïn et au Yémen. L’Iran, qui combat l’Arabie saoudite sur d’autres zones géographiques et dans d’autres domaines (énergie, religion), ne semble pas pressé de normaliser ses relations avec Riyad. Réformateur ou pas, le nouveau Président Hassan Rouhani maintient le cap fixé par le guide suprême et reste déterminé à affaiblir le concurrent saoudien avant un éventuel arrangement bilatéral. En se braquant comme ils le font aujourd’hui, les dirigeants saoudiens s’exposent aux coups de la république islamique, et ont du mal à les éviter ou à les contenir.
Sous le parapluie russo-américain, cet échange, même virulent, est toléré, tant qu’il ne met pas en péril les intérêts stratégiques de Washington et de Moscou. L’Arabie saoudite sollicite la France pour tenter de limiter la casse devant une agressivité iranienne qui se poursuit et qui s’étend, et pour espérer contraindre Washington à baisser son seuil de tolérance à l’égard de l’Iran. Mais, cela peut être utile au rapprochement franco-saoudien de manière provisoire seulement : Washington et Moscou pourraient finir par imposer un modus vivendi rassurant pour Téhéran et Riyad, et Paris pourrait finir par répondre aux appels des immenses opportunités d’affaires que lui offriraient les marchés de “l’arc chiite” (sans oublier l’autonomie renouvelée par rapport à l’Arabie saoudite des marchés porteurs du Golfe : Emirats Arabes Unis, Qatar, Koweït, Oman).
Qu’en sera-t-il alors des relations franco-saoudiennes? Leur normalisation s’imposerait, avec un retour en force de Washington à Riyad, et avec un positionnement pragmatique de Paris sur la zone sous influence iranienne. Suivant un tel raisonnement, il ne reste aux Français, dans le contexte franco-saoudien actuel, que de poursuivre leur forcing afin de faire du chiffre sur le marché saoudien, tant que cela ne peut le leur être refusé…