Les deux auteurs de l’attentat-suicide contre l’Ambassade d’Iran à Beyrouth projetaient d’assassiner l’Ambassadeur Ghadanfar Roqon Abadi (la reconstitution de l’opération montre que les planificateurs de l’attentat pensaient être capables de provoquer l’effondrement de l’ensemble du bâtiment). Ce dernier, qui devait se rendre à une réunion à l’extérieur, était attendu à l’entrée de l’Ambassade par son “attaché culturel” tué dans l’explosion avec cinq autres iraniens membres du service de sécurité. Le double attentat-suicide a été aussitôt revendiqué par al-Qaëda, par un des responsables des Brigades Abdullah Azzam, cheikh Zuraïqat. L’Iran a aussitôt accusé Israël. La vérité serait entre les deux.
Trois remarques préalables : (i) il s’agit de deux attentats suicides, ce qui est en soi une nouveauté au Liban (si on met entre parenthèse quelques opérations suicides contre les soldats israéliens); (ii) ils visent directement l’Iran et sa présence au Liban, ce qui est en soi une nouveauté aussi dans le contexte géopolitique actuel; (iii) ils ont violé l’espace le plus sécurisé de l’outil sécuritaire du Hezbollah (Pasdarans).
On en déduit, à chaud, que (i) al-Qaëda s’implique (ou est impliquée, ou on veut l’impliquer) directement sur la scène libanaise qui risque de se transformer d’une terre d’accueil en une terre de djihad; (ii) des attaques suicides sont menées par des tenants de l’idéologie takfiriste contre des Chiites et contre l’Iran sur le sol libanais; (iii) la crise saoudo-iranienne peut brouiller les pistes et imposer certaines limites au raisonnement binaire qui expliquait l’insécurité actuelle au Liban par le débordement de la crise syrienne seulement; (iv) les accusations iraniennes contre Israël montrent une réelle volonté chez les dirigeants iraniens de ne pas aller vers une confrontation directe et ouverte avec les Saoudiens et/ou al-Qaëda, sur le sol libanais.
La communauté internationale exprime sa solidarité avec l’Iran, contre al-Qaëda. Les plus zélés à manifester leur solidarité avec l’Iran auraient été sans doute les Britanniques, qui viennent de rétablir leurs relations diplomatiques avec Téhéran : le Premier ministre David Cameron prend l’initiative d’appeler au téléphone le Président Hassan Rouhani, alors que l’Ambassadeur à Beyrouth Tom Fletcher faisait un médiatique don de sang au profit des blessés de l’attentat… Hasard du calendrier peut-être, les Etats-Unis, qui dénoncent l’attentat contre les Iraniens, annoncent simultanément le déblocage de $10md d’avoirs iraniens gelés… L’Iran victime du terrorisme d’al-Qaëda, indépendamment des commanditaires, continue de progresser, de facto, dans le camp occidental. Cela concernerait-il, un jour, le régime syrien?
Le régime syrien a pu imposer un fait accompli à la communauté internationale : détourner la révolution pour en faire une guerre contre le terrorisme. Et cela marche, surtout que le conflit a pris une tournure confessionnelle et que le djihad global est devenu l’enjeu premier en Syrie. Parviendra-t-il, surtout si al-Qaëda reprenait l’initiative en Irak et transformait le Liban en terre de djihad, à glisser à son tour de l’autre côté de la barrière? Pour la Russie, bien évidemment, c’est déjà le cas. Et pour Washington, Londres et Paris? Le cas de la Syrie est différent de celui de l’Iran, certes. Mais, le pompier pyromane qu’est le régime syrien connaît parfaitement les contours du jeu qu’il a tendance à plus ou moins bien respecter aujourd’hui. La guerre contre le terrorisme pourrait (re)devenir sa carte maîtresse pour rester dans le jeu, surtout s’il entend pousser plus loin les contours de ce jeu meurtrier…