Arabie saoudite – France: Les Français sauront-ils tirer parti, économiquement, des tensions saoudo-américaines?

Les relations entre l’Arabie saoudite et les Etats-Unis ne sont pas au beau fixe. Plusieurs signes le confirment, y compris les critiques adressées par la famille royale à l’administration Obama à travers les médias qu’elle contrôle. L’article du Hayat (15/09) sur les relations saoudo-américaines, sur fond de tensions autour de l’Egypte mais surtout autour de la Syrie, illustre bien cette dégradation des rapports entre Riyad et Washington. L’intitulé de l’article, paru dans un journal de la famille royale (clan Sultan) et signé d’un universitaire du sérail (al-Dakhil), est parlant en soi : “Le temps des dėsaccords” entre l’Arabie saoudite et les Etats-Unis. Ce temps sera-t-il bref ou long doit être la vraie question.

Les Saoud connaissent les limites de leur jeu avec l’allié américain, et ne s’aventurent pas, aujourd’hui, au-delà du périmètre qu’ils s’autorisent dans tout rapport de forces avec Washington. Risquer de fragiliser leur alliance stratégique avec les Etats-Unis demeure un tabou, en 2013, même lorsque l’environnement géopolitique de l’Arabie saoudite permettrait une prise de distance à l’égard de l’administration américaine. Aucune personnalité saoudienne de premier rang, aucun clan familial, n’osera prendre une telle responsabilité.

L’Egypte, du général Sissi, un des points de friction entre Washington et Riyad, se risque dans une ouverture en direction de la Russie, alors que les Etats-Unis mettent la pression sur le pouvoir actuel. Les Emirats Arabes Unis, engagés avec Riyad sur les dossiers chauds du moment, s’ouvrent sur Moscou, tout en préservant des liens forts avec les alliés traditionnels, comme la France. L’Arabie saoudite, qui ne désespère pas d’intéresser le Kremlin, sollicite de plus en plus aujourd’hui Paris, même lorsque la France a tendance à donner d’elle-même une image de puissance de deuxième zone. Les Etats-Unis, auxquels les Saoudiens reprochent leur inaction en Syrie, entendre leur refus d’engager une guerre militaire pour renverser Bachar el-Assad, savent aussi les limites de leur bras de fer avec Riyad.

Washington et Riyad savent que leurs relations passent par une période délicate, mais sont tous les deux bien conscients que cela ne saurait être que passager. Il n’empêche que pour les Français, une fenêtre de tirs s’offre à eux, en Arabie saoudite notamment et aux EAU, qu’il leur faut saisir rapidement.

Washington tente une solution politique et diplomatique en Syrie, alors que Riyad ne désespère pas de provoquer une solution militaire. Américains et Saoudiens savent qu’ils se retrouveront, plus tard, lors de la recomposition du pouvoir en Syrie, quelque soit la voie adoptée pour obtenir le changement. Washington met la pression sur l’Armée égyptienne, alors que Riyad contribue avec Abu Dhabi et l’establishment militaire égyptien à étouffer ce qui est considérée comme une dérive du mécanisme démocratique et qui a conduit au pouvoir les Frères Musulmans. Américains et Saoudiens savent qu’ils se retrouveront, plus tard, une fois l’agenda sécuritaire rempli en Egypte et une fois le calendrier du redressement politique établi, pour accompagner la réintégration de l’Egypte au sein de la communauté internationale. Washington adresse à l’Iran des messages d’ouverture, bien reçus par le nouveau Président Hassan Rouhani, avec l’espoir de réussir la cohabitation entre les intérêts des deux pays sur les diverses scènes régionales, y compris la Syrie, l’Irak, le Golfe, l’Afghanistan. Américains et Saoudiens savent qu’ils ont intérêt à faire une approche commune en direction de Téhéran, ou tout au moins, à synchroniser leur ouverture sur Téhéran. L’invitation adressée par le Roi Abdullah Ben Abdulaziz au Président Rouhani pour visiter le royaume à l’occasion du pèlerinage constitue un pas, saoudien, dans le sens de l’ouverture américaine sur Téhéran.

Il n’empêche que les relations saoudo-américaines passent par une phase d’instabilité. Une instabilité que seuls les arrangements espérés sur ces trois dossiers sensibles, la Syrie, l’Egypte et l’Iran, pourraient effacer. Pour l’instant, les échanges entre Américains et Saoudiens par médias interposés, laissent supposer que la tension persiste dans les relations entre Riyad et Washington, et que des pays comme la Russie et la France doivent y voir une réelle chance de faire avancer leurs relations avec les Saoud.

A signaler, la diffusion, le 16/09, sur CNN in Arabic, d’une interview avec l’opposant saoudien Saad al-Faqih, basé à Londres, dans laquelle la chaîne américaine met la lumière sur les tensions au sein de la famille royale saoudienne notamment. Dans son interview, dont des extraits sont repris par des médias arabophones qui échappent au sponsoring financier de l’Arabie saoudite et de ses alliés, al-Faqih insiste sur la compétition qui menace la cohésion de la famille royale, entre le clan Nayef Ben Abdulaziz, représenté par le puissant Ministre de l’Intérieur le prince Mohammad Ben Nayef Ben Abdulaziz, et le clan du Roi Abdullah, représenté par le Ministre de la Garde nationale le prince Mitaab Ben Abdullah Ben Abdulaziz, soutenu par le chef du diwan royal Khaled al-Tueïjri. En étalant ainsi, sur la place publique et dans un média américain bien suivi sur le plan régional, des questions sensibles liées aux rapports de forces au sein de la famille royale et à la délicate question de la succession du Roi Abdullah et de son Prince héritier Salman Ben Abdulaziz, les Américains montrent qu’ils sont prêts à accentuer leurs pressions sur Riyad, encore plus qu’aujourd’hui, pour l’amener à des arrangements nécessaires sur les dossiers d’intérêt commun. Si les deux parties s’en tiennent aux limites entendues de leur bras de fer, on peut penser, sans trop de risques, qu’il s’agit d’une parenthèse dans leurs relations qui se refermera plus ou moins rapidement. Mais le risque de dérapage existe, de part et d’autres, ce qui suppose des délais plus ou moins longs pour arriver à de nouveaux arrangements saoudo-américains. Cela augmenterait forcément les chances de pays comme la France (engagée inconditionnelle dans le camp saoudien) et la Russie (acteur incontournable sur la scène régionale) de consolider leurs acquis en Arabie saoudite, et de les élargir.

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