Avec un peu de recul, on comprend que les évolutions actuelles que vit le Liban font sauter une série de tabous politiques. Elles permettent, en tout cas, de poser, à chaud, une série de questions qui deviennent incontournables, malgré leur sensibilité:
(i) La fitna confessionnelle n’est plus loin. L'”irakisation” du Liban devient-elle une réalité?
(ii) Le Hezbollah et Israël se partagent désormais un ennemi commun: le djihad international. Se dirige-t-on vers une alliance des minorités, de facto?
(iii) La crise existentielle que traverse le Liban conduira-t-elle à une refonte de la nation libanaise et de l’Etat? Le projet fédéral est-il viable?
(i) “Irakisation” de la scène libanaise: le Liban glisse vers une fitna confessionnelle
Deux voitures piégées ont visé ce vendredi (23/08), jour de prière, deux mosquées à Tripoli, vivier du salafisme sunnite et base-arrière logistique de milieux opposants au régime de Bachar el-Assad. Deux voitures piégées avaient visé également, mais à un mois d’intervalle, en juillet en en août, la banlieue sud de Beyrouth, fief du Hezbollah chiite pro-iranien engagé aux côtés du régime alaouite syrien. Une cinquième voiture piégée a été saisie à Naameh, entre la banlieue sud chiite et la ville de Saïda, deuxième ville sunnite du Liban, non loin du camp du FPLP pro-syrien qui vient d’être visé par un tir de missiles israélien en réaction au tir de quatre roquettes (22/08) contre Israël à partir de la région de Tyr au sud-Liban. D’autres roquettes de 107mm ont été saisies par les autorités libanaises, identiques à celles tirées contre Israël, mais identiques aussi à celles tirées, au cours des dernières semaines, contre (ou en direction de) la banlieue sud de Beyrouth (et contre des régions chiites de la Béqaa).
Ces incidents interviennent après une série d’incidents meurtriers ayant opposé l’Armée libanaise à des groupes terroristes islamistes, à Saïda, à Tripoli, à Arsal, et après une vague d’attentats ciblés contre les convois du Hezbollah assurant la liaison entre le Liban et la Syrie. Les tensions politiques, sur fond de guerre en Syrie, prennent de plus en plus la forme d’une guerre confessionnelle au Liban, entre Sunnites et Chiites, et d’une guerre totale contre le terrorisme dans laquelle s’est engagée l’Armée libanaise. La scène libanaise ressemble de plus en plus à la scène irakienne… Parler “d’irakisation” du Liban, comme le fait ouvertement le président du Parlement libanais et chef du mouvement chiite Amal Nabih Berri, n’est plus un tabou.
(ii) Israël et le Hezbollah: deux ennemis face à un ennemi commun…
L’Armée israélienne, qui accuse le djihad international, entendre al-Qaëda et ses filiales régionales et locales, d’être derrière les tirs de roquettes contre Israël, a blanchi le Hezbollah, son ennemi supposé numéro un, et engagé des représailles contre le FPLP… Israël, qui doit gérer une autre problématique terroriste à l’intérieur, certes, mais aussi sur le front égyptien, et le Hezbollah, qui se retrouve, au Liban et en Syrie, devant une problématique similaire, se retrouvent devant un ennemi commun: le djihad sunnite international… Un deuxième tabou est en train de tomber.
(iii) Le Liban traverse une crise existentielle: vers un projet fédéral?
Le Hezbollah, toujours très fortement mobilisé sur son front sud avec Israël comme le montre sa récente opération contre une unité de Tsahal infiltrée en territoire libanais, est engagé, militairement, sur le front takfiriste en Syrie, et aux côtés du régime syrien et de l’axe syro-irano-russe. Il maintient une vigilance extrême sur son flanc sud, tout en étant très fortement impliqué en Syrie. Mais le Hezbollah, dont le dispositif de sécurité a été mis en péril à deux reprises en quelques semaines au cœur de son fief beyrouthin, se doit désormais de protéger ses bases populaires et ses intérêts qui sont visées directement par les attentats terroristes. Le fait accompli sécuritaire qui s’impose, avec la sanctuarisation par le Hezbollah des régions chiites, risque de faire des émules, avec la tentation ressentie dans les régions sunnites d’assurer, par leurs propres moyens, leur sécurité.
Curieusement, c’est dans ce contexte de décentralisation de fait, et d’effondrement des institutions nationales, qu’émerge à nouveau l’idée de l’ouverture d’un ou de deux nouveaux aéroports pour desservir des régions en dehors de l’influence du Hezbollah… Tout cela intervient alors que les institutions politiques nationales sont bloquées et que l’accord de Taëf est questionné et la Constitution qu’il a engendrée montre, à l’évidence, ses limites. Ce constat imposera, tôt ou tard, une révision de la Constitution et un abandon de l’accord de Taëf, dans le sens, possible, d’une véritable décentralisation, voire d’un projet fédéral. Encore un tabou qui tombe.