Le prince Bandar Ben Sultan Ben Abdulaziz, chef de la Saudi Intelligence Agency et SG du National Security Council, joue gros en Syrie. Depuis la mise à l’écart de l’ex-Emir du Qatar cheikh Hamad Ben Khalifa Al Thani et de celui qui fut longtemps l’homme fort du régime de Doha l’ex-PM et ex-MAE cheikh Hamad Ben Jassem Al Thani, l’Arabie saoudite tente d’exercer une sorte de monopole arabe et islamique sur le dossier syrien, profitant aussi de l’effondrement brutal du régime des Frères Musulmans en Egypte et de la révision par le PM turc Recep Tayyeb Erdogan de ses priorités politiques.
Ainsi, le royaume se retrouve, en Syrie, avec l’Opposition qu’il parraine et les groupes combattants qu’il sponsorise, face à son traditionnel rival iranien. L’élection du Président Hassan Rouhani et la recomposition en cours du paysage politique interne en Iran annoncent une possible amélioration des relations entre Téhéran et Riyad. Cela impacterait forcément la multitude de lignes de démarcation saoudo-iraniennes au Moyen-Orient, dont la Syrie, le Liban, Bahreïn, etc. En Syrie, le théâtre le plus sanglant de cette rivalité confessionelle et géopolitique, le prince Bandar Ben Sultan, qui a réussi à s’imposer comme maître d’oeuvre de l’action saoudienne avec la bénédiction de ses amitiés américaines, sait désormais que les opposants au régime de Bachar el-Assad ne sauront atteindre leurs objectifs de départ, trop ambitieux au regard de la puissance de feu du régime et surtout de ses soutiens régionaux et internationaux. Il sait également qu’aucun arrangement n’est possible en Syrie sans la Russie. Pour Bandar donc, l’Arabie saoudite peut et doit redevenir le principal interlocuteur arabo-musulman de la Russie, maintenant que la concurrence se fait rare, que l’implication américaine directe s’avère incertaine, que les tergiversations européennes s’éternisent. Par pragmatisme, les Saoudiens se rendent à l’évidence : la communauté internationale a plusieurs raisons de ne pas provoquer le renversement brutal de Bachar el-Assad, alors que la Russie a plusieurs raisons de ne pas permettre la somalisation de la Syrie et la transformation de ce pays en Etat défaillant.
La seule issue de sortie pour la crise syrienne paraît être un compromis qu’il vaut mieux rechercher rapidement. Cela semble être la nouvelle conviction du prince Bandar Ben Sultan qui, après avoir fait le tour des alliés européens (deux fois Paris, Londres, Berlin), se rend à présent à Moscou, avec les encouragements de Washington qui s’investit surtout, au Proche-Orient, dans le dossier israélo-palestinien, et qui mise sur Genève 2 pour espérer éviter l’extension de la guerre syrienne vers les pays voisins et surtout vers Israël. A Moscou, où il a été reçu le 30/07 par le Président Vladimir Poutine, Bandar Ben Sultan a parlé sécurité, terrorisme, islam politique, avec, au coeur de ses discussions, le dossier syrien.
Bandar, qui poursuit la consolidation de ses positions au sein du pouvoir à Riyad, veut promettre au Roi Abdullah Ben Abdulaziz une victoire diplomatique en Syrie, faute d’avoir pu lui offrir la victoire militaire et politique. Il espère renouer avec Moscou un dialogue qui commence par la Syrie, mais qui s’étend vers l’Egypte, l’Iran, l’Irak, le Caucase, et ailleurs, après une période de froid et de tensions mêmes dans les relations saoudo-russes. Sur le dossier syrien, Bandar vise à obtenir des Russes que l’Arabie saoudite soit associée, directement et quasi-exclusivement parmi les autres acteurs du monde arabe, au tour de table qui planchera sur la restructuration du pouvoir politique en Syrie, au même titre que les puissances internationales.
Bandar joue gros en se rendant à Moscou. Il le fait, dans un contexte régional et international favorable à un rôle plus grand de l’Arabie saoudite dans le dossier syrien, et dans un timing pertinent puisque les autres acteurs régionaux et internationaux se retrouvent, pour de multiples raisons, en marge de ce dossier. Il joue gros pour l’Arabie saoudite, et au nom de ses alliés, mais il le fait aussi et surtout peut-être au nom de son ambition personnelle. S’il réussit à peser sur les arrangements en Syrie, en coordination avec la Russie et sous le parapluie américain, faute d’avoir pu arracher une victoire militaire décisive contre Bachar el-Assad, il aurait gagné aux yeux de ses interlocuteurs internes et externes. S’il perd dans sa nouvelle action, diplomatique, sa place dans le jeu politique interne serait même compromise.