L’attentat terroriste survenu le 09/07 à Bir el-Abed dans la banlieue sud de Beyrouth, fief du Hezbollah, ne visait pas, apparemment, une cible particulière. Il s’agit, vraisemblablement, d’un attentat aveugle visant une population chiite totalement acquise au tandem Hezbollah-Amal. Faute de pouvoir viser des objectifs spécifiques, comme c’est le cas par exemple lors d’attentats survenant sur les voies de communication entre le Liban et la Syrie et visant des combattants chiites, cet attentat, qui n’est pas sans rappeler les attentats à la voiture piégée qui secouent Bagdad et les villes irakiennes, s’inscrit plutôt dans une logique politique : provoquer des clivages entre la direction du Hezbollah et ses alliés syriens et iraniens d’une part, et la base populaire chiite et les Libanais d’autre part.
Cet attentat, à l’instar des récents tirs de roquettes contre les quartiers chiites de Beyrouth, rappelle les attentats contre les régions chiites en Irak par leur caractère meurtrier et aveugle. Mais il rappelle surtout, dans sa teneur politique, une pratique bien connue du Hezbollah et de sa base, celle suivie par les Israéliens à chaque affrontement ouvert avec le Liban ces dernières années. En effet, les Israéliens ont opté, en 2006 notamment, pour cette même tactique avec l’espoir de déstabiliser les liens entre la direction du Hezbollah et sa base. Fragiliser la très forte cohésion entre le Hezbollah et son environnement social et populaire, et accroître la pression sur les rapports dejà tendus entre l’organisation chiite et une partie non négligeable de Libanais, sont les objectifs manifestes de cet attentat.
Les premières réactions montrent que la cohésion demeure forte entre le Hezbollah (et Amal) et sa base populaire et sociale, malgré la menace sécuritaire que fait peser l’engagement des combattants chiites libanais en Syrie, et malgré déjà des dizaines de tués chiites dans les opérations militaires. Alors que la communauté chiite se sent de plus en plus menacée, dans un espace géopolitique qui regroupe le Liban et l’ensemble du Levant et au-delà, la légitimité de l’engagement du Hezbollah en Syrie ne fait pas de doute pour la base libanaise de l’organisation (combattre ce qu’on présente aujourd’hui comme étant l’axe américano-sioniste-takfiriste). Le réflexe minoritaire joue de plus en plus, et la montée en puissance des idéologies takfiristes aide clairement à mobiliser la base du Hezbollah. Tout comme le devoir de réagir aux menaces qui pèsent sur la résistance incarnée par le front syro-irano-Hezbollah.
Dans un cercle libanais plus large, les choses sont différentes. Dans les milieux alliés ou sympathisants du Hezbollah, notamment la base du Courant Patriotique Libre du général Michel Aoun, l’engagement du Hezbollah en Syrie n’est peut-être pas questionné en soi, mais les inquiétudes et les interrogations concernent les implications directes et indirectes de cet engagement, sur la sécurité au Liban et sur les intérêts des Libanais et de leurs communautés d’affaires dans les pays du Golfe notamment. Mais, là aussi, le réflexe minoritaire et la peur des mouvements islamistes sunnites radicaux qui monopolisent pratiquement le camp rebelle en Syrie, jouent en faveur du maintien d’une certaine cohésion entre cette frange populaire et le Hezbollah.
C’est dans le camp adverse, celui qui est clairement opposé au Hezbollah pour une multitude de raisons dépassant le seul cadre syrien, que les pressions sécuritaires, politiques, médiatiques et économiques, font leurs plus grands effets. Le camp du 14 Mars, clairement en faveur de l’Opposition syrienne et solidemment lié à l’axe arabo-sunnite piloté désormais par l’Arabie saoudite, a tendance aujourd’hui à réagir comme en août 2006, en faisant porter au Hezbollah et à son aventurisme et ses alliances extranationales, la responsabilité du déclin actuel du Liban.
Les pressions sur le Hezbollah ont tendance à croître actuellement, avec le blocage désespéré de la situation syrienne et l’engagement de plus en plus grand de l’organisation chiite libanaise aux côtés du régime. Cela se traduit par des pressions politiques (gouvernement, loi électorale, etc.) qui ne semblent pas particulièrement affecter le Hezbollah, et par des pressions économiques (boycott du Liban par les ressortissants arabes du Golfe, expulsion de Libanais proches du 8 Mars, etc.) qui risquent de toucher l’ensemble de l’économie libanaise et d’épargner la cible initiale, ou encore par des pressions médiatiques auxquelles la machine de propagande du Hezbollah parvient à bien répondre… Les pressions sécuritaires exercées sur le Hezbollah sont, de loin, les plus inquiétantes : engagements militaires directs dans les régions frontalières, tirs de roquettes anonymes contre les régions chiites, attentats ciblés contre les combattants du Hezbollah, attentats aveugles contre les quartiers populaires chiites, mobilisations sporadiques de groupuscules combattants sunnites à travers le Liban (Tripoli, Arsal, Beyrouth, Saïda, camps palestiniens), etc. Deux facteurs attisent ces craintes : l’afflux de combattants syriens (Armée Libre de Syrie) et de djihadistes internationaux (Jabhat al-Nusra notamment) vers le Liban et le soutien logistique et opérationnel dont ils bénéficient dans des zones de non-droit, et la confusion, qui a tendance à se banaliser, entre le camp du Hezbollah et l’Armée libanaise…
Alors qu’ils ont longtemps navigué à vue et fait prendre au Liban des risques intenables (y compris l’ouverture anarchique des frontières et l’installation de bases-arrières pour l’Opposition syrienne armée sur le sol libanais, etc.), plusieurs pays amis du Liban, dont les Etats-Unis, la France, la Grande-Bretagne et avec eux l’Union Européenne, paniquent maintenant et optent pour des aides militaires urgentes au profit de l’Armée libanaise. Les Américains et les Européens savent pertinemment que l’urgence est au renforcement des moyens de l’Armée libanaise, mais ils omettent en même temps d’agir, sérieusement, auprès des parties libanaises les plus influentes pour qu’une réelle couverture politique nationale soit offerte à l’Institution militaire, une couverture sans laquelle toutes ces aides annoncées et prévues seraient vaines…