Ce sont, simultanément, trois “coups d’Etat” que vient de subir, le 03/07, le Président égyptien déchu Mohammad Morsi: le coup d’Etat de l’Armée, un coup de palais de la confrérie des Frères Musulmans, et un lâchage des soutiens et relais extérieurs.
L’Armée prend le pouvoir, au nom de la stabilité, et parvient à se soustraire, provisoirement certes, aux traditionnelles critiques de l’allié américain et de la communauté internationale. Le seuil de tolérance américain et international à l’égard de l’Institution militaire (qui dépend pour son armement et sa formation sur les Etats-Unis principalement) est étroit, même s’il peut être extensible par nécessité. Mais ce schéma, anachronique en 2013 pour Washington et les partenaires internationaux du Caire, ne saurait durer indéfiniment…
Les relais extérieurs n’ont manifesté aucune solidarité avec Morsi, contre les masses populaires qui se soulevaient contre son pouvoir, comme le Qatar qui soutenait financièrement et médiatiquement le régime, et qui vient de vivre lui aussi un changement inattendu à sa tête avec le remplacement de l’Emir Hamad Ben Khalifa Al Thani par son fils l’Emir Tamim Ben Hamad Al Thani, et la mise à l’écart de l’ex-homme fort du régime cheikh Hamad Ben Jassem Ben Jabr Al Thani, artisan de l’instrumentalisation excessive des Frères Musulmans sur la scène arabe. Ainsi, ce coup dur porté aux principes démocratiques fondamentaux, avec le renversement d’un Président élu et la prise du pouvoir par l’Institution militaire, n’émeut pas particulièrement les relais régionaux des Frères Musulmans. Au contraire, il réjouit plus d’un dans le monde arabo-musulman anti-démocratique dans la pratique: le Président syrien Bachar el-Assad, explique ainsi, non sans cynisme, la faillite de l’islam politique, alors que les dirigeants des monarchies conservatrices en délicatesse ou en conflit ouvert avec les FM, à savoir, l’Arabie saoudite, les Emirats Arabes Unis, le Koweït et la Jordanie, se rassurent de cette contre-révolution égyptienne qu’ils auraient souhaitée, sinon encouragée eux-mêmes.
En attendant une meilleure visibilité du projet de l’Armée égyptienne, et de mieux comprendre son intention à véritablement respecter la feuille de route qu’elle vient d’élaborer avec diverses composantes de la société, y compris les Salafistes et l’Eglise Copte, mais pas les Frères Musulmans, et en attendant une clarification de la position de Washington et de la communauté internationale, une troisième dimension de ce coup d’Etat, suscite une inquiétude particulière : le risque de radicalisation des Frères Musulmans tentés à nouveau par la clandestinité dont ils venaient de sortir après 80 années de lutte, et le risque de violence donc et de guerre civile. Car en effet, Morsi subit un troisième coup d’Etat, interne, “fraternelle”, qui profitera aux franges les plus radicales de la confrérie des Frères Musulmans, celles-là même qui sont tentées d’accuser le Président déchu de faiblesse à l’égard de l’Armée, de l’Opposition interne et même des partenaires extérieurs (soumission automatique aux exigences américaines, notamment pour le respect inconditionnel de l’accord de Camp David avec Israël, etc.). Les conséquences de ce coup d’Etat, tridimensionnel, risquent d’être lourdes pour la stabilité interne de l’Egypte, voire pour la stabilité régionale. La capacité de l’Armée à gérer la crise est incertaine, surtout si on sait qu’à l’origine profonde de cette crise résident des facteurs sur lesquels l’Institution militaire et le pouvoir intérimaire qu’elle installera n’ont que peu d’influence, en tout cas dans une perspective immédiate: la crise économique profonde, et la radicalisation extrême d’une frange considérable de la société égyptienne…