Golfe – CCG: Le ‘printemps’ aux portes des palais: quel changement et quand?


Le “printemps arabe” touche finalement les pétromonarchies ultraconservatrices du Golfe, alors que les dirigeants de ces pays réunis au sein du Conseil de Coopération du Golfe pensaient être en mesure d’arrêter le changement à leurs frontières.

Oman, pays confondu avec un seul homme, le sultan Qabous Ben Saïd, est le plus réservé de cet ensemble, et celui qui s’expose le moins aux enjeux extérieurs. Il n’empêche que son système politique archaïque est irrécupérable, et l’Opposition, même si son action n’est pas trop visible, se fait entendre au palais et obtient quelques concessions inimaginables il y a peu. A Oman, l’Opposition reste pragmatique, et sait que le compte à rebours pour espérer un début d’ouverture sérieuse du système politique débutera avec la disparition du sultan.

Aux Emirats Arabes Unis, l’ouverture est trop lente, trop incertaine, trop sournoise, alors que le pouvoir met à profit, subtilement, une combinaison de menaces supposées ou réelles, pour maintenir son stricte contrôle sur l’ensemble du système. Le terrorisme d’al-Qaëda, l’atteinte iranienne à l’intégrité territoriale, le noyautage de la vie sociale et politique par la confrérie des Frères Musulmans, sont autant de facteurs qui expliquent la nouvelle dérive du tout-sécuritaire aux EAU. La reprise économique à Dubaï, qui soulage Abu Dhabi, permet à l’axe Nahyan-Maktoum de poursuivre la stratégie rentière qui permet d’apaiser les revendications politiques encore aujourd’hui. Il n’empêche que le pouvoir émirati doit multiplier ses efforts, bien plus qu’il y a quelques courtes années, pour éviter l’émergence d’une contestation politique et son ancrage durable.

A Bahreïn, le pouvoir fait face à un véritable soulèvement populaire, un soulèvement qui prend une couleur confessionnelle, et que la terminologie complaisante refuse toujours de placer sous l’étiquette de printemps arabe.

Le Koweït est secoué par une série de crises politiques qui se succèdent, et qui montrent parfaitement les failles d’un système politique bâtard. Dans cet émirat qui possède le premier Parlement élu de l’ensemble du CCG, le réveil islamique a trouvé sa voie jusqu’à la contestation ouverte, sur fond de tensions confessionnelles inédites. Le système politique koweïtien donne la possibilité d’être contesté, et c’est peut-être là son principal mérite. Pour le reste, il a besoin urgemment d’être réformé pour éviter son implosion.

Au Qatar, l’agressivité de la politique extérieure de la famille régnante des Al Thani, couplée de moyens substantiels pour croître en visibilité, lui aurait valu d’être présent sur des dossiers chauds réservés traditionnellement à des puissances d’une autre envergure. Pour autant, cela ne semble pas pouvoir arrêter les vagues du changement aux portes de Doha, malgré un semblant de quiétude sur le plan interne. Les Al Thani ont, certes, les moyens pour satisfaire leurs sujets, d’un point de vue matériel, comme ils font preuve aussi d’une solide détermination à repousser le plus loin possible, chez les autres, les lignes de démarcation entre l’esprit révolutionnaire et les systèmes établis. Cela n’est pas sans risque pour leur pouvoir, d’autant que toutes leurs batailles menées sur des fronts éloignés ne sont pas forcément gagnées d’avance… L’engagement, trop visible, du Qatar sur des scènes internationalisées, comme aujourd’hui la Syrie, n’est pas sans risque pour le petit émirat, indépendamment de l’issue immédiat du conflit. Sur le plan interne, c’est au niveau du nucléon familial que les faiblesses du système politique sont à rechercher, même si d’autres paramètres risquent de jouer en défaveur de la stabilité à moyen terme. C’est probablement pour anticiper le besoin de changement qu’imposeraient les évolutions régionales et les demandes d’ouverture politique encore discrètes aujourd’hui à Doha mais qui finiront par se manifester plus franchement avec le risque d’usures au sein du pouvoir, qu’on annonce l’abdication de l’Emir Hamad Ben Khalifa au profit de son fils le Prince héritier Tamim Ben Hamad.

En Arabie saoudite, le système politique cumule pratiquement toutes les faiblesses de ceux des autres Etats membres du CCG, et subit des pressions bien plus fortes et proportionnelles à son poids. Une lutte de clans émerge au sein des Al Saoud alors que la tête du pouvoir, malade et vieillissante, semble perdre la main. Des contestations sociales et économiques attisent des revendications politiques visibles que les pseudos ouvertures ne calment pas. Le “printemps arabe” fait peser une pression directe sur le pouvoir archaïque, même si Riyad tente de détourner les attentions vers d’autres scènes régionales. Le “printemps iranien”, qui a commencé par une révolution islamique chiite contre l’ordre établi, et qui se poursuit en “printemps chiite”, avec une dimension saoudienne interne, et en un “printemps moyen-oriental” engageant les intérêts du royaume dans l’ensemble de la région, aura bien plus d’impacts en Arabie saoudite qu’ailleurs.

L’Arabie saoudite, et les autres monarchies du CCG, subissent des vents de changements de tous bords. Il y a le réveil islamique, façon Frères Musulmans (que seul le Qatar croit pouvoir contenir), et les excès de l’islamisme djihadiste, façon al-Qaëda (que tous ces régimes ont encouragé d’une manière ou d’une autre). Il y a les évolutions politiques actuelles en Iran, et l’arrivée, par les urnes, d’un président réformateur, avec tout ce que cela porte comme risque de contagion pour le voisinage de la république islamique… Pour l’Arabie saoudite et les cinq autres monarchies arabes du Golfe, le “printemps” est là. Il peut être retardé, différé, momentanément détourné. Mais il est un fait: le changement c’est pour bientôt.

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