C’est lors d’un contrôle d’identité sur un barrage de l’Armée libanaise aux abords d’une banlieue de Saïda que la situation a brusquement dégénéré, le 23/06, entre l’Armée et la milice du cheikh salafiste Ahmad al-Assir. Les accrochages se sont rapidement étendus à travers la ville, impliquant, de manière coordonnée, les groupuscules djihadistes basés dans le turbulent camp palestinien d’Aïn el-Héloué. Cheikh al-Assir, qui a appelé ses sympathisants à travers le Liban à le soutenir dans sa guerre contre l’Armée, est à la tête d’une milice de quelques 300 hommes, des Libanais, des Palestiniens et des Syriens, dotés d’équipements modernes et bien entraînés. Cette milice peut compter sur des sympathisants armés dispatchés à travers la ville de Saïda, mais surtout sur de nombreux combattants venus de Syrie et installés dans le camp d’Aïn el-Héloué et dans son entourage.
Un simple contrôle d’identité qui se transforme aussitôt en une véritable guerre, mettant face à face une Armée nationale régulière multiconfessionnelle et une brochette de groupuscules djihadistes aguerris, n’est pas une affaire anodine, même au Liban. En effet, l’Armée, qui a vaincu Fatah al-Islam dans le camp de Naher al-Bared en 2007 grâce à une cohésion nationale (presque) parfaite et grâce à un soutien extérieur (presque) sincère, se retrouve aujourd’hui, en 2013, engagée dans une nouvelle opération guerrière contre les djihadistes internationaux concentrés cette fois dans un autre camp palestinien, celui d’Aïn el-Héloué (Abra, le fief de cheikh al-Assir, autrefois un paisible village chrétien surplombant Saïda, est appuyé sur le quartier de Taamir et sur Aïn el-Héloué, et constitue un front commun avec le camp palestinien et ses zones limitrophes contrôlées par Jund el-Sham, Fatah al-Islam, Jabhat al-Nusra).
Officiellement, l’Armée réagit aux nouvelles provocations, meurtrières d’Ahmad al-Assir (17 militaires tués en moins de 24 heures). Pratiquement, l’Armée est engagée (au début d’un nouvel engagement) sur le front global du terrorisme djihadiste, avec, face à elle, une brigade internationale de combattants de diverses nationalités. Cette opération militaire, qui fait suite à une surveillance soutenue depuis des mois de la réorganisation des groupes djihadistes dans le camp d’Aïn el-Héloué, survient alors que les “amis de la Syrie”, réunis quelques jours auparavant à Doha, exigent de leurs partenaires en Syrie de faire le ménage dans leurs rangs et d’en éliminer les groupes et éléments les plus radicaux. Un “travail” que le régime de Bachar el-Assad et ses alliés font, en écrasant l’Opposition sans distinction, mais que l’Armée Libre de Syrie (ALS) et les prétendants au pouvoir à Damas sont pressés aujourd’hui de poursuivre…
Le Liban, menacé par l’Armée syrienne qui aurait songé à franchir la frontière pour éliminer les bases-arrières de Jabhat al-Nusra et de l’ALS installées en territoire libanais, est également menacé par l’installation sur son sol et dans des zones de non-droit comme à Aïn el-Héloué, de groupes terroristes de tendance djihadiste. Ces cellules dormantes du djihad global, prennent leurs aises donc dans des zones de non-droit, bénéficiant du soutien de groupes salafistes comme ceux de cheikh al-Assir, et même aussi d’une sympathie évidente de la communauté sunnite à l’égard de la lutte armée menée contre le régime alaouite de Bachar el-Assad. L’Armée libanaise, dernier rempart institutionnel qui protège encore l’Etat et qui fédère les Libanais, ne pouvait laisser faire cette montée en puissance, rapide et inquiétante, des groupes djihadistes, à Aïn el-Héloué notamment, et se devait de mener une action préventive afin de couper l’herbe sous les pieds d’al-Qaëda et de ses relais locaux. Cheikh al-Assir vient de lui en donner l’occasion.
Au deuxième jour des accrochages, une question essentielle se pose: l’opération se limitera-t-elle à contenir cheikh al-Assir et sa milice seulement, ou se poursuivra-t-elle pour empêcher al-Qaëda de transformer le Liban, le moment venu, d’une terre d’accueil en une terre de djihad? Cela dépendra de deux facteurs cruciaux: le degré de cohésion nationale autour d’une telle action d’envergure et l’étendu du soutien extérieur, politique et opérationnel, que les autorités libanaises et l’Armée peuvent espérer dans le contexte actuel.