Le Président français François Hollande effectue une visite officielle au Qatar les 22-23/06 (il se rend aussi en Jordanie). C’est sa troisième visite dans le Golfe, après celles effectuées en Arabie saoudite (et qui doit être suivie d’une autre visite dans le royaume) et aux Emirats Arabes Unis. Le Président français, qui avait attendu trois semaines après son élection pour recevoir à l’Elysée, non pas l’Emir du Qatar Hamad Ben Khalifa Al Thani comme l’avait fait son prédécesseur Nicolas Sarkozy aussitôt élu, mais son émissaire le Premier ministre et Ministre des Affaires étrangères cheikh Hamad Ben Jassem Ben Jabr Al Thani, a envoyé depuis, plusieurs émissaires à Doha dont son Ministre de la Défense Jean-Yves Le Drian. Mais il a bien voulu marquer sa différence avec le Président sortant, en procédant à un rééquilibrage des relations qu’entretient la France, et qu’entretient l’Elysée en particulier, avec les pétromonarchies du Golfe. MESP s’était demandé alors si on assistait à un début de “normalisation” des relations entre Paris et Doha… Dans une autre analyse, on se demandait aussi “quels garde-fous contre les ingérences qataries” la France se devait d’imposer à son partenaire? Commençait alors en France une campagne de susceptibilités croissantes à l’égard du Qatar, sur fond d’investissements massifs y compris de manière perçue parfois comme sectaire dans les banlieues, et sur fond d’engagements opaques de Doha dans des dossiers internationaux, perçus parfois comme contraires aux intérêts de la France. MESP s’y est intéressé à travers la publication massive à Paris d’ouvrages critiques à l’égard des relations franco-qataries, comme dans notre note intitulée “Les secrets du coffre-fort du vilain petit Qatar“.
La France maintient ses choix stratégiques dans le Golfe, et son positionnement régional continue de reposer principalement sur son partenariat stratégique avec trois des Etats membres du Conseil de coopération du Golfe : les Emirats Arabes Unis, le Qatar et l’Arabie saoudite. Sans négliger les autres partenaires du CCG, le Koweït, Bahreïn et Oman, l’Elysée choisit de consolider ses partenariats avec Abu Dhabi, Doha et Riyad, tout en cherchant à adopter une approche globale, régionale, de ces partenariats. Les concertations sont devenues régulières avec les dirigeants émiratis, saoudiens et qataris, dans le cadre d’une perception plus large des intérêts français sur la zone et des échanges franco-arabes de manière plus générale. Paris ne donne plus l’impression d’agir avec ses trois principaux partenaires stratégiques du CCG comme s’il s’agissait d’un jeu à somme nulle. Au contraire, la France semble privilégier dans son partenariat avec Abu Dhabi, Doha et Riyad, les dossiers qui représentent un intérêt commun pour elle et pour l’ensemble des monarchies simultanément.
Avant de se rendre à Doha, François Hollande vient de recevoir, dans le cadre de ses concertations avec les dirigeants arabes du Golfe, deux délégations : l’une d’Arabie saoudite, composée du Ministre des Affaires étrangères le prince Saoud el-Fayçal et du chef des RG et SG du Conseil de la sécurité nationale le prince Bandar Ben Sultan Ben Abdulaziz, et l’autre des EAU, composée du Premier ministre émirati l’Emir de Dubaï cheikh Mohammad Ben Rached Al Maktoum et du Ministre des Affaires étrangères le prince abudhabien cheikh Abdullah Ben Zayed Al Nahyan.
La Syrie était au cœur des discussions entre Hollande et les émissaires saoudiens, avec une part accessoire aux relations bilatérales (“Arabie saoudite – France: Bandar Ben Sultan sollicite Paris sur la Syrie“). A signaler que la France, qui avait reçu dernièrement le très influent Ministre saoudien de l’Intérieur le prince Mohammad Ben Nayef Ben Abdulaziz, accueillait cette semaine une autre étoile montante du système saoudien le Ministre de la Garde Nationale et fils du Roi Abdullah, Mitaab Ben Abdullah Ben Abdulaziz, reçu à l’Elysée le 19/06 avec tous les honneurs…
Le dossier syrien était abordé en marge des discussions entre le Président français et les émissaires émiratis, avec une part centrale aux relations franco-dubaïotes et franco-émiraties. La visite de l’homme fort d’Abu Dhabi cheikh Mohammad Ben Zayed Al Nahyan à l’Elysée, après l’élection de F. Hollande, avait initié la voie à ces échanges solides entre les dirigeants des deux pays. MESP y voyait déjà un “changement”, dans le sens d’un rééquilibrage favorable aux trois partenaires privilégiés de la France dans le Golfe (“EAU : Mohammad Ben Zayed à l’Elysée : le changement, c’est maintenant…“). L’Elysée voyait juste, et entendait maintenir le contact avec Mohammad Ben Zayed et ses proches (notamment son frère le MAE Abdullah Ben Zayed), choisissant, lors du début des hostilités au Mali, de faire un signe supplémentaire en direction d’Abu Dhabi et de garder inchangée la visite du Président Hollande aux EAU.
Au Qatar, où se rend le chef de l’Etat français pour deux jours (et où les rumeurs d’un changement à la tête de l’Etat s’intensifient), l’ordre du jour des discussions porte sur les dossiers régionaux, y compris et surtout la Syrie, et les dossiers bilatéraux (Hollande est accompagné d’une importante délégation d’industriels et d’hommes d’affaires, et participe à une conférence économique). Cette visite, qui intervient durant la semaine du salon du Bourget, vient conforter cette décision présidentielle de rééquilibrer les relations de la France entre le Qatar, les EAU et l’Arabie saoudite. Ces trois partenaires de la France sont des partenaires politiques, économiques, énergétiques, culturels et militaires. Les rééquilibrages devront toucher l’ensemble de ces secteurs. Le secteur de la sécurité, de la défense et de l’armement, est au cœur du partenariat de la France avec les pétromonarchies. Si l’on doit s’attendre, sans excès d’optimisme cependant, à une reprise des grands programmes militaires franco-CCG, comme le suggérait MESP dans une note intitulée “Relance attendue des programmes de défense français dans le Golfe“, il faut également souhaiter que l’approche politique globale mise en œuvre par l’Elysée et les autorités françaises en direction de cet ensemble de partenaires se répercute aussi au niveau des programmes d’armement.