C’est devenu un secret de polichinelle: l’Emir du Qatar cheikh Hamad Ben Khalifa Al Thani, fragilisé par sa maladie, attend de trouver le moment opportun pour passer la main à son fils le Prince héritier cheikh Tamim Ben Hamad Al Thani. Il pourrait le faire en 2013, en août prochain selon les dernières spéculations.
Le fils de l’Emir et de sa très influente troisième épouse cheikha Mawza Al Massnad, avait déjà écarté en 2003 son frère cheikh Jassem Ben Hamad Al Thani pour lui ravir sa place de Prince héritier qui lui revenait. Son père l’actuel Emir avait déposé son prédécesseur, qui n’est autre que son propre père cheikh Khalifa Ben Hamad Al Thani, en 1995. Ce dernier avait, lui aussi, renversé son prédécesseur, son cousin cheikh Ahmad Ben Ali Al Thani, en 1972.
L’actuelle “première dame” cheikha Mawzah, issue d’une grande tribu autrefois opposée aux Al Thani, fait, elle aussi, dans les “coups de palais” puisqu’elle a pu éclipser, et mettre en quarantaine même, les deux autres épouses de l’Emir Hamad, des Al Thani, cheikha Mariam Bint Mohammad Al Thani et cheikha Noura Bint Khaled Al Thani. Cheikha Mawzah, qui pratique avec brio les intrigues du palais, a imposé une stabilité nécessaire dans les rapports entre les Al Thani et les Al Massnad. Au palais, elle a imaginé une sorte de pouvoir collégial, l’associant elle-même aux affaires de l’Etat aux côtés de son époux, avec un rôle évolutif pour son fils le Prince héritier Tamim et un rôle pivot pour l’actuel Premier ministre, le Ministre des Affaires étrangères cheikh Hamad Ben Jassem Ben Jabr Al Thani.
L’Emir Hamad aurait mis plusieurs capitales arabes et occidentales dans ses confidences, et annoncé, officieusement, son intention d’abdiquer au profit de son fils Tamim. Ce dernier est d’ailleurs mis en avant depuis plusieurs mois, au sein de la famille des Al Thani dont il est le vice-président du Conseil; à Doha, au sein du Conseil de Coopération Arabe du Golfe; sur le plan régional et sur le plan international. Vice-commandant des Forces armées, Tamim, diplômé de Sandhurst, s’impose de plus en plus aussi à l’Institution militaire et devient l’interlocuteur privilégié de l’USCENTCOM, des autres partenaires militaires du Qatar et des industriels de la défense. Il s’impose aussi à la classe marchande et aux partenaires économiques et commerciaux de l’émirat, lui qui est aussi le vice-président du Conseil des affaires économiques et d’investissement, contribuant aussi à la stratégie d’investissement des puissants Fonds souverains qataris.
La réorganisation du pouvoir passe par l’abdication de l’Emir Hamad, qui évite ainsi une cohabitation qui pourrait devenir difficile avec son affaiblissement physique. Elle passerait aussi semble-t-il par la mise à l’écart de l’autre homme fort de Doha cheikh Hamad Ben Jassem Ben Jabr Al Thani, ce qui pourrait s’avérer une entreprise délicate plus tard. Elle exige impérativement la désignation d’un Prince héritier qui devrait être choisi parmi la dizaine de fils de l’actuel Emir, un exercice qui risque lui aussi de s’avérer délicat.
Concrètement, le système politique anti-démocratique du Qatar, signifierait une transmission du pouvoir, verticale cette fois aussi, du père au profit du fils, mais dans le cadre d’un arrangement interne raisonnable et sans coup de force. Pour éviter des tensions ultérieures, l’exercice du pouvoir se ferait de manière collégiale, un peu plus consensuelle que sous l’actuel Emir porté au pouvoir par un coup de palais. Cela ne risque-t-il pas d’affaiblir le système de monarchie absolue qui permet aujourd’hui au Qatar de faire ses choix stratégiques, politiques, économiques, sociaux, et de les assumer pleinement? Ou est-ce, au contraire, un premier pas vers une dilution du pouvoir absolu concentré jusque-là entre les mains du seul Emir, dans le sens d’une plus grande concertation interne? Tout dépendra de la pratique du pouvoir par cheikh Tamim, et de la marge de manœuvre dont il disposerait vis à vis de son premier cercle familial déjà…