L’Ambassade d’Arabie saoudite à Beyrouth ne se contente pas de l’appel lancé par le Conseil de coopération arabe du Golfe aux ressortissants des Etats membres d’éviter de se rendre au Liban, et insiste, dans un communiqué du 08/06, à interdire, pratiquement, aux sujets du gardien des Lieux Saints, de visiter ce pays. Les médias saoudiens s’acharnent contre le Hezbollah, et le Grand Mufti du royaume offre aux dirigeants sunnites et à leurs relais régionaux la légitimité religieuse pour dénigrer sans limites l’organisation libanaise chiite pro-iranienne. Le Grand Mufti Al Cheikh, wahhabite et entièrement soumis aux Al Saoud, rejoint le prédicateur vedette des Frères Musulmans Youssef al-Qardaoui, soumis lui aux Al Thani du Qatar. Les autres références religieuses de l’islam sunnite, notamment Al Azhar, se joignent elles aussi à la campagne anti-Hezbollah, qui prend une tournure confessionnelle de plus en plus visible, alors que les Salafistes djihadistes de Jordanie appuient les appels d’al-Qaëda au djihad contre le Hezbollah au Liban. Le Premier ministre irakien Nouri al-Maliki, qu’on accuse de faciliter l’envoi de combattants chiites en Syrie, les rebelles Houthis du Yémen dont on dit qu’ils se battent eux aussi aux côtés du régime alaouite syrien, sont également visés par les critiques et attaques émanant de milieux sunnites religieux. A Bahreïn, où le contact entre l’Opposition chiite et le Hezbollah est désormais prohibé, le pouvoir se veut le fer de lance de toute action collective contre l’organisation libanaise qu’il appelle à placer sur la liste des organisations terroristes, alors que les Emirats Arabes Unis intensifient leurs pressions sur les Libanais chiites et leurs intérêts.
De tout cela, ce qui doit être souligné c’est d’abord la synchronisation évidente de cette campagne massive contre les symboles du chiisme politique, de la part de pays arabes sunnites qui comptent, de leurs pouvoirs politiques et religieux, de leurs médias, et de leurs relais libanais. C’est ensuite le timing de cette escalade sans précédent dans le discours confessionnel, qui coïncide avec la reconquête d’al-Qussayr par l’Armée syrienne et le Hezbollah, et la reprise de l’initiative sur le terrain par l’axe syro-iranien.
Les frontières nationales vacillent, et on se retrouve devant des frontières confessionnelles. Certes, le grand jeu est avant tout géopolitique, et engage, surtout la Russie et les Etats-Unis qui préparent la conférence de Genève 2, et les autres puissances régionales qui comptent, entendre l’Iran, la Turquie et Israël. Aux autres acteurs, étatiques soient-ils comme le Qatar, l’Arabie saoudite ou encore l’Egypte, ou transnationaux, comme al-Qaëda, le Hezbollah ou encore Jabhat al-Nusra, reviennent finalement des rôles d’appoint… Dans ce contexte, les Saoudiens et les autres monarchies arabes du Golfe doivent se sentir de plus en plus désarmés et impuissants. Quelle contre-attaque osent-ils dans le contexte actuel, autre que celle de se replier, une nouvelle fois, comme en Irak avant et comme au Liban un 7 Mai 2008, en attendant une hypothétique accalmie qui viendrait de Genève?